Assez, c'est assez. Le maire de Montréal, Gérald Tremblay, est excédé. Il réclame la reprise des négociations entre le gouvernement du Québec et les étudiants. Sa ville a payé le prix. Les manifestations nocturnes ont passé le cap de la quarantaine de jours. Les frais d'encadrement policier atteignent les millions de dollars. Craignant le désordre, le Grand Prix de Montréal a annulé sa journée de portes ouvertes pour les fans de la F1. La saison des festivals est menacée. Les revenus hôteliers de Montréal sont déjà en déclin. Ils sont en baisse de plus de 10% par rapport à la même date l'an dernier.
Des étudiants incapables de négocier
L'appel du maire est surréaliste. Par deux fois déjà le gouvernement du Québec a négocié avec les étudiants pour tenter de mettre fin à la crise. Dans les deux cas, le processus n'a pas abouti. Le gouvernement du Québec avait pourtant été le seul à faire des concessions. Robert Mnookin, expert en négociation de Harvard, met en garde contre des pourparlers avec des leaders incapables de garantir la ratification d’une entente. Cela décrit bien les leaders étudiants.
Selon le gouvernement, 30 % des étudiants sont dans le mouvement de boycott des cours. La moitié d'entre eux appartient à une frange radicale, la CLASSE. Cette association pratique la démocratie directe sans aucune délégation d'autorité. Son porte-parole principal n'a aucun pouvoir. N'empêche, il s'exprime constamment dans la sphère publique. Il exige le gel des droits de scolarité et dénonce le gouvernement libéral de Jean Charest.
Un porte-parole extrême
Ce porte-parole, Gabriel Nadeau-Dubois, tient des propos visant à chauffer à bloc ses troupes. Il est par contre moins volubile lorsqu'il y a de la casse et des actes de sabotage économique comme le bloquage des ponts à Montréal ou l'envoi de bombes fumigènes dans le métro, qui suscitent l'ire des citoyens. Il se contente de dire que ces évènements sont regrettables mais qu'il n'a pas à les condamner.
Les leaders étudiants se sont lancés dans ce conflit avec l'appui financier des experts traditionnels du brasse-camarade québécois, les syndicats. Les chefs syndicaux ont d'ailleurs tenté de contribuer à la signature d'une entente de principe début mai à Québec. Les syndicats ont plutôt récolté les fruits de leur soutien enthousiaste initial. L'entente signée par les leaders étudiants a été rejetée par les membres rapidement parce qu'il ne contenait pas de gel des droits de scolarité.
Soutien surprise des médias
Les étudiants étaient gonflés à bloc, forts d'un allié surprise : les médias francophones québécois. Dès le début du conflit, les journalistes et les présentateurs des chaînes télé d'information continue, en particulier celle de Radio-Canada, se sont précipités vers les leaders étudiants à micro ouvert pour d'interminables entrevues faites sous un regard attendri. Les ministres du gouvernement libéral de Jean Charest ont eu droit à des entrevues plus courtes sur un ton hostile.
Même scénario dans les médias écrits. La grande majorité des chroniqueurs des quotidiens "Le Devoir" et "La Presse" ont pris fait et cause pour les étudiants. Alain Dubuc, éditorialiste à "La Presse", a lui même constaté cette dérive. Les chroniques d'humeur, écrit-il, appuient le mouvement étudiant et les textes analytiques approuvent les hausses. Les chroniqueurs d'humeur sont majoritaires. Certains d'entre eux ont délaissé la gastronomie, le cinéma et les questions culturelles le temps d'exposer leurs états d'âme sur le conflit étudiant. La couverture pro-étudiante a même été soulignée par les commentateurs vedettes du principal quotidien anglophone canadien, "le Globe and Mail".
Écrire en faveur de la hausse des droits de scolarité a un prix. Un groupe de manifestants a tenté de se rendre à la résidence privée d'un chroniqueur du "Journal de Montréal", critique du boycott étudiant. Les protestataires se sont trompés d'adresse. Ils se sont rendus en face d'une maison où se trouvait une jeune femme qui a eu droit, ébahie, aux quolibets de la foule.
L'opinion publique divisée
La couverture complaisante du point de vue étudiant a peu d'impact sur l'opinion publique québécoise. Même s'ils n'aiment pas vraiment l'idée d'une loi spéciale, les deux tiers des Québécois appuient les mesures de cette loi. La mesure la plus controversée oblige les manifestants à donner leur itinéraire à 8 heures d'avis et prévoit des amendes salées pour les contrevenants.
La loi, dénoncée jusqu'à l'ONU, a connu un début difficile avec la recrudescence de la casse et des centaines d'arrestations. Mais malgré une autre séance de négociation qui s'est terminée en queue de poisson, un calme relatif règne dans la métropole. Le fait saillant des manifestations est devenu le concert de casseroles, que l'on peut entendre tous les soirs. Le rituel réfère à la fronde citoyennecontre le régime Pinochet qui avait banni les manifestations. Quant à la déception de l'ONU face à la loi spéciale québécoise, on va espérer que l'organisme ne va pas retirer d'effectifs affectés à la Syrie pour réviser ce dossier.
Les droits de scolarité au Québec sont déjà les moins élevés en Amérique du nord, à 2.168 $. La hausse proposée les amèneraient à 3.946 $ en sept ans. La hausse est abrupte, 82%, mais elle constitue encore une aubaine. Voulant mettre un terme à la crise, le gouvernement du Québec a consenti à une hausse des bourses d'études pour les familles moins fortunées, une mesure qui garantit l'accessibilité à l'université. Québec a aussi mis au point un programme de remboursement des prêts proportionnels au revenu. Rien de cela ne satisfait les étudiants en boycott. Ce sera le gel des droits de scolarité ou rien.
Une rigidité des années 60
Cette rigidité date des années 60, de la Révolution tranquille. L'État a pris la place occupée par l'Église catholique, qui a perdu sa domination sociale et son autorité dans le système de santé et en éducation. La croissance de l'État s'est produite en plein baby-boom canadien. On rêvait d’une éducation universitaire gratuite, financée par l’État, sans apport de l'entreprise privée. On voulait un diplôme au service de la communauté, à l’abri des lois du marché et des besoins des employeurs.
C'était aussi l'époque de la théorie du développement moral égalitariste de Lawrence Kohlberg. Développer les enfants, c'était les aider à se mettre dans la peau des autres, dans une relation égalitaire. L’intervention des parents ou des autorités était vue comme un frein au développement. Cet égalitarisme sans respect pour l’autorité demeure au cœur des manifestations étudiantes.
La syndicalisation des travailleurs québécois a été massive de 1961 à 1970, pour atteindre 39%, tout cela dans un contexte de création d'emplois.
Solidarité est devenu le mot d’ordre. Les manifestations et les piquets de grève sont devenus de grands rituels. Ils n'épargnent même pas le premier ministre souverainiste René Lévesque. Après avoir consenti des hausses salariales généreuses aux employés de l'État en 1979, il les annule en 1983, récession oblige. Il est alors brûlé en effigie.
Un sort semblable attend Jean Charest 30 ans plus tard. La lutte contre la hausse des droits de scolarité est devenue une contestation de son autorité. Au pouvoir depuis neuf ans, son gouvernement est terni par des scandales liés à la corruption. Cette fronde ne profite pas aux partis d'opposition. Ni Pauline Marois qui dirige le parti souverainiste, ni le chef du nouveau parti de centre-droite, François Legault, ne génèrent l'appui de plus d'un électeur sur trois. Le rejet égalitariste de l'autorité se fait en bloc.
Jean Charest doit déclencher des élections avant la fin de 2013. Le prochain gouvernement n'aura assurément pas l'appui de la majorité de la population. Les égalitaristes auront beau jeu de bloquer tout choix politique qui ne leur convient pas. La fermeté s'impose. L’économie du Québec se détériore. La dette atteint 55% du PIB, la plus élevée au Canada. Les coffres du gouvernement fédéral sont vides. Jean Charest mise sur le développement minier du nord de la province pour hausser les revenus de l’État mais il se heurte à la méfiance égalitariste.
L’égalitarisme a été un facteur de cohésion remarquable au Québec. Mais il est couteux et mal adapté à un contexte économique difficile. Il rend le Québec ingouvernable. L’inflexibilité d’un seul groupe suffit à provoquer une crise. Le combat contre l’exclusion et la pauvreté doit se poursuivre.
Mais il faut aussi valoriser la fibre entrepreneuriale dont le Québec a cruellement besoin. Et reconnaître que le rôle d’un gouvernement n’est pas de satisfaire des caprices mais de prendre des décision dans l'intérêt de tous.