Le sanctuaire taliban
Michèle Ouimet
La Presse
25 février 2009
Le mollah Fazlullah. Un pur et dur. Son père a combattu les Soviétiques en Afghanistan, puis il a fondé un parti islamiste radical au Pakistan.
Fazlullah a de qui tenir. Il est plus fondamentaliste, plus inflexible que son père. Depuis deux ans, il règne sur la vallée de Swat, située à 150 kilomètres d'Islamabad, la capitale du Pakistan.
Fazlullah s'impose par la terreur. Tous les soirs, vers 20 h, les habitants de la vallée de Swat écoutent la radio, raconte le New York Times. Un taliban défile la liste des interdits : défense de vendre des CD, d'écouter la télévision, de chanter, de critiquer les talibans, d'envoyer les filles à l'école... Puis suivent les noms des gens qui ont été tués ou décapités parce qu'ils ont osé désobéir.
Les hommes de Fazlullah ont fermé 400 écoles et ils en ont incendié 170. Exécutions publiques, assassinats, flagellation. La population, terrorisée, a commencé à fuir la région.
Le gouvernement pakistanais a tenté de chasser les 3000 talibans installés à Swat. En vain. Ses 20 000 soldats ont été incapables de les déloger.
La semaine dernière, Islamabad a capitulé. Il a signé une trêve avec le mollah Fazlullah, qui s'est empressé d'imposer la loi islamique, la charia. Une partie du nord-ouest du Pakistan vit donc sous la coupe des talibans avec la bénédiction d'Islamabad.
Cette capitulation du gouvernement pakistanais a semé la consternation chez les Occidentaux. Le porte-parole de l'OTAN a parlé «d'extrémisme aigu» qui bénéficie désormais d'un «sanctuaire».
La vallée de Swat fait partie de la province de la Frontière du Nord-Ouest qui longe l'Afghanistan. C'est dans cette province que se situe le Waziristan, fief d'Al-Qaeda et de Baitullah Mehsud, le chef des talibans pakistanais.
Si le Pakistan a baissé les bras pour la vallée de Swat, pourquoi ne le ferait-il pas pour la province tout entière qui pourrait, à son tour, basculer dans le camp taliban?
Baitullah Mehsud n'a rien à envier au mollah Fazlullah. C'est lui, croit Islamabad, qui a organisé l'assassinat de Benazir Bhutto, lui qui a planifié une vingtaine d'attentats suicide, lui qui est derrière l'explosion d'une bombe au chic hôtel Marriott à Islamabad où 60 personnes ont péri.
Et tout ce beau monde - Baitullah Mehsud, les combattants d'Al-Qaeda, le mollah Fazlullah et les talibans afghans - se réfugie dans le Waziristan ou le Swat et planifie des attaques : l'hôtel Serena à Kaboul, tentatives d'assassinat contre le président afghan Hamid Karzaï, évasion spectaculaire de 400 prisonniers talibans de la prison de Kandahar...
Impossible de gagner la guerre en Afghanistan sans d'abord éliminer la base arrière de ces terroristes. Poussé par les Américains, le gouvernement pakistanais essaie de les déloger en bombardant la région, mais les résultats sont mitigés.
C'est dans ce contexte explosif qu'il faut situer la capitulation d'Islamabad devant les talibans de la vallée de Swat. Le mollah Fazlullah est d'ailleurs un allié de Baitullah Mehsud.
Le Pakistan n'arrive pas à imposer son autorité sur la turbulente province de la Frontière du Nord-Ouest. Sa démission devant Fazlullah en dit long sur son impuissance.
Islamabad vient d'offrir un sanctuaire aux talibans les plus radicaux du Pakistan en signant une trêve avec le mollah Fazlullah. À quand la reddition devant Baitullah Mehsud?
L'année dernière, j'ai passé une semaine à Peshawar, la capitale de la province de la Frontière du Nord-Ouest. J'étais à Kaboul, en Afghanistan, et j'ai fait le trajet par la route. Quand j'ai traversé au Pakistan, un soldat a pris place dans l'auto. Pour se rendre à Peshawar, il fallait traverser la zone tribale.
«Pour votre protection, madame», m'a-t-il dit.
À Peshawar, l'atmosphère était à couper au couteau. Attentats suicide, magasins de CD saccagés, enlèvements d'étrangers, femmes cachées sous leur burqa.
J'ai rencontré le puissant mollah Yousah Qureshi dans sa magnifique mosquée nichée au coeur du bazar. Un homme intransigeant qui a lancé une fatwa contre le journaliste danois qui a caricaturé Mahomet:un million pour sa tête sur un plateau.
En caressant sa longue barbe blanche, le vieux mollah m'a expliqué sa notion de la «démocratie» entre deux appels du muezzin et une gorgée de thé : charia et république islamique où les mollahs guident les élus. Son modèle : l'Iran.
J'ai aussi rencontré des militants des droits de l'homme qui tremblaient devant la montée des talibans.
Aujourd'hui, ils doivent être catastrophés.
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L'automne dernier, pendant la campagne électorale, Barack Obama a promis de délaisser l'Irak pour se concentrer sur l'Afghanistan, là où se déroule la «vraie» guerre, celle que les Américains doivent gagner s'ils veulent mettre fin au terrorisme. Une «guerre juste» (good war), avait alors écrit le magazine Newsweek.
Barack Obama est en poste depuis à peine un mois et déjà, la réalité le rattrape. «Afghanistan is hard to fix», a précisé Newsweek la semaine dernière. «Al-Qaeda est au Pakistan». «La guerre juste n'est peut-être pas aussi juste qu'on le pense», a conclu l'influent magazine.
Olivier Roy, chercheur au Centre national de la recherche scientifique à Paris et grand spécialiste de l'Afghanistan, a résumé le dilemme afghan en une phrase : «Il n'est pas possible de gagner militairement cette guerre et il n'est pas possible non plus de quitter l'Afghanistan en le laissant dans le chaos.»
Alors je pose la question : qu'est-ce qu'on fait?