Publié le 01 juin 2012
Frédérick Lavoie, collaboration spéciale |
(Moscou) Après des mois de manifestations contre le régime Poutine, la Douma russe est en voie d'adopter une loi restreignant le droit des citoyens de se rassembler.
Exit les manifestants masqués, interdite, l'incitation au rassemblement illégal, bienvenue, amendes salées. Maintenant que Vladimir Poutine est réinstallé au Kremlin pour six ans, il serre la vis à ses opposants en modifiant la loi.
Au plus fort de la contestation qui a suivi les législatives de décembre dernier, jugées «frauduleuses» par l'opposition, le pouvoir a dû consentir à laisser s'exprimer le mécontentement populaire, allant même jusqu'à annoncer des réformes politiques.
C'est désormais chose du passé. Alors que la mobilisation s'essouffle et que les opposants organisent des «promenades populaires» de quelques personnes et des sit-in pour irriter les autorités faute de mieux, le parti de Poutine s'affaire à réduire comme une peau de chagrin la possibilité de manifester.
La dernière grande manifestation du 6 mai, la veille de la cérémonie d'inauguration de Poutine, a dégénéré en heurts entre police et opposants et aura fini d'épuiser le dernier bout de patience du pouvoir.
Selon le projet de loi qui devrait être adopté dans les prochains jours à la Douma (Chambre basse), les simples participants à des manifestations illégales encourront des amendes variant entre 10 000 et 300 000 roubles (310$ à 9350$). C'est tout de même cinq fois moins que ce que le projet de loi prévoyait en première lecture. Les sanctions envers les leaders d'organisations ou partis impliqués dans le rassemblement pourront atteindre l'équivalent de 18 700$, et celles contre les personnes juridiques, jusqu'à 31 000$.
«L'incitation préalable et l'appel à se rassembler massivement à un moment donné», lancés dans le monde virtuel ou réel, pourront entraîner des amendes maximales de près de 10 000$.
Seuls Guennadi Goudkov et Ilia Ponomarev, deux députés de l'opposition de gauche très actifs dans la rue, se sont efforcés de faire dérailler le projet de loi en proposant 357 amendements cette semaine, mais chacun a été lu et rejeté en 10 secondes en moyenne.
Le député Ponomarev a notamment suggéré que, puisque les manifestants n'auraient plus le droit d'être masqués, les policiers casqués devraient porter un macaron numéroté pour être facilement identifiable en cas d'usage disproportionné de la force.
Le parti au pouvoir a promis de tenir compte des inquiétudes du (peu influent) conseiller aux droits de la personne du président, Mikhaïl Fedotov, selon qui le projet de loi «sème le doute sur la réalité du droit constitutionnel des citoyens de se rassembler pacifiquement, sans armes». M. Fedotov a dit craindre que la loi mène à une radicalisation des manifestants et ne fasse qu'empirer la situation.
Ces renforcements législatifs ne viennent que restreindre un droit de rassemblement déjà bien encadré en Russie. Depuis quelques années, la mairie de Moscou exige que les organisateurs l'informent au préalable du nombre de participants à leur rassemblement.
Cette semaine, l'opposition s'est vu refuser la tenue de sa «marche des millions» le 12 juin prochain. Selon les leaders anti-Poutine, le pouvoir cherche à les contraindre à manifester illégalement, pour ensuite appliquer illico sa loi et les neutraliser sur le long terme. La législation prévoit en effet que les personnes condamnées à des peines administratives (variant d'une amende à 15 jours de détention) ne pourront organiser d'événements publics pour une durée d'un an.
Selon un sondage mené récemment par le Centre panrusse d'étude de l'opinion publique (VTsIOM), la plupart des dispositions de la loi sont appuyées par plus de 60% des Russes. Seule l'imposition d'amendes salées aux contrevenants divise les répondants: 45% l'appuient, alors que 41% sont contre.