Ça y est, la vague de vote de grèves s’est remise en marche dans les cégeps et les universités du Québec.
Il n’y a pourtant pas de raison valable pour les étudiants de reprendre la grève – ou le boycott, c’est selon – alors que des élections sont prévues le 4 septembre.
Le Parti québécois, qui a des chances raisonnables de former le gouvernement, a promis d’annuler la hausse, comme le souhaitent les grévistes du printemps. Si c’est le Parti libéral ou la Coalition avenir Québec qui l’emporte, c’est évidemment autre chose, mais tenir une grève préventive est un peu bête, à moins de tenir absolument à saborder ses études.
Ou de n’avoir pour objectif que de foutre le bordel. Et c’est précisément ce que semble souhaiter la CLASSE.
La CLASSE se fiche un peu de la question des droits de scolarité, qui est davantage un moyen de mobilisation qu’une fin en soi. Gabriel Nadeau Dubois a déjà dit qu’il ne battait pas pour 1625 $ (le montant initial de la hausse prévue). On pourrait argumenter qu’à la limite, les militants les plus actifs de la CLASSE se fichent aussi du sort de la majorité des étudiants, et même de celui de leurs propres membres, et qu’ils veulent simplement foutre le bordel en espérant créer une sorte de réaction en chaîne qui aiderait à la réalisation de leurs fantasmes révolutionnaires.
Ça semble farfelu?
La semaine dernière, Léo Bureau-Blouin, président sortant de la FECQ et nouvellement candidat pour le Parti québécois, a appelé à une trêve étudiante d’ici les élections afin de favoriser une victoire péquiste et éviter que Jean Charest ne récolte les bénéfices d’éventuelles perturbations.
Réaction de la CLASSE : Léo Bureau-Blouin n’est plus le bienvenu dans ce débat, qui n’appartient qu’aux associations étudiantes et leurs membres, il ne devrait pas «s’ingérer».
Deux poids, deux mesures. Tout récemment, la CLASSE ne s’est pas gênée pour publier un manifeste qui ratisse assez large, de la diversité sexuelle aux gaz de schiste en passant par les droits des femmes, ceux des autochtones et le coût des services publics, entre autres.
En suivant la logique que la CLASSE veut voir appliquée à Bureau-Blouin, on pourrait rétorquer qu’elle n’est qu’une association étudiante et n’a donc pas à se prononcer sur des questions qui débordent le cadre de son mandat.
Mais ça n’a rien à voir avec l’ingérence. La CLASSE applaudirait si Hugo Chavez débarquait dans une de leurs assemblées pour les encourager à faire la Revolución.
La CLASSE n’apprécie pas que les gens qui ont de l’influence expriment des idées différentes des siennes. Elle apprécie encore moins les modérés, parce que les modérés peuvent faire des compromis, ce qui peut mener à un règlement. Et la CLASSE ne veut surtout pas de règlement.
De son point de vue, le conflit étudiant n’est qu’un véhicule de mobilisation pour une contestation beaucoup plus large, comme en témoigne le manifeste Nous sommes avenir.Un règlement sur les droits de scolarité signifierait la fin de cette fantaisie révolutionnaire. L’objectif de la CLASSE est donc de garder les étudiants et tous ceux qui peuvent aider leur cause dans la rue, et mécontents, le plus longtemps possible.
C’est la raison pour laquelle, dans certaines associations locales, une majorité simple (50 % + 1) des voix exprimées étaient requises pour aller en grève, alors que les deux tiers des voix étaient nécessaires pour y mettre fin. Dans d’autres cas, on s’est simplifié la vie : le mandat de grève était valable jusqu’à la fin de l’été. Pas besoin de retourner consulter les membres.
C’est la raison aussi pour laquelle ses porte-parole ont multiplié les contorsions langagières plutôt que de dénoncer clairement et simplement la violence, ce printemps. Il ne fallait surtout pas démobiliser les plus radicaux.
La CLASSE se réserve aussi le droit de reconnaître ou pas le résultat des élections provinciales. Sans blague.
Tout ça pour dire qu’il y a un risque énorme pour la CLASSE d’entendre un appel à une trêve. Si le PQ remporte les élections, c’en est fini du mouvement étudiant, et les dirigeants de la CLASSE le savent. Les membres de la FECQ et de la FEUQ, plus modérés, et probablement la majorité de ceux de la CLASSE, se contenteraient volontiers d’une annulation de la hausse assortie de la tenue d’un sommet sur l’éducation, plutôt que de retomber en grève. Même une victoire de la CAQ, qui a proposé un compromis sur le montant de la hausse, pourrait mener à une solution négociée.
La seule option qui reste pour un mouvement dont l’objectif avoué est de «maintenir un rapport de force permanent contre l’État» est de remettre en marche le mouvement de grève au plus vite, avant que la possibilité d’une annulation de la hausse ou de toute forme de règlement ne se pointe à l’horizon, et de tabler sur l’insatisfaction généralisée envers le gouvernement libéral, toujours au pouvoir.
En redémarrant la grève le 13 août, on s’assure ainsi de retrancher trois semaines à une session déjà tronquée, ce qui pourrait lui être fatal. Une annulation définitive de la session interrompue au début de l’été signifierait que des dizaines de milliers d’étudiants en colère seraient disponibles afin de poursuivre les activités de perturbation chères à la CLASSE.
Plusieurs d’entre eux considérant qu’ils n’auraient plus rien à perdre, on peut imaginer ce que ça pourrait donner. Le bordel. Mais c’est ce que semble souhaiter la CLASSE. Et tant pis pour les conséquences.
Il serait plus que temps que les principaux acteurs sociaux qui ont donné leur appui aux carrés rouges ce printemps – syndicats, artistes, professeurs, politiciens – se lèvent d’une voix unie et forte afin de demander aux étudiants de rester en classe au moins jusqu’au 4 septembre, et de considérer alors les options disponibles.
Si les étudiants désirent empêcher la hausse des droits de scolarité, la meilleure façon reste encore de voter pour un parti politique qui défend leurs idées, et non de tomber dans le piège tendu par la CLASSE.