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Commentaire rapide sur la hausse des frais de scolarité

28 février 2012
Jérôme Lussier

Depuis une semaine le Québec se déchire sur la question de la hausse des frais de scolarité universitaires. Quelques commentaires rapides sur fond de grève étudiante contagieuse.

1) Dans le contexte actuel, et malgré la rhétorique de certains, la hausse proposée ne concerne pas vraiment le « droit à l’éducation ». Le Québec a un système d’éducation public obligatoire jusqu’à 16 ans, universel et essentiellement gratuit, du primaire au cégep. Le projet de loi du gouvernement ne modifie pas ce régime — qui consacre et donne effet au « droit à l’instruction publique gratuite » énoncé par la Charte québécoise — et ne propose pas d’interdire à quiconque d’accéder aux études supérieures. Le débat actuel concerne uniquement la part respective de responsabilité que doivent assumer les étudiants et le public dans les coûts de formation universitaire — et l’enjeu est de 4%. Les étudiants sont absolument libres de présenter cette hausse comme trop rapide, mal avisée ou inutile, mais certaines dénonciations apocalyptiques paraîtront exagérées pour une bonne partie de l’opinion publique.

2) Aujourd’hui, les étudiants québécois paient en moyenne 13% des coûts de leur formation universitaire, le 87% restant étant assumé par les gouvernements et le financement privé. Au terme de la hausse proposée, dans cinq ans, le ratio sera de 17% pour les étudiants et de 83% pour le reste de la société. Dans le reste du Canada, les étudiants paient en moyenne 23% des coûts de leurs études. Le débat sur la hausse tourne donc autour de 4% des coûts de formation qu’on propose de transférer aux étudiants, sur cinq ans, pour rattraper des décennies de non-indexation. Il est vrai que la hausse représente une augmentation de 75% de la facture pour les étudiants, sur cinq ans, mais même au terme de cette hausse, les étudiants québécois paieront moins que la moyenne des étudiants canadiens.

3) Sans faire ici le débat de fond, il semble qu’il y ait une distinction à faire entre l’éducation primaire et secondaire, et la formation universitaire. Comme à peu près tout le monde, je tiens à un système d’éducation primaire et secondaire public gratuit et universel, et je suis tout en faveur de réformes qui fassent du réseau d’écoles publiques du Québec un modèle d’excellence. Je crois aussi que les sociétés devraient investir significativement dans l’éducation supérieure. Toute la société s’enrichit d’avoir en son sein des lieux de haut savoir et des citoyens très éduqués, et il est normal et souhaitable que les investissements publics reflètent cette valeur. Mais la décision de poursuivre des études universitaires est — aussi — une décision personnelle, qui profite individuellement aux étudiants, bien au-delà des seuls bénéfices économiques. Il semble donc a priori légitime que, rendus à cette étape de leur éducation, les étudiants contribuent financièrement à leur propre formation. On pourra débattre du pourcentage de « responsabilité privée » approprié — 5%, 10%, 30%, 50%? — mais le principe lui-même paraît légitime. Si on l’admet, il n’est pas étonnant qu’on regarde autour de soi, et notamment dans les provinces voisines, pour voir ce que les autres considèrent comme un ratio raisonnable.

4) On peut évidemment, comme mon ami Simon et d’autres, plaider pour un système d’éducation gratuit de la maternelle à l’université. C’est une position défendable, qui considère toute forme d’éducation comme un bien entièrement public. Mais il faut en assumer les conséquences et choisir ses références. Cette semaine, certains ont proposé comme modèle le système français, où les études universitaires sont essentiellement gratuites. Or le système français est un réseau à deux vitesses: des institutions publiques, qui admettent tout le monde et dont la qualité laisse souvent à désirer, et des institutions hautement sélectives — les « grandes écoles » telles HEC, l’ESSECSciences PoPolytechnique, etc. — pour lesquelles les frais de scolarité peuvent dépasser 10 000$ par an. Est-ce à ce genre de système à deux vitesses que les étudiants grévistes aspirent? Je ne crois pas. Pour le moment, pour le meilleur et pour le pire, le système québécois n’a qu’une seule vitesse. La hausse de frais proposée ne remet pas en question cet aspect de notre système.

5) Dernier point. Si les étudiants reconnaissent que le réseau universitaire manque d’argent, ils ont certainement le droit d’exiger (comme l’a mentionné Gabriel Nadeau-Dubois en entrevue à TLMEP) que le gouvernement réalise toutes les économies possibles avant de leur demander de contribuer davantage. Si des fonds publics consacrés à l’éducation supérieure sont gaspillés — en bureaucratie superflue, en structures désuètes, en dépenses inutiles — il est légitime d’exiger que le gouvernement fasse le ménage avant, ou au minimum pendant, qu’il solicite davantage les jeunes. Mais pour cela, les fédérations étudiantes devraient proposer des ajustements et des solutions originales — qui dépassent idéalement la panacée utopique de l’imposition des riches et la nationalisation du gaz de schiste — de manière à présenter au public le visage de jeunes prêts à faire leur part pour une éducation supérieure que tous — Libéraux, Caquistes, Péquistes et Solidaires — souhaitent excellente, accessible et viable à long terme.