Je cherchais les mots depuis le début de la manifestation contre la brutalité policière et c'est Francis Bourgouin, de la boutique d'informatique à l'angle de Sainte-Catherine Est et Sanguinet, où je m'étais réfugiée, qui les a trouvés.
«Dans le fond», a-t-il laissé tomber en regardant les arrestations massives qui se déroulaient sous nos yeux, «dans le fond, ils s'allument les uns les autres».
Exactement.
Ils s'allument. Comme dans un ballet, un tango, une réaction chimique. Les manifestants cherchent la brutalité policière pour mieux exprimer leurs récriminations. Les policiers, eux, trouvent dans l'agressivité de certains manifestants leur raison d'être là.
L'adrénaline coule à flots des deux côtés. La tension alimente l'énergie ambiante.
Un petit vendredi ordinaire de mars devient soudainement totalement allumé.
Chaque fois que je couvre des manifestations, surtout depuis l'an dernier, j'ai le même sentiment que ces gens ont besoin les uns des autres. Pour le rush, pour avoir une bonne raison de faire ce qu'ils font. D'un côté, hurler et exprimer violemment leur colère. De l'autre, imposer l'ordre par la force, avec tout le panache normalement confiné au cinéma et qui peut, là, être exprimé pour vrai, en long et en large.
Encore hier, entre les gyrophares allumés partout, les hordes de véhicules policiers traversant la ville en trombe, les paniers à salade, les vélos, les chevaux, la manif est rapidement devenue un déploiement spectaculaire d'arsenaux. On s'y serait cru sur une sorte de plateau de théâtre.
D'ailleurs, tout le long du parcours, à cette manif comme aux autres, les badauds filmaient, photographiaient, observaient et commentaient la scène.
Très étrange.
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Dans les commerces, pendant ce temps, on ne s'énerve pas beaucoup. Ici et là, on baisse une grille, ou alors on verrouille la porte. Mais personne n'est terrorisé.
«Le vrai problème, ce ne sont pas les vitres cassées, c'est l'impression que les médias laissent que c'est pire que ce que c'est», m'explique M. Bourgoin.
Pour chaque vitrine fracassée qui tourne en boucle aux chaînes d'information continue, des milliers de banlieusards trouvent une nouvelle excuse de ne pas venir en ville.
Mais le vrai problème du centre-ville, qui dit voir sa fréquentation baisser, est-ce la possibilité d'une manif ou tous les DIX30 de ce monde qui font tout pour attirer des clients vers leurs parkings de périphérie?
Le problème du centre-ville, est-ce la possibilité d'une manif ou la convivialité de nos transports en commun? Est-ce une bande de voyous qui provoquent sans difficulté des policiers trop vite sur la matraque ou est-ce l'étalement urbain et toutes les politiques gouvernementales qui ne sont pas là, ou ont trop tardé, pour encourager les familles à revenir en ville?
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Cela dit, bien des commerçants du centre-ville en ont marre des manifestations et on peut les comprendre.
Même si l'étalement urbain est le réel problème crucial, le brasse-camarade n'aide pas du tout la vitalité du centre-ville. C'est clair.
Un restaurateur à qui j'ai parlé hier m'a dit que son chiffre d'affaires avait été grandement affecté à la baisse depuis l'an dernier. Il voit les annulations. Entend les craintes des clients.
Cette réalité doit être entendue par les marcheurs.
Personne n'a intérêt à ce que le centre-ville s'affaiblisse et ça, les gens de gauche qu'on croirait bien représentés chez les manifestants devraient être les premiers à le comprendre, non?
Peut-être que leurs amis devraient expliquer aux camarades qu'en mettant le centre-ville à l'envers, certes ils se font entendre, mais ils jouent aussi le jeu de l'étalement urbain.
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Clairement, les marches des dernières semaines ne sont pas celles de l'an dernier. Elles sont moins nombreuses. Moins diversifiées. On ne voit pas de familles, de grands-mamans, de poussettes. L'agressivité est plus dense. La frustration, qui est palpable, n'est plus la même et on se doute que ses sources dépassent largement la colère contre la police ou l'augmentation des droits de scolarité.
Mais comment l'entendre? Comment la transformer en énergie créative?
Dans un monde idéal, ne devrait-on par faire voyager ces jeunes?
Les envoyer en Espagne ou en Grèce, où les taux de chômage sont à 56% dans leur groupe d'âge. Les emmener en Iran étudier la brutalité policière et la répression, au Malawi entendre d'autres jeunes leur parler de pauvreté et d'accès universel aux soins de santé. Pourquoi ne pas leur montrer les États-Unis pour discuter avec d'autres jeunes couples pour voir comment ils planifient, eux, l'organisation de leur famille, sans accès aux garderies subventionnées, sans congés de maternité dignes de ce nom? On pourrait aussi leur offrir une visite en Russie ou en Ukraine, histoire de travailler sur la liberté d'expression...
Et ceux qui ont peur de l'avion, je les mettrais par courrier en contact avec des jeunes en Haïti ou en Irak, pour qu'ils leur expliquent, oui, qu'ils leur expliquent comment c'est terrible, la vie ici.
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