Pipe à 10 $ dans les cours d’école
par Philippe Beauchemin
Article mis en ligne le 15 août 2007 à 9:30
L’histoire se passe dans une école primaire montréalaise. Des filles de cinquième année, le midi, se cachent pour faire des pipes aux petits garçons. En échange, elles leur demandent des sous. Phénomène isolé ou vague de fond?
Cette histoire, c’est la sexologue Jocelyne Robert qui la raconte. Un exemple du genre d’appel qu’elle reçoit chaque semaine. « Ce qui se passe à l’école, ce n’est que la pointe de l’iceberg. Ça va beaucoup plus loin ailleurs. Les partouzes, les concours de pipe, les partys « une fille pour dix gars »; les jeunes ne le font pas dans la cour d’école. Mais croyez-moi, tout ça existe vraiment », mentionne l’auteure de Full sexuel : la vie amoureuse des adolescents.
Un phénomène observé également par Francine Duquet qui, en 20 ans de carrière, en a vu de toutes les couleurs : érotisation des fillettes, séduction sexualisée, clavardage sexuel, cyberpornographie, banalisation du sexe oral, etc. « Dans une école primaire, on m’a rapporté qu’il y avait une petite fille de sixième année qui faisait des fellations aux garçons du secondaire pour s’acheter des cigarettes.» Et quand ce n’est pas pour des sous, c’est pour se protéger des avances des garçons qu’elles pratiquent des fellations. D’autres fois, elles cherchent plutôt à plaire à tout prix.
La psycho éducatrice Linda Théroux, qui travaille depuis 20 ans à l’école secondaire Henri-Julien, constate le même phénomène. « Les jeunes filles veulent se faire remarquer. Je le vois dans la façon qu’elles s’habillent. Elles arrivent le matin, elles ont des brassières qui remontent les seins, un j-string bien en vue, le tatou dans le bas du dos. Quand je leur dis qu’elles sont habillées pour aller danser dans un club et non pas pour venir à l’école, elles nous disent que ce sont nous qui sommes arriérés, que nous sommes dépassés. »
Esclave sexuelle…à 13 ans
Internet, cellulaires, webcams; les jeunes d’aujourd’hui ont accès à de la pornographie partout, en tout temps. « Ils voient des choses incroyables et pensent que c’est ça la sexualité. Il n’y a plus de limite. Les gars demandent des actes sexuels insensés et les filles font semblant d’aimer ça. Bordel, réveillons-nous et vite! »
La sexologue Jocelyne Robert se rappelle un cas qu’il lui a été soumis il n’y a pas si longtemps. « Des parents ont découvert que leur jeune fille de 13 ans était devenue l’esclave sexuelle d’une bande de jeunes gars. La petite fille en question était tout simplement tombée amoureuse d’un garçon, comme cela arrive normalement à cet âge là. Mais le gars, lui, a dit à la jeune fille que si elle couchait avec ses amis, elle pourrait alors être sa blonde. Elle a accepté, et elle s’est fait baiser par tous les gars du groupe. Elle était devenue un instrument sexuel. Ce qu’on voit aujourd’hui, c’est de la sexualité agressive. On est dans le culte des trois « c », soit le cul, le corps et le cash. »
Des exemples comme celui-là, Mme Robert en connaît des dizaines. « Le danger, c’est qu’on banalise tout ça. Quand les jeunes disent qu’un trip sexuel à trois c’est normal et que ça va de soi dans une relation d’amour, là, on a un problème. »
Une réalité qui touche tous les milieux
« Pratiquement tous les milieux vivent ce genre de situation, que ce soit à Montréal ou ailleurs, en milieu défavorisé ou en milieu aisé. Il ne faut pas faire l’autruche! L’école primaire, c’est le baromètre de ce qui se passe », laisse entendre Mme Duquet.
Ce qui permet vraiment de constater une différence sur le comportement sexuel des jeunes n’a rien à voir avec la classe sociale, mais plutôt avec la présence des parents, constate Lilia Goldfarb, du Y des femmes, qui s’est également penchée sur le phénomène de la sexualité précoce des filles. « Lorsque les parents sont très présents, c’est ça qui fait une différence. Ils aident leurs enfants à développer un esprit critique en regardant ce qu’ils lisent, ce qu’ils écoutent et ce qu’ils voient. »
Pour Mylène Fernet, sexologue, il ne faut toutefois pas crier au loup. « À force d’entendre que les jeunes ont une sexualité débridée, cela a un effet pervers. Certains d’entre eux s’inquiètent du fait qu’ils n’ont pas fait ou pas reçu de pipe. Ils en sont à se demander si c’est normal! »
Par contre, un groupe de recherche, dont Francine Duquet, également professeure au département de sexologie de l’UQAM et Lilia Goldfarb, se penche justement sur le sujet, tentant de documenter le phénomène. Au terme de la recherche d’une durée de trois ans, le groupe développera une formation et des outils destinés aux intervenants des milieux scolaires, communautaire, de la santé et des services sociaux ainsi qu’aux jeunes.
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