Le piéton: une espèce en voie d'extinction

 

François Cardinal
La Presse
Le lundi 04 février 2008

L'homme serait-il en train de régresser vers le singe, qui ne passe que 3% de son temps debout? Que ce soit l'auto, la télécommande, l'ascenseur ou l'escalier mécanique, la technologie lui permet aujourd'hui de passer une journée complète sans faire plus de 100 pas, ne se déplaçant qu'entre le stationnement et le bureau, entre le garage et le salon.

Certains experts osent même se demander si nous vivons actuellement «la fin de l'âge ambulatoire»...

La question se pose dans la foulée d'un récent rapport de Statistique Canada révélant qu'entre 1998 et 2005, la proportion de Canadiens ayant effectué au moins un déplacement à pied dans une journée moyenne a chuté de 26% à 19%. En revanche, les déplacements en auto ont explosé.

«En ce début du nouveau millénaire, sortir le chien est devenu notre seule occasion de marcher», note avec justesse Marie Demers, auteure de Pour une ville qui marche.

Dans son livre, qui sera en librairie le 13 février, cette épidémiologiste met le doigt sur un des grands paradoxes de notre époque: l'homme devra réapprendre à dépenser plus d'énergie s'il souhaite survivre...

Car on ne compte même plus les maux urbains liés de près ou de loin à cette soudaine sédentarité: obésité, hypertension, inactivité physique et problèmes respiratoires pour le citadin; congestion, pollution, smog et réchauffement climatique pour la ville.

Certes, les chiffres de Statistique Canada s'inscrivent dans une tendance mondiale. Mais le problème est ici plus criant: alors que la marche est privilégiée pour 12% des déplacements utilitaires au Canada, cette proportion augmente à 34% en Allemagne, 39% en Suède et 46% aux Pays-Bas.

La différence entre l'Europe et l'Amérique du Nord est claire: il y a là-bas une culture de la marche qu'il n'y a pas ici. Ou plutôt, qu'il n'y a plus.

C'est ainsi que de multiples banlieues ont poussé dans les années 60 sans aucun trottoir, que des centres commerciaux sont encore aujourd'hui construits sans jamais penser au piéton ou qu'une ville comme Saint-Lambert peut soudainement décider de ne plus déneiger les trottoirs, comme elle l'a fait cet hiver.

La place publique a été transformée avec le temps en simple lieu de passage pour automobile. Délaissée, la marche ne joue effectivement plus son rôle social, celui de rassembler, de réunir, de permettre la rencontre. Nous vivons isolés les uns des autres, dans nos habitacles toujours plus étanches au monde extérieur.

«L'omniprésence de la voiture et la création d'un environnement urbain déshumanisé nous tuent à petit feu», estime Marie Demers.

Le message véhiculé par cette chercheuse n'est plus l'apanage de quelques écolos radicaux, comme ce fut le cas dans le passé. Des organismes comme la Direction de la santé publique de Montréal et le Département de médecine sociale et préventive de l'Université de Montréal le portent également aujourd'hui.

Mieux encore, la Ville de Montréal semble elle aussi vouloir faire un pas en avant. Un document qui circule actuellement en coulisses jette les bases pour une révision des exigences en matière d'étude d'impacts. Les promoteurs, peut-on lire, devront dorénavant démontrer «que leurs projets encouragent l'utilisation du transport en commun, les transports actifs (marche et vélo) et limitent l'utilisation de l'auto en solo».

Cela se fera dans la foulée de l'adoption du Plan de transport, prévu ce mois-ci, dans lequel on retrouve plusieurs initiatives comme la «piétonnisation» de certaines rues, le déneigement des trottoirs en priorité après une tempête de neige et la réduction de la limite de vitesse à 40 km/h.

Cela dit, la Ville aura beau avoir les meilleures intentions du monde, celles-ci demeureront vaines tant que les gens ne décideront pas eux-mêmes de délaisser le volant au profit de leurs jambes.