La fuite en avant désespérée
Comment comprendre cette folie meurtrière qui s’empare d’Israël
Robert Bibeau
25 juillet 2006
Qu’y a-t-il de nouveau dans la plus récente agression israélienne contre le Liban ? Est-ce l’intensité des bombardements ? Est-ce le nombre de victimes civiles ? Est-ce la sauvagerie des destructions ou la nouveauté de l’argumentaire justifiant l’agression ? Non. Rien de tout cela n’est nouveau. En 1982, la sauvagerie des destructions fut la même, le nombre de morts civils encore plus importants et l’argumentaire similaire, sauf qu’aujourd’hui le Hezbollah a remplacé l’OLP. Rien de neuf sous le soleil.
Ce qui a changé c’est qu’Israël est pressé, pressé d’attaquer pressé d’intimider le peuple libanais et tous les peuples des pays environnants en déployant la force de frappe maximum dans le minimum de temps.
Il faut toutefois constater que l’armée israélienne est moins pressée d’envahir le Liban.
L’expérience de 1982 à 2000 porte fruit.
Massacrer des civils est plus facile que de détruire le Hezbollah.
Israël est tellement pressé que leur allié américain a dû annoncer la semaine dernière une livraison urgente, non pas de médicaments pour les hôpitaux libanais démunis, mais une livraison de bombes à téléguidage de précision laser (1)…les stocks s’épuisent vite à ce rythme endiablé et il faut bien aider Israël à « finir le travail » comme le proclament Sarkozy et Condolleeza Rice.
Cet empressement dans le massacre place leurs alliés européens dans l’embarras.
En effet, comment soutenir l’antienne du « droit d’Israël à se défendre » quand tout ce que l’on voit à la télévision ce sont quelques briques éclatées et quelques trous dans la chaussée à Haïfa, sous les roquettes du Hezbollah, opposés à des pâtés complets de maisons effondrées, des quartiers complètement rasés à Beyrouth sous les bombes américano-israéliennes de 23 tonnes ?
Comment maintenir l’exigence de la libération immédiate des soldats israéliens capturés quand l’armée israélienne elle-même s’en soucie si peu ?
Comment pleurer exclusivement les morts israéliens quand ils sont des dizaines de fois plus nombreux au Liban ? (2) D’autant plus, que ce sont parfois des ressortissants occidentaux, notamment canadiens, ces morts au Liban.
Les alliés d’Israël, à la suite des « modérateurs et des pacifistes de l’ONU » (3) sont bien contraints d’admettre que la riposte n’a aucune mesure avec l’action de la résistance libanaise. Bref, l’empressement d’Israël à détruire le Liban les embarrasse car elle les discrédite. La ministre française de la défense Michèle Alliot-Marie ne déclarait-elle pas récemment « Il y a un certain nombre de frappes dont on ne voit pas le sens (sic) ». Elles ont pourtant un sens ces destructions sauvages madame la ministre.
Elles ont un « sens » ces attaques israéliennes, ces « frappes », ces « incursions », ces
« ripostes » pour reprendre le vocabulaire aseptisé de l’État major israélien dont nous abreuvent chaque jour les journalistes occidentaux. (4)
Si Israël veut obtenir qu’une force d’interposition, commandée par l’OTAN (Israël ne peut se fier à l’ONU pour ce travail d’espionnage et de soutien militaire à sa frontière, il faut une force alliée qui, comme à Jéricho récemment, sache se retirer quelques heures avant l’offensive israélienne)...Nous disions donc, que pour que s’établisse au Sud Liban une force « d’interposition » de l’OTAN la situation doit paraître suffisamment sérieuse – sanglante – pour justifier une telle occupation militaire.
Alors Israël contribue de son mieux à créer cette situation d’urgence, cette situation sanglante –tragique– afin d’obtenir cette force auxiliaire de l’OTAN d’autant que ce ne sont pas les quelques roquettes du Hezbollah avec les trous dans la chaussée et les murs égratignés de Haïfa qui pourront justifier une telle force d’interposition. C’est un peu comme si l’armée israélienne déclarait chaque jour… «Je massacrerai des civils libanais et je détruirai les infrastructures libanaises tant et aussi longtemps que vous n’accepterez pas de placer une force d’interposition de l’OTAN à la frontière Sud et tant mieux si en plus vous désarmez le Hezbollah»…ce qu’Israël ne saurait faire.
Ces destructions sauvages sont les gestes désespérés d’une puissance impérialiste régionale en déclin.
Une puissance nucléaire régionale à qui les gouvernements occidentaux demandent de policer le Proche-Orient, à qui ils demandent de mettre les Arabes au pas, de montrer aux musulmans à courber l’échine, une puissance nucléaire qui perçoit bien que le temps pour ce faire lui est compté.
C’est ce temps compté qui oblige le gouvernement israélien à accélérer la construction du Mur d’apartheid (ceux qui laissaient croire que ce Mur était un caprice de Sharon voit bien aujourd’hui que le Mur est une nécessité pour les sionistes et que sa construction honteuse se poursuit à toute allure sans Sharon). Ce Mur d’apartheid qui deviendra de l’aveu même du premier ministre Olmert la frontière définitive entre les bantoustans palestiniens de Cisjordanie et l’État hébreu colonialiste. (5)
C’est ce temps compté qui oblige l’armée israélienne à lancer de nouvelles attaques destructrices et immorales contre la population palestinienne à Gaza et en Cisjordanie occupée pour écraser le gouvernement de résistance du Hamas. (6) C’est ce temps compté qui oblige Israël à promouvoir au plus vite la création d’un autre gouvernement palestinien de collaboration, un gouvernement Quisling à sa solde, qui pleurnichera pour une relance de la fumisterie du « processus de paix » avorté. Un gouvernement palestinien fantoche qui lancera des appels au secours à l’impérialisme américain allié d’Israël. (7) C’est ce temps compté qui oblige Israël à lancer de nouvelles offensives et à détruire le Liban sous prétexte de libérer deux soldats capturés dont on parle si peu à l’État major israélien. (8)
Mais pourquoi Israël court-il ainsi après la guerre ?
C’est que leur allié américain en difficulté en Irak, en difficulté en Afghanistan, incapable de mettre à exécution leurs
menaces d’agression contre l’Iran, ou contre la Corée du Nord, connaissant de plus en plus de difficultés à recruter des mercenaires pour faire ses guerres, au point que l’armée américaine doit maintenant assigner les réservistes aux tâches d’agression et d’occupation extérieures au pays, leur allié américain sera en élection sous peu, puis ce seront les élections à la présidence, le prochain président,
Républicain ou Démocrate ne sera pas un homme de paix et de justice rassurez-vous, mais il risque de devoir promettre le retrait des troupes américaines d’Irak afin d’être élue.
Ceci ne présage rien de bon pour les israéliens.
De plus, les réserves des pays pétroliers de la région ne sont pas inépuisables, déjà l’Iran se prépare à faire face et poursuit avec détermination ses travaux pour le développement de sa filière nucléaire, ce qui est son droit inaliénable. Les autres pays pétroliers de la région verront peu à peu leur rente pétrolière s’amenuiser, les tensions sociales et politiques ne pourront que s’accentuer. C’est à la faveur de ces tensions montantes que les mouvements de résistance, islamistes et non islamistes, connaissent habituellement un regain de popularité dans la population Arabe et musulmane. Comme l’écrivait récemment l’ancien ministre libanais Georges Corm, les gouvernements fantoches des pays limitrophes d’Israël auront de plus en plus de mal à se maintenir au pouvoir tout en soutenant inconditionnellement les agressions israéliennes. (9)
Tout cela est extrêmement préoccupant pour Israël qui sait bien que les réserves de pétrole s’épuisant les puissances occidentales n’auront plus grand intérêt à intervenir dans cette région des états pétroliers sans pétrole.
Que faire d’un état policier paria dans cette partie du monde relativement pauvre (quand il n’y aura plus de rente pétrolière à verser), au marché peu développé, sans autres ressources naturelles ? Pourquoi verser une assistance militaire de trois milliards de dollars annuellement à une puissance nucléaire (Israël) quasi inutile et sur son déclin ?
Que feront 7 millions de représentants acrimonieux et esseulés du « peuple élu » sur la « terre promise par Yaveh au peuple juif » au milieu de centaines de millions d’arabes en crise sociale et politique à la mémoire encore vive des atrocités de Tsahal au Liban, en Palestine et ailleurs ? (10)
Pas étonnant que le gouvernement israélien batte le rappel de ses alliés Occidentaux pour s’embarricader derrière des frontières, des murs, des no man lands, des zones de sécurité, des champs de ruines, avant la grande débâcle. Pas étonnant que l’armée israélienne tente de compromettre ses alliés Occidentaux, via L’OTAN, dans l’établissement et la protection de ces champs de ruines à ses frontières. Ce pauvre Israël oublie qu’aussi vite implantée, aussi vite retirée les troupes de L’OTAN qui ont déjà beaucoup à faire au Kosovo, en Afghanistan et ailleurs…
C’est une fuite en avant pathétique, tragique, un processus d’autodestruction où chaque agression soulevant
encore plus de résistance de la part des opprimés, commande une nouvelle agression plus meurtrière dans un autodafé immoral, futile et désespéré.
De plus en plus, ceux qui critiquent Israël notent qu’Israël est devenu
autodestructeur, proche d’une catastrophe qu’il provoquera de sa propre main. Le journaliste israélien, Gidéon Lévy, parle d’une société en cours d’« effondrement moral ». (11)
Pour notre part soutenons la lutte de résistance des peuples palestiniens et libanais.
(1) New York Times du samedi 22 juillet 2006.(2) Les évaluations récentes de quelques centaines de morts au Liban sont approximatives et ne tiennent pas compte des cadavres qui seront trouvés sous les décombres des édifices quand ils seront déblayés.(3) http://www.ledevoir.com/2006/07/24/index.html Et s’ils ne savent pas respecter la main qui les nourrit ces pacifistes de l’ONU on les démissionne… http://www.ledevoir.com/cgi-bin/imprimer?path=/2006/07/24/114332.html (4) Tous les jours la plupart des reporters occidentaux nous transmettent soit intégralement, soit légèrement modifiés, les communiqués de guerre de l’armée israélienne. Tous les jours il y a « conflit » entre des « belligérants au Proche-Orient». Tous les jours l’armée israélienne effectue des « frappes » en riposte aux lancés de missiles par le Hamas ou le Hezbollah. Tous les jours Israël n’agresse pas, n’attaque pas, il se « défend » contre une agression extérieure. Le journaliste ne peut nous expliqué comment il se fait qu’autant Olmert que Peretz ont annoncé il y a déjà quelques jours que l’offensive israélienne au Liban et à Gaza se poursuivrait encore pour des semaines peu importe que des roquettes soient lancées ou non sur Israël…Où est la « riposte » ?(5) Le Mur d’apartheid et de séparation est déjà construit depuis longtemps autour du bagne de Gaza.(6) « Cette société israélienne ne reconnaît plus aucune frontière, géographique ou morale » écrit l’intellectuel israélien et activiste antisioniste Michel Warschawski dans son livre « A tombeau ouvert : la crise de la société israélienne » ( 2003). « Israël ne connaît plus aucune limite ; il s’enfonce dans la violence quand il constate que sa tentative de faire plier par la manière forte les Palestiniens, et une Palestine ténue, est contrariée par ce peuple déterminé, empreint de dignité, qui refuse simplement de se soumettre et d’abandonner la résistance à l’arrogance d’Israël ». Counter Punch 17 juillet 2006. (7) http://www.aloufok.net/article.php3?id_article=3262 http://www.aloufok.net/article.php3?id_article=3261 (8) Israël a déjà, à plusieurs reprises dans le passé, procéder à l’échange de prisonniers avec la résistance palestinienne notamment, prisonniers qu’Israël tentait de capturer à nouveau aussitôt relaxer. C’est ce qui explique en partie qu’il y ait toujours 9000 prisonniers palestiniens dans les geôles israéliennes et quelques centaines de prisonniers libanais.(9) « Il n’y aura jamais de mots assez forts pour dénoncer l’attitude des trois pays arabes (Égypte, Arabie Saoudite et Jordanie) qui, au lieu de condamner l’agression criminelle israélienne, ont condamné l’enlèvement des deux soldats israéliens par le Hezbollah. Ce faisant, ils ont facilité le travail de la diplomatie américaine qui pousse Israël à toutes les extrémités. Ils œuvrent de plus pour semer la discorde entre sunnites et chiites au Machreq arabe. Je pense qu’à terme, cela risque de leur coûter cher, car nous savons très bien que les opinions publiques dans ces trois pays sont de cœur avec le Hezbollah. »(10) Agressions israéliennes répétées contre la Tunisie, l’Irak, l’Égypte, la Jordanie, la Libye, etc.(11) Counter Punch, 17 juillet 2006.
Robert Bibeau
bibeau.robert@videotron.net
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