Québec doit empêcher les poursuites abusives contre les groupes populaires
Le jeudi 19 juillet 2007
François Cardinal
La Presse
Les poursuites abusives contre des groupes de citoyens constituent une «menace» à la démocratie et un «véritable détournement» de la justice. Le gouvernement doit donc intervenir pour protéger la participation de tous au débat public.
Voilà la conclusion du groupe d'experts mandaté par le gouvernement québécois pour étudier la question des SLAPP, un acronyme anglais désignant les «poursuites stratégiques» entamées par des entreprises dans le but d'intimider et de museler leurs opposants.
«Le phénomène du recours aux poursuites-bâillons est un phénomène réel, bien qu'il ne fasse pas l'objet d'une pratique systématique au Québec», indique le comité d'étude présidé par le professeur Roderick A. Macdonald, titulaire de la chaire en droit public et constitutionnel de l'Université McGill.
Commandée en octobre dans la foulée de la poursuite abusive présumée intentée par un ferrailleur contre l'Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique (AQLPA), l'analyse des trois juristes détaille une à une les solutions possibles à ce problème. Ceux-ci se gardent toutefois d'en recommander une en particulier. «Il apparaît nécessaire d'intervenir de telle façon que ces pratiques soient découragées», se contentent-ils de préciser.
Le concept des SLAPP (Strategic Lawsuit Against Public Participation) est fort simple: une compagnie riche entreprend des poursuites sans fondement dans le seul but d'épuiser financièrement les groupes qui osent la critiquer. L'objectif est de les ruiner en frais d'avocats ou en primes d'assurances trop élevées.
«Ces pratiques, précisent le comité d'étude, visent essentiellement à forcer ces individus ou ces regroupements à limiter leur activité publique, ou encore, à censurer leurs déclarations en les impliquant dans des procédures juridiques coûteuses dont ils ne peuvent généralement pas assumer les frais. Il s'agit ainsi d'une forme d'intimidation judiciaire.»
Les SLAPP constituent ainsi une menace pour la libre participation des citoyens au débat public. Car lorsqu'un individu ou un groupe est visé par une poursuite-bâillon, peu de possibilités s'offrent à lui: garder le silence, de peur d'être ruinéou se battre et risquer d'y laisser tout son argent (ou son assureur).
Plus habituelle aux États-Unis où 25 États ont légiféré sur la question et 10 autres étudient actuellement la question, la pratique des SLAPP est récente au Québec. Plusieurs cas présumés ont été recensés ces dernières années, mais celui qui a menacé de fermeture l'AQLPÀ est certainement le plus spectaculaire.
L'histoire remonte à 2005, année où l'organisme écologiste demande une injonction contre les pratiques jugées polluantes d'American Iron and Metal (AIM). Spécialisée dans le recyclage des métaux, elle souhaite déchiqueter des voitures sur un ancien dépotoir de Lévis, ce que l'empêche de faire les écolos, qui réussissent à reconduire l'injonction à plusieurs reprises.
Exaspérée, AIM intente alors une poursuite de 5 millions de dollars, ce qui fait fuir l'assureur de l'AQLPA, la Promutuel Dorchester. Sans assurance, l'Association ne peut plus poursuivre ses activités et menace de fermer, jusqu'à ce qu'un nouvel assureur entre en scène in extremis.
Pour éviter de telles situations, ces combats à la David contre Goliath, les trois juristes proposent ainsi trois approches qui peuvent être privilégiées dans le contexte juridique actuel: une loi anti-SLAPP comme il en existe aux États-Unis, une modification au Code de procédure civile ou un texte législatif permettant de protéger la participation publique.
Une consultation publique aura lieu à l'automne sur la question, dans le cadre d'audiences plus larges menées par l'Assemblée nationale. Le ministre de la Justice, Jacques Dupuis, prendra ensuite une décision.
Pour lire le rapport intégral: www.justice.gouv.qc.ca/francais/publications/rapports/pdf/slapp.pdf