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De nouveau, le Liban brûle!

Le samedi 22 juillet 2006

De nouveau, le Liban brūle!

Sami Aoun

Professeur titulaire, Université de Sherbrooke

Le Liban brûle. Une guerre aux dimensions régionales et internationales a fait jaillir de nouveau l'horreur dans ce pays plurireligieux et démocratique! À la suite du retrait des armées israéliennes et syriennes en 2000 et en 2005, le Liban espérait reprendre la voie de la souveraineté et enfin devenir prospère. Mais la réalité n'est pas aussi simple au Moyen-Orient. Elle est plutôt cruelle!

Encore une fois, le pays du Cèdre n'a pu échapper au feu attisé par le problème palestinien avec ses répercussions régionales. La nouvelle confrontation est le résultat complexe de trois impasses au Moyen-Orient : l'échec du dialogue inter-libanais, le blocage du processus de paix en Palestine, et l'émergence de l'Iran comme puissance régionale avec des ambitions dans le monde arabe.

L'échec des dirigeants libanais pour faire aboutir un dialogue national décisif est l'un des signes précurseurs de la confrontation actuelle. Les dissensions au sein de la classe politique sont criantes. La majorité parlementaire, anti-syrienne, qui rassemble les Forces du 14 mars, n'a pas réussi à s'imposer face à ses rivaux, pro-syriens. Le Hezbollah a joué la stratégie de l'obstruction du système libanais, privant ainsi la majorité parlementaire de l’appui important des chiites. Il a même accusé cette nouvelle majorité parlementaire, pourtant fortement représentative des sunnites, des druzes et des milieux chrétiens, d'être fictive et momentanée. Une similarité étonnante avec les propos des dirigeants syriens!

Au milieu de cette discorde, les leaders libanais ont été incapables d'édifier un État souverain; de renouveler le pacte social et d'établir un pouvoir central crédible sur les bases d'une démocratie consensuelle. Une vision commune de la défense du Liban ne s'est donc pas développée. La classe politique a échoué à remettre à l'État le monopole des décisions, ce qui a conduit le Liban à l'impasse actuelle. La République reste précaire !

 

Le faux pas du Hezbollah!

 

Malgré son engagement à calmer le jeu avec Israël durant la saison estivale, le Hezbollah a décidé d'agir par solidarité avec les islamistes palestiniens de Gaza. Il a organisé une opération militaire ambitieuse au-delà de la ligne bleue contre une patrouille israélienne en capturant deux soldats. Le Hezbollah espérait seulement les échanger avec trois de ses prisonniers en Israël, mais la machine guerrière israélienne s'est mise en branle, prenant prétexte de l'attaque pour modifier l'ordre sécuritaire à la frontière commune avec le Liban. Israël veut instaurer un nouvel équilibre dans le rapport de force et le ramener à son avantage cette fois-ci! L'État hébreux sème maintenant l'horreur et la destruction au Liban. Un coût exorbitant pour un geste mal calculé! Personne n’avait besoin d'une preuve supplémentaire de la brutalité israélienne : Gaza en est le témoin sanglant!

 

Un ordre arabe contesté qui craint l'Iran!

 

Sur le plan régional, la montée du radicalisme islamiste appuyé par la Syrie et l'Iran inquiète les pays arabes qui ont pactisé avec Israël, comme l'Égypte, la Jordanie et leur allié, l'Arabie Saoudite. Le processus de paix israélo-palestinien est maintenant entré dans une grave impasse. Le gouvernement israélien a décidé d'exécuter un retrait unilatéral et partiel des territoires palestiniens occupés depuis 1967. Un retrait non négocié qui n'engage pas la création d’un État palestinien, ce qui embarrasse l'ordre politique arabe face aux islamistes qui se prétendent maintenant les vrais défenseurs des Palestiniens.

Les tentatives de l'Égypte pour faire libérer le soldat israélien enlevé par les islamistes palestiniens ont donc échoué, sans surprise. L'Égypte pointe du doigt l'Iran et la Syrie pour cet échec. Les pays arabes se sentent affaiblis par la surenchère de Damas et Téhéran. Une lutte d'influence s'est donc engagée entre arabes et Iraniens, et par ricochet entre sunnites et chiites !

Le fait que l'Arabie Saoudite dénonce sans réserve la capture de deux soldats Israéliens par le Hezbollah confirme les appréhensions des pouvoirs arabes sunnites face à la montée des chiites. L'élargissement de l'influence de l'Iran en Afghanistan, en Irak, auprès du régime alaouite syrien et du Hezbollah chiite libanais et au sein des minorités chiites arabes, suscite craintes et méfiances. La discorde entre les adeptes des deux branches de l'islam en Irak est une hantise pressante. Cette polarisation régionale, entre pouvoirs arabes sunnites et l'Iran chiite, se déroule sur une toile de fond tendue : le dossier nucléaire iranien.

Le G8 était réuni en Russie. Le communiqué de sa prise de position a été interprété par Israël comme s'il avait reçu le mandat de briser le bras armé de l'Iran, notamment le Hezbollah. Les États-Unis, particulièrement échaudés en Irak, donnent un appui inconditionnel à Israël pour contrer la stratégie iranienne envers les pays arabes alliés et couper court à sa volonté de se donner une manœuvre dans les négociations sur son dossier nucléaire.

Depuis le début de l'offensive israélienne, le Liban est littéralement coupé en morceaux, mais la machine de combat du Hezbollah reste intacte. Il a même réussi à inquiéter les stratèges israéliens.

L'État hébreu se prépare maintenant à une invasion terrestre qui annonce le pire. L'équilibre de la terreur entre les deux belligérants s'est effondré. La quête d'un nouvel ordre serait pénible!

 

Le plan de sortie

 

Pour sortir de l'impasse, le gouvernement libanais devra d'abord consolider sa légitimité et obtenir un mandat clair de négocier avec l'ONU, faire appliquer la résolution 1559 et réactiver les accords de l'entente nationale des accords de Taëf (1989) : appliquer un cessez-le-feu et faire l’échange de prisonniers demeurent des priorités. Mais surtout le redéploiement de l'armée libanaise appuyée par une force multinationale robuste sur les frontières d'Israël. Un répit mérité pour le Liban!

Le Hezbollah a été adulé comme libérateur lorsqu'il a contraint Israël à se retirer du sud du Liban sans un accord de paix ! Aujourd'hui, le Hezbollah aurait besoin de réaffirmer que sa politique se fonde sur l'existence même de l'État du Liban et non sur ses alliances stratégiques. Il devrait contribuer à mettre fin aux guerres interposées dans son pays. La survie de l'État libanais, la paix civile et la concordance entre ses communautés religieuses en dépendent! La formation de Hezbollah est un apport incontournable!

Pour sa part, la classe politique libanaise devrait reprendre le dialogue pour articuler une vision de défense qui ferait consensus auprès de la population libanaise, mais surtout auprès de la base populaire du Hezbollah. La décision de mener la guerre ou de faire la paix devrait désormais être le privilège exclusif d'un État libanais représentatif de la population entière. Aucune faction n'a le droit de poser un geste de guerre unilatéral.

Le Liban a souvent été comparé au phénix, cet oiseau mythique qui pouvait renaître de ses cendres après s'être consumé par les flammes de sa propre mort. Cette fois-ci encore, le Liban ne décevra pas!