Orly
(BREL)
Ils sont plus de deux mille et je ne vois qu’eux deux
La pluie les a soudés semble-t-il l’un à l’autre
Ils sont plus de deux mille et je ne vois qu’eux deux
Et je les sais qui parlent il doit lui dire je t’aime elle doit lui dire je t’aime
Je crois qu’ils sont en train de ne rien se promettre
Ces deux-là sont trop maigres pour être malhonnêtes
Ils sont plus de deux mille et je ne vois qu’eux deux
Et brusquement il pleure, il pleure à gros bouillons
Tout entouré qu’ils sont d’adipeux en sueur
Et de bouffeurs d’espoirs qui les montrent du nez
Mais ces deux déchirés superbes de chagrin
Abandonnent aux chiens l’exploit de les juger
La vie ne fait pas de cadeaux.
Mais nom de Dieu c’est triste Orly le dimanche
Avec ou sans Bécaud.
Et maintenant ils pleurent, je veux dire tous les deux,
Tout à l’heure c’était lui lorsque je disais « il ».
Tout encastrés qu’ils sont ils n’entendent plus rien que les sanglots de l’autre.
Et puis, et puis infiniment comme deux corps qui prient,
Infiniment lentement ces deux corps se séparent
Et en se séparant ces deux corps se déchirent et je vous jure qu’ils crient
Et puis ils se reprennent redeviennent un seul redeviennent le feu
Et puis se redéchirent se tiennent par les yeux
Et puis en reculant, comme la mer se retire
Ils consomment l’adieu, ils bavent quelques mots, agitent une vague main,
Et brusquement il fuit, et fuit sans se retourner, et puis il disparaît bouffé par l’escalier
La vie ne fait pas de cadeaux
Mais nom de Dieu c’est triste Orly le dimanche
Avec ou sans Bécaud.
Et puis il disparaît bouffé par l’escalier, et elle, elle reste là
le coeur en croix, bouche ouverte, sans un cri, sans un mot
elle connaît sa mort, elle vient de la croiser,
Voilà qu’elle se retourne et se retourne encore,
Ses bras vont jusqu’à terre, ça y est : elle a mille ans
La porte est refermée, la voilà sans lumière
Elle tourne sur elle même, et déjà elle sait qu’elle tournera toujours,
Elle a perdu des hommes mais là elle perd l’amour.
L’amour le lui a dit, revoilà l’inutile,
Elle vivra de projets qui ne feront qu’attendre
La revoilà fragile, avant que d’être à vendre,
Je suis là, je la suis,
Je n’ose rien pour elle, que la foule grignote comme un quelconque fruit.