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Les policiers en guerre contre la Loi sur la police

L'État pèche par «excès de zèle» en congédiant sans appel des agents qui commettent un acte criminel

Brian Myles
Édition du jeudi 4 mai 2006

Mots clés : Québec (province), loi sur la police, policiers, jacques dupuis

Les policiers du Québec partent en guerre contre les dispositions de la Loi sur la police prévoyant le congédiement sans appel des agents qui commettent un acte criminel.

Personne au Québec ne perd son travail de façon automatique pour avoir commis un acte criminel. Personne sauf les policiers, qui en ont soupé d'être traités comme des citoyens «de second ordre» en vertu de la loi.

Dans un mémoire conjoint adressé au ministre de la Sécurité publique, Jacques Dupuis, la Fraternité des policiers de Montréal, la Fédération des policiers municipaux du Québec et l'Association des policiers provinciaux du Québec réclament l'abolition pure et simple de l'article 119 de la loi. «On finit par menotter les policiers avec toutes ces contraintes législatives excessives», écrit-on dans le document.

Tout policier reconnu coupable d'un acte criminel est destitué illico en vertu de l'article 119 de la Loi sur la police. Peu importe qu'il ait commis une erreur dans l'exercice de ses fonctions ou qu'il ait momentanément perdu la tête dans sa vie personnelle. La destitution est quasi inévitable. Pour y échapper, un policier doit prouver que des circonstances particulières justifient une autre forme de sanction.

Les trois associations représentent les 14 000 agents de juridiction provinciale. Elles déplorent dans leur mémoire commun le caractère «arbitraire» de cette loi, qu'elles associent à un «excès de zèle» de l'État. «On est le seul groupe de travailleurs à être confronté à une décision automatique comme celle-là, sans qu'on puisse faire valoir notre point de vue devant les tribunaux», explique Denis Côté, président de la Fédération des policiers du Québec.

La Loi sur la police est une création de l'ancien ministre de la Sécurité publique, Serge Ménard. Entrée en vigueur en 2000, elle découle en partie de l'affaire Barnabé. Quatre policiers avaient pu conserver leurs postes au Service de police de Montréal malgré leur condamnation pour voies de fait ayant causé des lésions corporelles à Richard Barnabé. Le chauffeur de taxi est décédé des suites de son arrestation, après avoir passé deux ans dans le coma.

La loi visait à éviter la répétition d'un pareil fiasco. Son application est perçue comme une forme de traitement injuste par les policiers, qui ont l'impression d'être «en dessous des lois». Ils souhaitent qu'un tribunal compétent évalue la sanction disciplinaire appropriée, en tenant compte des circonstances de la condamnation, de la nature de l'infraction, de sa gravité, du comportement du policier, de ses problèmes personnels et de l'état de son dossier disciplinaire et déontologique. «C'est comme si on ne reconnaissait plus la compétence des tribunaux. C'est pratiquement un désaveu du système judiciaire au complet», estime M. Côté.

Le mémoire cite comme exemple le cas véridique d'un policier de Montréal ayant été accusé de conduite dangereuse causant des lésions. Les faits concernant cette affaire sont plutôt simples. Le patrouilleur est entré en collision avec une autre voiture en tentant d'intercepter un fuyard. L'une des victimes de l'accident a subi une fracture du doigt, d'où l'accusation criminelle. «Alors, honnêtement, ce policier mérite-t-il la peine capitale pour cette infraction ? C'est pourtant ce qu'on lui réserve avec le libellé actuel de [la loi]», indique le document.

Les policiers s'en prennent également aux articles de la loi les obligeant à dénoncer les comportements irréguliers de leurs collègues et à collaborer aux enquêtes criminelles réalisées à l'interne. Ils voudraient des assouplissements afin d'obtenir le droit de consulter un avocat avant de faire leur déposition écrite. L'obligation de délation faite aux policiers devrait aussi être limitée aux infractions criminelles ayant déjà fait l'objet d'un examen préliminaire, suggère le mémoire. L'expérience des six dernières années démontre que la très grande majorité des plaintes ayant donné lieu à des enquêtes étaient dépourvues de fondement.

Selon Denis Côté, président de la Fédération des policiers du Québec, les membres du crime organisé exploitent les dispositions de la loi en multipliant les recours contre les policiers, ce qui a pour effet de mettre des carrières entre parenthèses le temps que la lumière soit faite sur des allégations souvent trompeuses.

En parallèle avec cette nouvelle offensive sur le front politique, les policiers se tournent aussi vers les tribunaux pour venir à bout de l'article 119.

La plus haute cour du pays entendra dans les prochains mois la cause de Danny Belleau, un policier de Lévis qui avait reconnu sa culpabilité à six des huit chefs d'accusation portés contre lui, notamment pour voies de fait et menaces de mort à sa conjointe, négligence relativement à trois armes à feu et bris d'engagement à ne pas s'approcher de son ex-conjointe.

Belleau a fait l'objet d'un renvoi en 2001, avant qu'un grief de la Fraternité des policiers de Lévis soit reçu par un arbitre du travail. Ce dernier a conclu que les drames familiaux, les problèmes psychologiques et les abus d'alcool du policier Belleau ont conduit celui-ci à perpétrer des actes criminels. Selon l'arbitre, il s'agissait de «circonstances particulières» ouvrant la porte à une autre sanction que la destitution. Il a donc réintégré Belleau, une décision renversée en Cour supérieure puis rétablie en Cour d'appel. Le dernier mot reviendra donc à la Cour suprême.

Lors de l'étude de la Loi sur la police, la Commission des droits de la personne avait indiqué que l'article 119 violait la Charte québécoise des droits et libertés puisqu'il ne subordonne pas le renvoi du policier à l'existence d'un lien entre l'infraction criminelle commise et l'emploi. Selon le mémoire des policiers, seules les infractions remettant en cause l'intégrité de la fonction devraient être prises en considération. Mais surtout, le policier fautif devrait avoir la chance d'expliquer les circonstances du crime, croient-ils.

De 1999 à 2004, 321 policiers du Service de police de Montréal (SPVM) ont fait l'objet d'une enquête criminelle. Sept d'entre eux ont été reconnus coupables. À la Sûreté du Québec, 349 agents ont fait l'objet d'une enquête de 2000 à 2002. Quatorze d'entre eux ont été reconnus coupables. Le mémoire des trois syndicats policiers reste muet quant au nombre de policiers qui ont finalement été renvoyés.

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