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Discours de Gabriel Nadeau-Dubois

Le souffle le plus long

Aujourd’hui, je suis en grève. Depuis 54 jours, je suis en lutte. 54 jours de lutte, 54 jours de matraque, de gaz, de poivre. Moi, mes amis, mes camarades, les étudiants et les étudiantes du Québec.

54 jours de grève contre les libéraux, contre les boss, contre la police, contre les chroniqueurs méprisants. 54 jours et déjà, déjà nous avons gagné. Déjà nous avons gagné contre le cynisme. Déjà nous avons gagné contre l’impuissance, contre ceux qui disaient il y a de cela quelques semaines à peine que le peuple du Québec était mort, que sa jeunesse ne valait pas mieux.

C’est pour ça, je crois, que je vais profiter de la tribune qui m’est offerte aujourd’hui pour remercier chaleureusement le Premier ministre du Québec, Monsieur Jean Charest. Merci M. Charest, vous nous avez donné une confiance inébranlable en nous-mêmes. Merci M. Charest de nous avoir montré ce que nous pouvions faire contre vous.

Mais maintenant vous êtes en sursis. Vous avez déclaré la guerre à une génération en entier. Nous avons marqué le sol de l’histoire d’une marque indélébile. L’histoire du Québec dorénavant ne pourra plus se lire sans s’y arrêter. Vous nous avez montré la violence de votre monde pour nous permettre peut-être d’un peu mieux imaginer le nôtre. Parce que nous aspirons à plus que votre monde qui meurt. Nous aspirons à plus que votre éducation marchandise, qu’à vos écoles laboratoires et qu’à votre société du moi inc.

Nous avons maintenant confiance en nous. Nous avons maintenant confiance en l’histoire. Nous avons confiance en nos camarades de classe. Nous avons confiance en notre peuple et il ne s’arrêtera pas là. Notre colère, déjà, la colère étudiante a déjà des échos aux quatre coins de la province. Et déjà les oreilles de nos enfants, de nos nièces, de nos cousins, de nos cousines en sont remplies.

L’école de la grève, pour nous ce printemps, aura été la meilleure des formations. Elle aura été gratuite en plus. On a appris ce printemps, on a appris pour vrai. On a appris c’était quoi l’injustice, on a appris c’est quoi la violence, on a appris c’est quoi la violence d’un système. On a appris ça goûte quoi le poivre de Cayenne, on a appris ça sent quoi les gaz lacrymogènes. Mais surtout, on a appris la résistance.

On a appris par centaines de milliers à se battre comme jamais on ne l’avait fait dans nos vies, comme jamais on ne l’avait fait dans l’histoire du Québec. Notre grève, c’est pas l’affaire d’une génération. C’est pas l’affaire d’un printemps. C’est l’affaire d’un peuple, c’est l’affaire d’un monde.

Notre grève, c’est pas un événement isolé. Notre grève, c’est juste un pas, c’est juste une halte le long d’une route beaucoup plus longue. Notre grève, elle est déjà victorieuse parce qu’elle nous a permis de voir cette route-là, celle de la résistance.

Il est là le vrai sens de notre grève. 250 000 personnes ne sortent pas dans la rue parce que ça ne veut pas payer 1625 $ de plus. Il est là le sens de notre grève, dans la durée, dans la poursuite demain de la désobéissance. Nous avons planté ce printemps les graines d’une révolte qui ne germera peut-être que dans plusieurs années. Mais déjà ce qu’on peut dire, c’est que le peuple du Québec n’est pas endormi, pas plus que ne l’est sa jeunesse.

Ils ont peut-être les matraques les plus dures, ils ont peut-être les armures les plus épaisses, ils ont peut-être les plus grands journaux, ils ont peut-être les portefeuilles les plus épais. Mais nous, nous avons le souffle le plus long. Nous avons le courage des opprimés, nous avons la force de la multitude. Mais surtout, nous avons tout simplement raison.

On a raison de se lever, on a raison de crier. On a raison de manifester, on a raison de faire la grève. On a raison de bloquer l’entrée à nos cégeps, de bloquer l’entrée à nos universités. On a raison de ne pas se laisser impressionner par les injonctions d’un petit con qui a perdu son débat en assemblée générale, qui a des parents assez riches pour se payer un avocat. On a raison de se battre contre ça. Contre un monde qui veut nous couper les ailes, qui veut nous dresser à coups de dettes pis à coups de travail.

Mais cette lutte-là, ce n’est pas seulement une lutte étudiante. En fait, ça ne doit pas être seulement une lutte étudiante. Parce que les gens qui veulent augmenter les frais de scolarité, qui vont augmenter peut-être les frais de scolarité, les gens qui ont décidé d’imposer une taxe santé, les gens qui ont mis sur pied le Plan Nord, les gens qui ont mis à pied les travailleurs et les travailleuses d’Aveos, les gens qui tentent de mettre à pied les travailleurs et les travailleuses de Rio Tinto Alcan à Alma, les gens qui tentent d’empêcher les travailleurs et les travailleuses de Couche-Tard de se syndiquer, tous ces gens-là sont les mêmes.

C’est les mêmes personnes avec les mêmes intérêts dans les mêmes groupes, dans les mêmes partis politiques, dans les mêmes instituts économiques. Ces gens-là, c’est une seule élite. Une élite gloutonne, une élite vulgaire, une élite corrompue, une élite qui ne voit l’éducation que comme un investissement dans du capital humain, qui ne voit un arbre que comme une feuille de papier et qui ne voit un enfant que comme un futur employé.

Ces gens-là ont un projet convergent, ils ont des intérêts politiques convergents. Et c’est contre eux que l’on doit se battre, pas seulement contre le gouvernement libéral. Et je peux aujourd’hui vous transmettre le souhait, je crois, le plus cher des étudiants et des étudiantes qui sont en grève actuellement au Québec. Et c’est de servir de tremplin : que notre grève serve de tremplin à une contestation beaucoup plus large, beaucoup plus profonde, beaucoup plus, oui, radicale, de la direction que prend le Québec depuis les dernières années.

S’il y a une tradition québécoise à conserver, ce n’est pas la poutine ou la xénophobie. S’il y a une tradition québécoise à conserver, c’est celle que les étudiants et les étudiantes du Québec sont en train de transmettre. Une tradition de lutte, de lutte syndicale, de lutte étudiante, de lutte populaire. Et pour parler de cette lutte-là, je n’ai pas pu terminer mon mot aujourd’hui sans vous laisser sur les mots de Gaston Miron.

Nous avançons nous avançons le front comme un delta
« Good-bye farewell ! »
nous reviendrons nous aurons à dos le passé
et à force d’avoir pris en haine toutes les servitudes
nous serons devenus des bêtes féroces de l’espoir

Gabriel Nadeau-Dubois, 7 avril 2012

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