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À quand une loi libanaise sur le statut personnel ?

Par Anne-Marie El-HAGE | 30/07/2012

Le mariage civil à l’étranger, une solution provisoire pour les jeunes couples, mais aussi une atteinte à la souveraineté du Liban. Photo larnakaregion.com
Le mariage civil à l’étranger, une solution provisoire
pour les jeunes couples, mais aussi une atteinte
à la souveraineté du Liban. Photo larnakaregion.com

DROITS CIVIQUES Une proposition de loi moderne sur le statut personnel des Libanais attend, depuis mai 2011, d’être discutée en commission parlementaire conjointe. L’attente traîne en longueur. La volonté politique pour lui accorder la priorité nécessaire existe-t-elle seulement ?


Le statut personnel des Libanais, autrement dit leur statut individuel et familial, comme le couple, le mariage, la famille, les enfants, mais aussi tout ce qui est lié à l’habitat, à la mort, à l’adoption, à l’autorité parentale, à l’héritage, à la tutelle... est de la compétence des différentes communautés religieuses. L’État, lui, s’est tout simplement lavé les mains de ce dossier complexe, depuis l’indépendance du Liban, en 1943, et jusqu’à aujourd’hui même. 
« Le Liban est le seul État à n’avoir pas de loi sur le statut personnel », constate la militante et universitaire Ogarit Younan, cofondatrice de l’Association libanaise pour les droits civils (LACR). « Il a délégué ce pouvoir aux communautés religieuses, mais aussi aux autres États, puisqu’il reconnaît le mariage civil à l’étranger et non pas sur son territoire. Une véritable atteinte à la souveraineté de l’État ! » Et pourtant, les besoins se font pressants.

Campagne nationale
Davantage de personnes réclament chaque année une loi libanaise sur le statut personnel, indépendante de l’appartenance religieuse de chaque individu. Davantage de jeunes revendiquent au quotidien la liberté de contracter un mariage avec une personne d’une autre religion ou d’une autre communauté, sans pour autant être obligés de changer de religion ou de subir les lois imposées par les communautés. Des lois souvent iniques, discriminatoires envers les femmes. « Des lois qui vont à l’encontre des conventions internationales des droits de l’homme, signées par le Liban », fait remarquer Ogarit Younan. « Mais les communautés religieuses sont tellement jalouses de leur pouvoir qu’elles ne veulent en aucun cas céder leurs privilèges », note-t-elle encore, indiquant que « le sujet est tabou ».
C’est dans cette optique que de plus en plus de jeunes couples partent à l’étranger se marier civilement, le mariage civil étant reconnu par l’État libanais uniquement s’il est contracté à l’étranger. Or, ce sont les lois des États qui s’appliquent dans ce cas aux mariages civils à l’étranger de couples libanais. Le Liban doit alors traiter avec toutes les lois étrangères. « Des procédures très compliquées, en cas de conflit, et qui ne respectent pas tous les droits des conjoints et de leurs enfants », ajoute Mme Younan. 
La lutte d’Ogarit Younan, comme celle du militant Walid Slaiby pour une loi libanaise sur le statut personnel, remonte à de nombreuses années. Après avoir été à l’origine d’une campagne nationale pour un statut personnel civil facultatif, lancée en 1997 par un regroupement de 70 associations, qui a requis 60 000 signatures, les deux intellectuels, également fondateurs de l’Université académique pour la non-violence et les droits de l’homme (The Academic university for non-violence et human rights), relancent aujourd’hui leur combat avec force. 
Ils sont à l’origine d’une nouvelle campagne citoyenne, lancée en 2011, qui regroupe 60 associations civiles, groupes de pression et activistes de tout le Liban. « Un groupe qui représente des dizaines de milliers de membres », précise Mme Younan. La campagne « pour une loi libanaise sur le statut personnel » repose principalement, outre l’organisation de mouvements de rue et le lobbying intensif, sur une proposition de loi préparée en 2009, et présentée au Parlement en mai 2011. « Cette proposition de loi sur le statut personnel est la septième présentée depuis 1971. Moderne, destinée à tous les Libanais sans exception, elle s’inspire des précédentes propositions qui reposent au fond des tiroirs », observe-t-elle. « Les Libanais seront alors libres de se marier civilement ou non. Les lois communautaires, elles, resteront en place. »

Lenteur du travail parlementaire
Remise par les jeunes militants au président de la Chambre, Nabih Berry, signée par le député Marwan Farès, la proposition de loi a directement été mise au programme des commissions parlementaires mixtes. « Ce qui signifie que cette proposition de loi sera obligatoirement discutée et qu’elle sera transmise à l’Assemblée, quel que soit le résultat des discussions », explique Mme Younan. « Pour la première fois dans l’histoire du Liban, une proposition de loi sur le statut personnel sera discutée à l’Assemblée, note la militante. Même si le sujet n’est pas très populaire auprès du courant du Futur et du Hezbollah, il devrait être adopté par les autres blocs parlementaires, comme les Kataëb ou le CPL », espère-t-elle. Mais le tour de la proposition de loi n’est pas encore arrivé. Arrivera-t-il seulement ? 
Un des problèmes essentiels du travail parlementaire est la lenteur. « Une lenteur telle qu’elle en paralyse le travail de législation », constate le député Ghassan Moukheiber. « Le temps consacré à ce travail est restreint et met en compétition près de 300 textes de lois qui attendent d’être discutés », explique-t-il à ce propos. Et de préciser que les commissions parlementaires se réunissent trop peu, une dizaine de fois par an. « De plus, lorsqu’elles se réunissent, elles ne se penchent que sur deux ou trois textes. » Il faut dire que « le travail parlementaire fait la concurrence aux funérailles, mariages, services personnels rendus au citoyen, et aux interventions médiatiques », comme le fait remarquer le député. Une situation qu’il n’hésite pas à qualifier de « dramatique ».
Concernant le texte sur le statut personnel, M. Moukheiber observe que « rien ne se passe », malgré la volonté du président du Parlement, Nabih Berry, de faire avancer le texte. « Cette proposition a été mise deux fois à l’ordre du jour, mais elle n’a jamais été discutée. À chaque réunion, les députés se retirent de la séance, tour à tour, au bout de deux heures de travail, provoquant un défaut de quorum », raconte-t-il. Il est alors nécessaire de remettre le texte à l’ordre du jour. 

Promesse à la jeunesse
Parallèlement à cette inefficacité systématique du Parlement, il est légitime de se demander s’il existe une réelle volonté politique de trancher la question. Une volonté politique sans laquelle rien n’avancerait, comme le soutient Ghassan Moukheiber. 
Le vice-président de la Chambre, Farid Makari, a l’autorité de mettre la proposition de loi à l’ordre du jour. Dans une réponse écrite à L’Orient-Le Jour, il se déclare favorable à une loi sur le statut personnel. « Cette loi figure parmi mes priorités, parce qu’elle concerne une grande partie de la jeunesse libanaise et qu’elle est liée aux libertés individuelles », dit-il. C’est dans cette optique qu’il s’engage formellement auprès des jeunes, non seulement à voter en faveur d’une loi moderne sur le statut personnel et le mariage civil facultatif, mais aussi « à œuvrer pour que cette loi voie le jour ». 
Quant au retard dans la discussion du texte en commission conjointe, M. Makari l’explique par le fait que « son tour n’est pas arrivé ». « Je ne pense pas que ce soit par manque de volonté politique ou à cause de pressions quelconques, et ce malgré les réserves de certaines communautés à l’égard du mariage civil facultatif notamment », observe-t-il à ce propos. 
Dans ce contexte, peut-on faire preuve d’optimisme pour le vote d’une loi libanaise sur le statut personnel ? « Difficilement », observe l’avocat et chercheur Carlos Daoud. « Le pouvoir des communautés religieuses est trop fort. Elles imposent leur autorité à l’État », constate-t-il. Ce militant des droits de l’homme, qui se prononce pour la liberté absolue de pensée et de croyance, dont la liberté de n’avoir pas de religion, déplore « le vide législatif qu’il faut absolument combler ».

Absence de volonté politique
Une loi universelle facultative s’impose pourtant pour régler les relations entre l’homme et la femme. « Cette loi, destinée à tous les citoyens, doit donner à chacun le droit de décider librement d’épouser une personne d’une autre confession ou de se séparer de son conjoint, sans pour autant être dans l’obligation de changer de confession », estime l’avocat, faisant remarquer qu’« une telle loi faciliterait les mariages interreligieux et rapprocherait donc les communautés religieuses ». « Mais il semble qu’il n’y ait aucune volonté de rapprocher les communautés, regrette Me Daoud. Il est pourtant du devoir de l’État de mettre en place une loi facultative sur le statut personnel. »
Tout aussi formel est le coordinateur des Jeunes du Renouveau démocratique, Ayman Mhanna, qui déplore le manque d’entrain des partis politiques pour faire bouger le dossier du statut personnel. Ce manque d’entrain est également visible au niveau de la jeunesse libanaise, « marquée par un clivage communautaire flagrant qui entrave le travail des associations militantes », constate-t-il. « Non seulement il n’y a pas de volonté politique, mais les communautés religieuses prennent une ampleur démesurée dans la vie politique », observe-t-il à ce propos. À titre d’exemple, le militant relate une réunion qui s’est déroulée au siège de la communauté druze, à Beyrouth, sur « la préservation de la vertu et de la morale publique ». « Cette réunion, qui a réuni des représentants de l’ensemble des communautés religieuses, s’est prononcée en faveur de la censure d’activités artistiques », déplore-t-il.
Comment pourrait voir le jour, dans un tel contexte, une loi sur le statut personnel, même facultative ?