Toilette pour chiens
Balafres d’urine dans la neige immaculée
Toilette pour chiens
Le Magazine
Article mis en ligne le 18 décembre 2007 à 12:55
Autrefois, je me promenais souvent dans le petit boisé de L’Île-des-Sœurs, ce haut lieu de la nature, reconnu pour la richesse et la rareté de sa faune, cette oasis de tranquillité protégée pour les générations futures grâce aux efforts et aux millions, notamment de Nina Gould.
Tous les matins, tous les soirs, du lundi au dimanche, religieusement, beau temps mauvais temps, hiver comme été, pendant quelques minutes bénies, j’étais dans les bois, protégé des songes funestes par le silence magistral de la forêt cathédrale.
Mais à cause des chiens en liberté et des dégâts sanitaires qu’ils produisent, je n’y vais plus. Obligé de me promener les yeux rivés au sol pour ne pas marcher dans les tas de merde posés en sentinelle ici et là, effrayé par l’arrogance des maîtres qui se croient au-dessus des lois, intimidé par leur mépris, je ne trouvais plus dans ce sanctuaire recyclé récemment en aire d’exercice pour chiens, la paix propice au recueillement.
Je l’avoue candidement, ces balafres d’urine dans la neige immaculée, partout dans le boisé, le long des chemins et au pied des arbres majestueux, m’attristent.
Ces cacas infects qui m’agressent ici et là sur les sentiers tortueux, me dégoûtent.
Ces sacs en plastique pleins de crottes, et semés à tout vent sur la magnifique clintonie boréale, le doux populage des marais, et l’austère arisème petit-prêcheur, me laissent songeur.
Ces poubelles débordantes d’excréments bloquant mon passage comme des terroristes en arme me font frissonner.
Ces effluves d’égout qui planent comme des charognards sur le parfum des prairies et des fleurs sauvages m’exaspèrent mortellement.
Si ça continue, avant longtemps, il n’y aura plus de chouette rayée, de nyctale, de grand-duc, de renard et de raton laveur. Ces êtres timides par nature n’aiment pas être dérangés par ces maîtres loups du dimanche qui profanent impunément un de nos plus beaux hymnes à l’amour.
À la place, nous aurons une toilette pour chiens.
Charles Danten, L'Île-des-Sœurs