Vive la démocratie directe !

LISE RAVARY - 11 JUIN 2012

Tout va trop vite. Dans quel monde de fous vivons-nous ? On court toujours. Faut réapprendre la lenteur, la simplicité des choses. Apprendre à respirer par les oreilles s’il le faut. Prendre le temps de regarder les fleurs pousser. Sinon, la civilisation occidentale va s’effondrer. S’il n’est pas déjà trop tard.

Voilà un discours familier. Un bestseller a même été écrit à ce sujet, L’éloge de la lenteur, par Carl Honoré. Tous les bobos (bohèmes bourgeois) l’ont lu et… continué leur course effrénée. Je le sais, j’en suis. Mais au moins, nous nous sommes tricotés un nouveau discours et une bonne conscience.

L’homo occidentalus a donc intérêt à renoncer à son appétit pour la vitesse, pis vite.

Sauf en politique. S’il y a une leçon qu’on peut déjà tirer de la crise actuelle, c’est que l’idée même de la démocratie parlementaire est mise à mal. On ne croit plus à ses institutions. À ses représentants. À ses rouages. À ses serviteurs. Ni même à ses défenseurs, quand ils s’ont d’un avis contraire au nôtre. À en croire la gauche, seuls les carrés rouges sont de véritables démocrates. Le reste ? Des vendus, des traîtres, des crétins, des gens qui ne comprennent rien à rien. On leur crie « ta yeule » comme on dit non à un enfant de trois ans qui demande les clés de l’auto.

La démocratie parlementaire, c’est lent. Trop lent. Une affaire de générations dans bien des cas. Combien de temps a-t-il fallu pour que l’idée d’une assurance-maladie universelle devienne réalité au Canada ? Quelque chose comme 40 ans ?

Si c’est lent, ça devrait être bon pour nous, selon les chantres de la lenteur rédemptrice ? Pas du tout. Pour sauver le modèle québécois, la social-démocratie et ses acquis plaqués or, il faut implanter la démocratie directe. Celle qui opère. Pas celle qui prend quatre ans à s’épanouir.

Le modèle indirect ne sert que les pépères et les mémères (ceux qui cachent le trésor des Québécois dans leurs REER) qui s’en servent pour bloquer les réformes progressistes exigées par la jeunesse québécoise et ses idiots utiles.

(Aparté: J’entendais hier la nouvelle porte-parole de la FECQ parler de la lutte de toute une génération. Toute une génération ? Je me demande bien ce que la majorité d’étudiants qui ne sont pas en boycott pensent de cette généralisation outrancière.)

Ce weekend dernier, on a vu ce qu’est la démocratie directe, en action. Sans doute après avoir tenu d’interminables réunions pour sonder individuellement le fond du fond de la pensée de tous les hyper démocrates présents (imaginons 8 millions de personnes participant à un tel exercice !), nos démocrates-révolutionnaires ont décidé que le Grand Prix, ils n’aimaient pas ça, mais alors pas du tout. Et qu’ils allaient tout faire pour saboter un événement  (d’un goût discutable, mais là n’est pas la question) cher à bien des Montréalais. Et qui met plein de fric dans les coffres de l’État pour payer nos acquis plaqués or.

Camarades, on va descendre dans la rue, on va cracher sur les festivaliers, on va confronter les forces de l’ordre, on va menacer la sécurité d’honnêtes gens. Pourquoi pas celle des pilotes, une brique sur la piste, ça serait cool, non ? Parce que la course automobile, c’est très vilain et qu’il faut mettre un terme à tout cela, pour le bien de tous. Qu’ils le veuillent, ou non.

Parce que nous, nous savons ce qui est bon pour le peuple. Pour l’environnement. Pour les femmes. Pour la culture. Pour les universités. On en a débattu en comité, nous sommes de véritables démocrates.

Même si on est juste 250 dans la rue, c’est pas grave. Nous composons une majorité morale (tiens, où ais-entendu cette expression avant ? Ah oui, chez les fous de Dieu américains qui veulent imposer leur moralité à tous). Oui, nous sommes de véritables démocrates et le peuple, des imbéciles finis qui ne comprennent rien à rien. Qui sont assez caves pour croire encore aux institutions, aux élections, à la politique ! Nous, nous croyons aux réseaux sociaux, à la rue et à l’Anarchopanda comme premier ministre.

Dans la rue citoyens, l’injustice extrême que subit le Québec exige le renversement de la majorité trop bête pour s’en rendre compte. Sortons nos drapeaux du Che, notre héros. Lui, comme son pote Castro, ne s’est pas enfargé dans les fleurs du tapis de la démocratie, trop lente pour le bien du peuple.

Je commence à avoir une toute petite boule au fond de l’estomac. Et si, et si cette génération croyait vraiment  que la démocratie millénaire était devenue caduque ?  Qu’elle ne servait plus à rien ni à personne ? Et qu’il fallait la remplacer par des comités populaires, des sondages par Internet et des mouvements de rue ? Parce que ça ne va pas assez vite ?

Ne nous méprisons pas. Rien à voir avec la vitesse des choses. Mais tout avec l’imposition d’une dictature de la minorité, par le biais d’une soi-disante démocratie directe. Parce que la démocratie directe ne pourra jamais, jamais rejoindre tout le monde, comme l’urne peut le faire. C’est comme les comités de parents, les comités d’entreprise, les comités révolutionnaires: souvent dominés par les militants les plus radicaux qui y trouvent leur compte idéologique parce  les gens ordinaires n’ont pas le temps ni le goût d’y consacrer toutes leurs énergies. Ces radicaux pour qui le pragmatisme n’est qu’une sale excuse pour justifier l’immobilisme des nantis qui ne cherchent qu’à protéger leurs acquis, plaqués or.

Le pragmatisme qui a si bien servi le Québec au cours de son histoire ne serait donc qu’une valeur creuse. Tout comme la démocratie parlementaire.

Vive la démocratie directe !