Rachida Azdouz

Rachida Ardouz

Accommodements raisonnables : il y a rupture du lien de confiance

Les demandeurs d’accommodements religieux risquent d’utiliser les tribunaux jusqu’à l’extrême limite, craint Rachida Azdouz

Tout n’a pas été dit sur les accommodements raisonnables, notamment par ceux-là mêmes qui travaillent sur le concept. Selon Rachida Azdouz, spécialiste des relations interculturelles et vice-doyenne aux études et au développement à la Faculté de l’éducation permanente, les évènements qui ont marqué l’actualité récemment montrent la nécessité d’un débat de fond qui doit être pris en charge par la société civile et non être laissé aux seuls juristes.

Psychologue de formation, Mme Azdouz participait il y a deux semaines à un «débat croisé» sur l’intégration des immigrants en France et au Québec organisé par la Délégation du Québec à Paris. À son avis, la notion d’accommodement doit être révisée et bonifiée à partir d’une réaffirmation des acquis de la modernité et d’un nouveau consensus à établir à l’égard du pluralisme.

Le problème: les accommodements religieux

«Mettons tout de suite au clair que la controverse ne porte que sur les accommodements pour raisons religieuses, précise-t-elle d’emblée. Ce qui doit être remis en question, ce n’est pas le principe d’accommodement comme tel, mais la définition du raisonnable en contexte religieux.»

Appelant haut et fort un «débat citoyen» sur le sujet, Rachida Azdouz demande dans l’immédiat aux administrateurs d’établissements publics, notamment les universités, de ne pas aller plus loin que ce qu’exige la charte des droits quant à la liberté de religion. «Dans le contexte actuel, aller au-delà serait imprudent et préjudiciable», estime- t-elle.
Jusqu’à maintenant, la directive était de consentir de façon large aux demandes d’accommodement dans la mesure où elles n’imposaient pas de contraintes excessives à l’établissement. C’est dans cette foulée qu’ont été prises des décisions décriées par tous comme la consigne donnée aux policières à l’égard des juifs hassidim ou le refus du CLSC Parc-Extension de permettre la présence des hommes aux cours prénataux.

Selon Mme Azdouz, ces décisions, de même que le jugement de la Cour suprême sur le kirpan et l’avis de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse sur la salle de prière à l’École de technologie supérieure, ont provoqué dans la société une rupture du lien de confiance avec les instances juridiques parce qu’on a accordé une importance hiérarchique indue à la religion.

«Ces causes nous ont fait prendre conscience que, si aucune limite n’est imposée aux groupes religieux orthodoxes, ils utiliseront les tribunaux jusqu’à l’extrême, mentionne-t-elle. La population réalise que ce sont les tribunaux qui gèrent la vie sociale et qu’il y a là un risque grave de dérive.»

Les contacts qu’elle maintient avec certaines communautés lui permettent de confirmer ce que bien des gens pensent: certains demandeurs visent principalement à occuper l’espace politique.

Responsabiliser les leaders

Pour la psychologue, le concept de contrainte excessive ne suffit plus à encadrer des décisions éclairées. Pour ce qui est du kirpan, par exemple, elle considère comme déraisonnable d’en permettre le port dans un endroit comme l’école, qui lutte contre toutes les formes de violence, y compris la violence symbolique. En ce qui concerne la burqa ou le tchador, elle souligne que de tels signes peuvent être agressants eu égard à la philosophie sociale que le Québec moderne veut partager avec tous les groupes sociaux.

«Le pluralisme n’est pas une juxtaposition de groupes qui ne se rencontrent pas, souligne- t-elle. Se voiler le visage exprime un refus de rencontrer l’autre et de vivre avec lui.»
Rachida Azdouz interpelle également les chefs religieux, qu’elle invite à plus de responsabilité. «La jurisprudence, qui évolue vers une attitude de plus en plus favorable aux accommodements religieux, leur laisse croire qu’il suffit de demander. Mais ces leaders ont aussi la responsabilité d’aider les établissements à trouver des solutions et de contribuer à une société viable et harmonieuse.»

Dans une société pluraliste où des dizaines de normes religieuses coexistent, l’harmonisation des rapports sociaux peut nécessiter la «modération» de certaines formes orthodoxes de pratique, croit la psychologue.

Des états généraux?

Pour bonifier la notion d’accommodement raisonnable et faire contrepoids à l’approche juridique, Mme Azdouz souhaite que le débat citoyen réaffirme le caractère non négociable des acquis de la Révolution tranquille, dont l’égalité des sexes, la démocratie, la liberté de conscience – qui inclut la liberté de ne pas croire –, la neutralité de l’État et l’importance de concilier les droits de chacun.

En outre, elle est d’avis que d’autres consensus sont maintenant nécessaires. Ici, la spécialiste passe en mode interrogatif. Compte tenu des irritants et de l’envahissement du religieux dans la sphère publique, pourrait-on imiter la France et proscrire le hidjab à l’école? Ou faire comme les Pays-Bas, qui viennent d’interdire le port de la burqa en public? Peut-on convenir que la laïcité de l’État – qui reste à affirmer – a pour conséquence que les écoles et les universités n’ont pas à fournir de lieux de prière?

Comme ce débat est l’affaire de tous les citoyens, y compris des groupes religieux, elle souhaiterait en fait la tenue de véritables états généraux sur la place de la religion dans la sphère publique.

«Si certaines valeurs ne conviennent pas à certaines communautés religieuses, qu’elles le fassent valoir dans le débat public et non en utilisant les tribunaux», signale Rachida Azdouz.

Elle-même immigrante, la vice-doyenne n’a pas manqué de décocher quelques flèches à Mario Dumont, qui a ciblé les immigrants dans sa déclaration controversée sur les accommodements raisonnables. «L’égalité des sexes, la laïcité et la démocratie ne sont pas l’apanage des Québécois de souche, fulmine-t-elle. Plusieurs immigrants ont défendu ces valeurs au péril de leur vie. Et des accommodements sont aussi accordés par des communautés chrétiennes.»

Rachida Azdouz travaille présentement à la rédaction d’un texte à paraitre au printemps dans un ouvrage collectif où elle abordera la question des accommodements religieux dans les services sociaux et de santé.

Daniel Baril

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