Nathalie Collard
Éditorial - La Presse
lundi 21 janvier 2008
Le magazine Macleans devra-t-il s’excuser d’avoir publié les opinions tranchées d’un chroniqueur à propos de la communauté musulmane ?
En octobre 2006, l’hebdomadaire publiait le chapitre d’un livre de Marc Steyn intitulé The Future Belongs to Islam. Chroniqueur vedette de la presse conservatrice, Steyn est reconnu pour ses écrits chocs à l’endroit des musulmans. Dans l’extrait en question, il décrit l’évolution démographique des pays européens et la compare à celle des pays musulmans, laissant entendre qu’à moyen terme, l’Europe sera ni plus ni moins « envahie » par des extrémistes islamistes et des femmes voilées Quatre étudiants en droit, appuyés par le Conseil islamique canadien (CIC), ont porté plainte, estimant qu’il s’agissait de propos islamophobes. Après avoir exigé - et s’être vu refuser - le droit de publier une très longue réplique dans les pages de Macleans (la direction leur a plutôt suggéré de s’exprimer comme les autres lecteurs, dans les pages prévues à cet effet), le CIC a porté plainte auprès des commissions des droits de la personne canadienne et ontarienne, ainsi qu’auprès du tribunal des droits de la personne de la Colombie-Britannique. Ce dernier a accepté d’entendre la cause, ce qui sera fait en juin prochain.
L’affaire n’a pas fait grand bruit au Québec, mais elle passionne les journalistes du Canada anglais. Avec raison.
Nos voisins du ROC voient dans cette manoeuvre du CIC une tendance inquiétante, soit le réflexe pour des groupes de pression d’avoir recours aux tribunaux des droits de la personne pour faire taire des propos qui leur déplaisent. Dans le document du CIC, les auteurs accusent Macleans de journalisme discriminatoire et lui reprochent de véhiculer des stéréotypes à l’endroit de la communauté musulmane. Selon plusieurs juristes, ces accusations ne tiendraient pas la route à la lumière des lois sur la diffamation et la propagande haineuse. Le CIC devrait, entre autres, faire la preuve que les propos de Steyn incitent à la haine à l’égard de la communauté musulmane, ce qui constitue un crime au Canada. Or la démonstration du CIC est loin d’être convaincante.
Les journalistes québécois doivent-ils s’inquiéter ? Oui et non. Dans l’éventualité où le tribunal de la Colombie-Britannique se prononçait en faveur du CIC, il n’y aurait pas d’impact direct au Québec, où notre propre commission des droits de la personne n’est pas tenue de prendre en considération les jugements prononcés dans d’autres provinces. Par contre, une victoire du CIC pourrait inciter d’autres groupes à utiliser la commission des droits pour tenter de limiter la liberté de parole des chroniqueurs, blogueurs et autres journalistes d’opinion. Dans un univers médiatique bruyant où les débats portant sur la liberté de religion sont parfois enflammés, des groupes peu tolérants aux idées différentes des leurs pourraient être tentés d’emprunter cette voie. D’autant plus qu’une fois la cause retenue, les frais d’avocat du plaignant sont assumés par la Commission des droits de la personne du Québec alors que l’accusé, lui, doit payer de sa poche.
Une tendance qui, si elle se confirme, n’annonce rien de bon pour la liberté d’expression des journalistes d’opinion.