Nouvelles CSQ Été 2010
La rentrée scolaire de septembre 2006
s’était passée comme toutes les autres avec
ce mélange d’appréhension et de motivation
renouvelées que tous les enseignants et
enseignantes ressentent devant un nouveau
groupe d’élèves. Une classe de 1 re -2 e année
comme les autres aussi, avec son lot d’élèves
plus motivés, au parcours scolaire somme
toute assez facile, et d’autres ayant des
difficultés d’apprentissage ou de comportement.
Parmi ces derniers, Julien (un nom fictif)
témoigne de certaines attitudes préoccupantes
depuis son arrivée en maternelle. Il
est souvent en conflit avec ses camarades
qu’il lui arrive de menacer de mort. Il ment
constamment et défie l’autorité, appuyé en
cela par ses parents qui croient toujours
sa version des faits. Ses résultats scolaires
laissent aussi à désirer.
Devant une telle situation, Christiane
Pelletier intervient : discussions avec
Julien, explications, consignes, système de
motivation personnalisé visant à favoriser
un bon comportement, réprimandes… rien
n’y fait, bien au contraire. Julien se plaint
à ses parents et affirme que l’enseignante
le maltraite et lui fait subir des sévices
corporels. Les parents contactent la direction
de l’école et dénoncent l’attitude de
l’enseignante envers leur fils, la rendant
responsable de ses difficultés scolaires.
La directrice conclut que la plainte n’est pas
fondée, d’autant plus qu’elle n’est jamais
seule avec l’enfant, car il y a en classe une
préposée ou une orthopédagogue. De plus,
la secrétaire aurait été témoin de toute
situation anormale puisque son bureau
est de biais avec la classe. Tout aurait pu
s’arrêter là…
Les parents s’acharnent
Les parents décident de porter plainte à la
police. Un pédopsychiatre de la région est
mis à contribution. Il conclut, à la suite de
ses interventions, qu’il ne peut se prononcer
sur la véracité des faits, Julien ayant beaucoup
de difficultés à verbaliser. Il faut aussi
signaler que les sévices décrits par Julien
sont d’une telle fréquence (plus de 400) et
d’une telle cruauté qu’il aurait dû en porter
des traces, ce qui n’est nullement le cas. La
plainte n’est pas retenue par les services
policiers. Tout aurait pu s’arrêter là…
Les parents portent alors plainte à la
commission scolaire qui décide de mener
sa propre enquête, mais refuse d’accéder à
leur requête de déplacement de Christiane
Pelletier vers une autre école. Le petit
Julien est donc retiré de l’école, les parents
décidant de le scolariser à la maison pendant
la durée de l’enquête. La commission
scolaire en arrive aux mêmes conclusions
que la police et rejette la plainte. Tout
aurait pu s’arrêter là…
Les médias s’en mêlent
Toutefois, les parents gardent Julien à
la maison et demandent à la commission
scolaire de fournir des services à domicile,
ce qu’elle refuse de faire. Les parents ne
cèdent pas. Ils présentent une plainte au
Protecteur du citoyen et, en même temps,
décident de porter toute l’affaire sur la
place publique. La radio locale se saisit
de l’événement. Les parents donnent des
entrevues au cours desquelles ils dénoncent
les sévices dont leur fils aurait été victime
et le complot entre l’école, la police et la
commission scolaire.
Tout ce tapage médiatique a ses effets : le
nom de Julien ne tarde pas à être connu
ainsi que celui de son enseignante. L’enfant
ajoute toujours de nouveaux sévices aux
maltraitances dont il aurait été victime.
Le père, qui a menacé l’enseignante, doit
s’engager à garder la paix. On peut imaginer
sans peine le désarroi de Christiane Pelletier
devant toute cette saga ; heureusement,
elle reçoit des lettres d’appui et ressent la
solidarité de ses collègues.
L’intervention de la ministre
Le Protecteur du citoyen refusant
d’intervenir, les parents n’en restent pas
là. Ils portent plainte à la ministre de
l’Éducation, Michelle Courchesne, qui confie
le tout à un comité d’enquête. Et ça recommence…
Le comité commence ses travaux d’examen
de la plainte. Les parents ne respectent pas
la confidentialité, même si les parties s’y
étaient engagées. La radio locale continue
donc de traiter de l’histoire régulièrement.
Puis, en février dernier, soit plus de trois
ans après le début de cette interminable
saga, le verdict tombe.
Pour le comité, l’enfant n’est pas crédible,
car les faits qu’il rapporte sont « invraisemblables
». Le pédopsychiatre, appelé à donner
son avis a conclu que l’enfant témoigne
de situations « abracadabrantes ». De l’avis
du comité, l’enseignante, qui bénéficie
d’une excellente réputation, a agi de façon
professionnelle avec calme, douceur et
patience. Il recommande donc à la ministre
de rejeter la plainte. Après des mois d’un
interminable acharnement, de calomnies,
de diffamations, Christiane Pelletier attend
toujours la décision de la ministre…
Et maintenant ?
Pour Me Claudine Barabé, directrice du
Service juridique de la CSQ et procureure
de Christiane Pelletier, toute cette histoire
a porté atteinte à la réputation d’une
enseignante irréprochable dont on a fait
le procès sur la place publique. « Pour que
justice soit véritablement rendue, les faits
doivent être rétablis et la situation que l’on
a fait vivre à cette enseignante, dénoncée. »
Pour le président du Syndicat de l’enseignement
du Grand-Portage (CSQ), Éric Dion,
toute cette histoire dépasse l’entendement.
« Comment un tel acharnement a-t-il pu être
possible ? Chose certaine, une telle situation
met en évidence tous les vices d’un système
qui, dans une approche clientéliste, refuse
de mettre fin à un véritable harcèlement et
« nourrit le monstre » en refusant de prendre
parti. Madame Pelletier était pourtant une
enseignante estimée par ses collègues,
appréciée des parents, à qui rien n’avait
jamais été reproché sur le plan professionnel,
mais à qui un enfant roi et des parents
rois ont fait vivre un véritable enfer. »
Christiane Pelletier, pour sa part, reconnaît
avoir été très éprouvée par cette lamentable
affaire. Elle a puisé la force de tenir bon,
dit-elle, dans l’appui de ses collègues,
l’amour de ses proches et la confiance
manifestée par les autres parents. « J’étais
en paix avec moi-même, insiste-t-elle, car
qu’importe ce que les autres pensaient
de moi, je savais ce que j’avais fait et ce
que je n’avais pas fait. Le soutien de mon
syndicat a permis d’assurer ma défense sans
que j’aie à assumer les frais très importants
compte tenu des multiples recours utilisés
par les parents. »
« Mais, confie-t-elle, ma façon d’être dans
l’enseignement a changé. Je suis plus
prudente avec les élèves, plus vigilante avec
les parents. Je m’inquiète de l’interprétation
que certains peuvent faire mes attitudes ou
mes interventions. C’est important que les
enseignantes ou les ensei gnants parlent des
difficultés rencontrées avec des élèves ou
des parents, plutôt que de les vivre dans le
silence et la solitude. Je suis certaine que,
parce que je l’ai fait très tôt, j’ai évité que
d’aucuns disent qu’il n’y a pas de fumée
sans feu. »
Elle ajoute, pour conclure, que cet article
représente pour elle une façon de rétablir sa
réputation : « Plutôt que d’entreprendre des
poursuites et de revivre une saga judiciaire
pendant plusieurs années encore, j’ai choisi
de raconter ce qui m’est arrivé pour tenter
de tourner la page. »
Lorraine Pagé
Christiane Pelletier
Nouvelles CSQ Été 2010