Leçons de philo sur la crise étudiante

CA_RichardMartineau

RICHARD MARTINEAU

JOURNAL DE MONTRÉAL, PUBLIÉ LE: SAMEDI 23 MARS 2013

Plusieurs livres ont été publiés sur la crise étudiante, qui célèbre comme vous le savez son premier anniversaire.

(N. B. : par respect pour les manifestants libyens, tunisiens, égyptiens et syriens qui ont pris part au printemps arabe, je n’utiliserai plus jamais l’expression «printemps érable», que je trouve insultante pour toutes ces personnes qui ont risqué leur vie pour combattre des dictatures…)

Parmi ces livres, un a particulièrement capté mon attention : Le devoir à l’éducation, de Jean Laberge, publié aux éditions Accent Grave.

SEUL DANS SON COIN

Premièrement, l’auteur.

D’entrée de jeu, Jean Laberge se dit contre le carré rouge. Or, il est prof de philo au cégep du Vieux-Montréal!

Vous imaginez l’isolement de cet homme? Pas sûr qu’il soit accueilli par des tapes sur l’épaule quand il entre dans le département. Il doit se sentir comme Denise Bombardier quand elle travaillait au Devoir.

En bon prof de philo, Laberge utilise les grands textes de la philosophie (c’est-à-dire Platon, Aristote et Descartes, pas Francis Dupuis-Déry ou Jean Barbe) pour démonter la logique des carrés rouges.

J’aime particulièrement son chapitre sur la fameuse loi 12 (ex-loi 78), qui visait à permettre aux étudiants qui voulaient étudier de le faire sans être intimidés par une bande de sauvages masqués et armés.

Les gens qui pourfendaient la loi 12 affirmaient que cette loi «fasciste et autoritaire» empêchait les carrés rouges d’exercer l’un de leurs droits fondamentaux – c’est-à-dire celui de s’organiser et de manifester.

À ces gens, Jean Laberge répond en rappelant l’article 9.1 de la Charte des droits et libertés, qui encadre l’exercice de nos droits.

«Les libertés et droits fondamentaux s’exercent dans le respect des valeurs démocratiques, de l’ordre public et du bien-être général des citoyens.»

Bref, vous pouvez vous organiser et manifester, pas de problème. À condition que vous RESPECTIEZ l’ordre public!

DROITS CONTRE DROITS

«L’État, écrit Jean Laberge, est là pour assurer le bien commun, l’ordre et le bonheur des citoyens. Aller à l’encontre de ses décisions est périlleux et dangereux pour le bien commun. Lorsque l’intérêt de chacun prime sur celui du bien commun, comme Platon l’écrit dans La république, la tyrannie de la minorité n’est pas loin…

«Le droit à l’éducation est un droit individuel dont l’exercice doit être protégé et assuré par l’État. C’était l’esprit de la loi 12.

«Les étudiants contestataires doivent réaliser que leurs droits individuels, dont celui de manifester, sont subordonnés, comme tous les autres droits, au droit collectif de la protection des droits individuels que doit assurer l’État.»

En d’autres termes, tu as le droit de manifester tant que tu n’empêches pas les autres étudiants d’exercer eux aussi un droit fondamental, soit celui d’étudier.

On pourrait rappeler l’article 26 de la Déclaration universelle des droits de l’homme : «Toute personne a droit à l’éducation.» D’autant plus lorsque cette personne a payé pour recevoir ce service.

UN REFUGE

Dans la jungle tonitruante de pamphlets rouges et noirs faisant l’apologie cacophonique de la rue, de la désobéissance et du chaos, l’essai philosophique de Jean Laberge fait figure de refuge calme où il fait bon réfléchir.

À mettre entre toutes les mains.