L’archéologue urbain à l’Île des Soeurs

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May 22nd, 2010

Contribué par Alexandre Lefrançois Leduc, un étudiant à la maîtrise en archéologie à l'Université de Montréal

Le rôle de l’archéologie dans l’aménagement urbain est souvent occulté par un sentiment pressant de nouveauté et de transformation. On cherche à revitaliser un site, on veut le refaire, le rentabiliser, le remettre au goût du jour sans trop se soucier des dommages inapparents que de telles interventions occasionnent.

Certains organismes bien connus de défense du patrimoine tentent tant bien que mal de protéger notre héritage architectural apparent, anciennes fabriques du canal Lachine, édifices historiques du Vieux-Montréal, vestiges industriels de Pointe-Saint-Charles… des signes du passé que tous aperçoivent de la fenêtre de leur bureau, des témoins qui, du fait de leur visibilité, obtiennent parfois l’attention de l’opinion publique quant à leur conservation et/ou restauration. Quand on annonce la destruction d’un fier survivant de la grande noirceur urbanistique des années 60, on s’indigne, on revendique et on cherche, avec raison, à conserver la mémoire du site. Même si cette mémoire consiste trop souvent en une plaque de bronze ou un marquage au sol qui seront oubliés dans un coin sombre d’un nouveau développement. Qui a entendu parler du roc irlandais?

En réalité, une grande partie de ce patrimoine repose sous nos pieds, à l’insu de la grande majorité des gens qui y circulent sans prêter attention au lieu où ils sont, à la rue où ils passent, au parc où ils dînent. Combien de gens à l’extérieur de ce blogue savent que la place du Canada est en réalité un ancien cimetière? Que sous la rue Bridge menant au pont Victoria sont enterrés des milliers d’Irlandais? Que Westmount, Côte-des-Neiges et Outremont renferment des dizaines de sépultures préhistoriques, que sous un stationnement de la place d’Youville se trouve l’ancien parlement du Canada ou encore qu’on retrouve un ancien village amérindien face à l’université McGill?

Il est beaucoup plus sexy j’en conviens de rêver d’une nouvelle gare intermodale ou du réaménagement du Quartier des Spectacles que de la protection ou la mise en valeur d’un site archéologique. Malgré tout, une grande ville qui croît (et se respecte!) doit nécessairement protéger les témoins de son histoire, même ceux situés sous terre. Ouvrez l’œil, un Montréal différent est sous vos pieds!

Le site Leber à l’Île-des-Sœurs : destruction annoncée?

« Quatre grues en action, trois bâtiments à construire, 1,2 million de pi2 de superficie, 27 M$ de travaux routiers, 3 000 employés déplacés : le déménagement de Bell Canada à L'Île-des-Soeurs est le chantier privé de la décennie dans la région de Montréal. Ça se sent ! » - Journal Les Affaires, avril 2007

La pointe nord de l’Île-des-Sœurs, livrée aux promoteurs privés notamment pour la construction du campus Bell, fait présentement l’objet de plusieurs excavations dans le cadre du projet résidentiel Pointe-Nord, qui prévoit la construction de 1 600 unités d’habitation, d’espaces commerciaux et l’aménagement de trois parcs d’ici à 2020.

On sait depuis plus de cinquante ans que la pointe nord-est de l’île recèle deux sites archéologiques d’importance. Le premier, dont l’occupation débuterait à près de 900 ans avant notre ère, est un site préhistorique amérindien où l’on a notamment retrouvé des outils de pierre et des fragments de poterie. Le second, le domaine agricole de Jacques Leber, fut occupé dès le XVIIe siècle; on y a notamment retrouvé lors de fouilles en 1995 certains vestiges du manoir, de la boulangerie, de l’étable, d’une soue à cochons et d’un muret de protection. Dans sa description des lieux, le ministère de la culture nous dit que « la conservation future de ce site réside surtout dans sa valeur d'évocation […] ».

C’est précisément ce que s’apprêtent à faire les promoteurs du projet, qui prévoient la construction en partenariat avec la ville de Montréal d’un parc qui « reflétera l'histoire de l'île », évoquant la présence de l’ancien domaine. J’ai récemment visité le chantier, voici deux petits exemples de ce que j’y ai découvert, au travers des monticules de terre et de déchets présents sur le site :

Une rapide recherche Internet nous apprend que ces fragments de terre cuite datent probablement de la première moitié du XIXe siècle, soit à l’époque approximative de la construction des derniers bâtiments du domaine Leber. Pourraient-ils s’agir d’objets ayant appartenu à Jacques Leber ou à ses descendants? Impossible de le savoir désormais, tout étant hors contexte archéologique, mêlé à des déchets de construction de plastique, de verre ou autre, à moitié enfouis sous un champ de gravier.

Sur une note moins archéologique et pour en rajouter on peut clairement apercevoir qu’un petit marais situé dans le boisé au nord-est de l’île a été partiellement remblayé et détruit par les constructions voisines.

Heureusement, nous dit-on, les futurs résidents vivront dans une éco-communauté : « dans une collectivité verte, le développement durable, la qualité de vie et la protection de l’environnement sont pris en considération dans chaque aspect de la planification, de la conception et de la construction ». On repassera.

w5.montreal.com

Un village autochtone découvert sous le centre-ville

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