« Nous ferons un État islamique jusqu’au Liban »

OLJ/AFP | 10/08/2012


SYRIE

Affalé sur un matelas, Mohammad Sensaoui ponctue ses phrases avec une baguette. « Vous voyez, j’ai une barbe et pas de moustache. Normal, je suis salafiste », dit ce rebelle syrien. Autour de lui, des combattants islamistes et une poignée d’étrangers. Ces combattants contrôlent depuis juillet Bab el-Hawa, un poste-frontière entre la Syrie et la Turquie. Ils sont quelques dizaines, régulièrement bombardés par les chars de l’armée régulière. Le drapeau islamiste noir à lettres blanches claque au sommet du campement. Une quinzaine d’hommes en armes, la plupart syriens, dorment ou jouent avec leur kalachnikov. À l’écart, certains n’ont pas l’air du coin.


« Nous ferons un État islamique jusqu’au Liban, où ils ont des putes et des casinos », lance Mohammad Sensaoui. Cet ancien entraîneur de natation a combattu à Damas. Il vitupère l’Occident et l’armée syrienne. Et les homosexuels « iraniens » dont il imite la copulation en se frottant les paumes. À l’intérieur du poste-frontière, des bouteilles de whisky brisées jonchent le sol près du Duty Free pillé par les rebelles. Sur un mur : « L’islam est la solution. » « Quand nous gagnerons, ce sera œil pour œil. Ceux qui se rendront seront pardonnés, les autres seront tués », dit-il.

Les rebelles contrôlant le poste-frontière sont commandés par un ancien dentiste syrien, Mohammad Firas, qui dirige le « Conseil consultatif national », une appellation courante pour les groupes islamistes, et revendique 10 000 combattants. Il minimise l’importance de l’Armée syrienne libre, « un groupe parmi d’autres », et annonce déjà une lutte pour le pouvoir. « On verra après la chute du régime qui est le plus fort sur le terrain et qui peut gouverner le pays », dit-il. « Nous ne représentons pas el-Qaëda en Syrie. Nous menons des opérations à Idleb, Homs, Hama, Alep et Damas. Notre objectif est de propager notre mode de vie et de combattre l’armée », explique-t-il.


Depuis plusieurs semaines, les médias occidentaux font état d’une présence grandissante de combattants islamistes. Mais les combattants étrangers sont rares, et la majorité des groupes armés n’est pas constituée d’islamistes. À Anadane, à l’ouest d’Alep, un officier supérieur déserteur se dit « contre les islamistes ». « Sur 4 000 à 5 000 rebelles à Alep, 50 à 100 ont un programme islamiste radical », relativise le chef du Conseil militaire rebelle d’Alep, le colonel Abdel Jabar al-Oqaïdi.


Pour Peter Harling, analyste à l’International Crisis Group, « le spectre va de la rébellion classique aux groupes jihadistes radicaux qui ont recours à la rhétorique et aux symboles d’el-Qaëda ». « Les groupes jihadistes ont gagné en visibilité et en poids. Mais militairement, ils jouent les seconds rôles », ajoute-t-il. Hassan Abou Haniyeh, un expert des groupes islamistes à Amman, rappelle que, « de 2003 à 2006, la plupart des jihadistes se rendant en Irak venaient de Syrie ». Ces groupes ont longtemps été dirigés en sous-main par les services de renseignements syriens. Mais ils ont pris leur indépendance. « Toutes les conditions sont réunies pour qu’el-Qaëda et les salafistes s’enracinent dans le pays. Le régime a perdu des pans entiers du pays et el-Qaëda s’implante justement quand il n’y a plus d’État », rappelle-t-il.

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