La guerre des hypocrites

La guerre? Quelle guerre? Nous ne sommes pas en guerre!
Parole des dirigeants politiques du monde libre.
L'État islamique? Quel État islamique?

Fatima Houda-Pépin

Mercredi, 23 mars 2016

Nos dirigeants politiques, indignes représentants des démocraties qui les ont portés au pouvoir, sont tellement tétanisés par la crainte d'être accusés d'islamophobie qu'ils n'osent même pas nommer, leur propre ennemi, l'ennemi de la démocratie, l'islamisme radical.

Pas l'islam, la religion, mais son instrumentalisation par des djihadistes, ceux-là mêmes qui frappent au cœur de l'Europe, au Moyen-Orient, en Afrique, en Asie et en Amérique du Nord pour saper les bases de la démocratie et pour instaurer la charia.

Nos dirigeants politiques du monde libre font tout pour ne pas contrarier les roitelets de l'Arabie saoudite et du Qatar et courbent l'échine au moindre coup de sirocco.  Ils n'ont pas le courage d'affronter les  prédicateurs de la haine qui crachent leur discours radical, sous leurs yeux, depuis des décennies, sur leurs propres territoires, en Europe, aux États-Unis et au Canada.

Ils sont les premiers à monter en chaire pour réciter leur chapelet de compassion à chaque frappe terroriste, mais ils n'osent pas s'attaquer, sur le terrain, là où ça compte, à l'idéologie du salafisme violent, qui fait des ravages dans la tête des jeunes, laissant ainsi à l'extrême droite le soin de jouer sur la peur et l'insécurité des gens.

Nos « fidèles alliés »

Ils nous font croire qu'ils livrent une  guerre sans merci aux terroristes, alors qu'ils font, en Syrie et en Irak, une guerre par procuration, en sous-traitant la job sale à nos «fidèles alliés».

Ils en ont tellement qu'ils ne savent plus à quel diable se fier, à celui de l'Arabie saoudite, du Qatar, des frères musulmans, de Jabhat al-Nosra, eux-mêmes bras agissant d'Al Quaïda, des Kurdes de Barzani (Irak), de la Turquie ou à ceux de la Syrie. Et ils sont les premiers à s'étonner que ces magouilles nous rattrapent. La cour est pleine. Et malgré le «mea-culpa» de Tony Blair, nos dirigeants du monde libre n'ont rien appris des erreurs du passé, comme si les humiliations de la guerre en Afghanistan, en Irak et en Libye ne leur avaient rien appris.

Les attentats de Bruxelles : Qui luttera contre le salafisme ?

Le 22 mars dernier, le terrorisme a encore frappé, à Bruxelles cette fois. Il a frappé fort, et de l'intérieur : bilan provisoire à ce jour, une trentaine de morts et deux cents blessés. Le monde occidental est en émoi. La liste des attentats en plein cœur de l'Europe s'allonge et elle s'allongera malheureusement davantage. Tristesse et désolation ne ramèneront pas les victimes innocentes de ce carnage.

Le premier ministre français, Manuel Valls a pris la parole devant l'Assemblée nationale pour affirmer solennellement que  «combattre à la source, c'est combattre Daech». Daech, puis après?  Que faites-vous des prédicateurs salafistes qui endoctrinent les jeunes et les recrutent pour le djihad, sur le sol français et européen, dans l'indifférence des pouvoirs publics? Vous rampez devant l'Arabie saoudite et le Qatar qui les nourrissent, idéologiquement, financièrement et matériellement et prétendez lutter contre le terrorisme. Quel plan avez-vous déployé pour ces migrants de 2e ou de 3e génération, dont plusieurs sont toujours sans statut, que vous avez parqués dans des ghettos communautaires, sans sortie de secours?

Notre premier ministre, Philippe Couillard  s'est  aussi exprimé sur les attentats de Bruxelles, en déclarant: «Nous sommes unis dans notre volonté de défendre nos valeurs de démocratie, de tolérance et d'inclusion et de combattre ces barbares.» Pour ce qui est de combattre les barbares, force est de constater qu'il s'est mis à leur service, en Arabie saoudite, pendant quelques années.

Quant aux valeurs qu’il prétend défendre, on reconnaît l'arbre à ses fruits. Le projet de loi 59 sur les discours haineux, qu'il a imposé aux parlementaires, est actuellement à l'étude à l'Assemblée nationale, il vise à bâillonner la liberté d'expression et à interdire l'islamophobie, une revendication qui vient tout droit de l'Arabie saoudite qui fait des pressions sur les pays occidentaux pour criminaliser le blasphème. Comme discours creux, on ne peut pas mieux faire.

On est donc en droit de nous demander, combien d'attentats terroristes il faut encaisser et combien de vies innocentes il faut sacrifier dans les pays musulmans et en Occident avant que nos dirigeants politiques décident de s'attaquer à la racine du mal qui ronge nos démocraties et qui met en péril la sécurité du monde!

Pourquoi cette omerta ?

Pourquoi tout ce silence mortifère autour de l'islamisme radical? Pourquoi nos dirigeants politiques, nos chercheurs, nos intellectuels et nombre de nos journalistes refusent-ils de le nommer clairement, de l'analyser objectivement, d'en parler ouvertement et de le combattre efficacement? 

Pourquoi évacuent-ils l'islamisme radical derrière l'écran de la «radicalisation» pour ne pas parler d'un enjeu pourtant réel qui menace notre vivre ensemble, notre paix sociale et la sécurité de la planète?

Personne n'est dupe, ce qui guide nos dirigeants, c'est le pétrole et les intérêts bassement mercantiles. «Dieu Merci, le Maroc n'a pas de pétrole», aimait à dire l'ancien roi du Maroc, Hassan II. Dans le tourbillon effréné de la compétition internationale pour l'appât du gain et de l'argent, nos dirigeants courbent l'échine devant les roitelets des monarchies décadentes des pays du Golfe, ferment les yeux sur leurs frasques et leurs pratiques barbares d'asservissement des femmes et des violations des droits de la personne. Ils ont choisi délibérément d'appuyer les dictateurs les plus corrompus et les plus sanguinaires au détriment des sociétés civiles qui luttent pour la démocratie et qui regardent vers nous comme une source d'inspiration.

Quand la dictature wahhabite fait plier les démocraties

Dans ce marché des dupes, les dirigeants européens et nord-américains rivalisent de stratagèmes pour savoir qui saura se prostituer le mieux pour gagner les faveurs des despotes. La palme d'or reviendra certainement au président de la République française, François Hollande, qui a octroyé, en catimini, à l'Élysée, le 4 mars dernier, la Légion d'honneur, à un prince héritier saoudien, Mohammed Ben Nayef, ministre de l'Intérieur, reconnu pour sa soif pour le sang frais des décapitations, 150 exécutions pour la seule année 2015.

Une fois la nouvelle éventrée, le premier ministre, Manuel Vals est sorti de son silence, dix jours plus tard, pour invoquer la raison d'État - au mépris des principes les plus élémentaires de la République et justifier une telle aberration par la  «relation stratégique» franco-saoudienne (pétrole et vente d'armes).

Le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault, lui, s'est caché derrière le wahhabisme pour tenter de se disculper. «Il y a parfois, dit-il, des traditions diplomatiques qui peuvent étonner, il faut le prendre comme tel.» Et pour être dans les bonnes grâces du prince saoudien, la République française s'incline devant ses caprices afin de lui permettre, par cette décoration éhontée, de se forger une marque de respectabilité internationale.

Cet honneur que François Hollande fait au sanguinaire prince héritier est un déshonneur pour la France tout entière et pour la démocratie. Pour s'en convaincre, suivez le personnage; Mohammed Ben Naef n'aspire pas seulement à être Roi de la dictature salafiste, ce qui est de facto déjà le cas, il veut être le grand Khalife du Moyen-Orient, et pour cela, il faut faire la guerre à tous les pays qui pourraient lui faire ombrage, la Syrie, et l'Iran, particulièrement. De beaux contrats lucratifs en vue pour les industries  de l'armement occidentales.

Le Canada : L'un des principaux vendeurs d'armes

Nous avons changé de gouvernement, le 19 octobre 2015. Le premier ministre, Justin Trudeau, et le gouvernement libéral ont posé, jusqu'à maintenant, des gestes  symboliques pour ramener le Canada sur la scène internationale. C'est un bon départ, mais il reste beaucoup à faire, notamment au chapitre de la cohérence de notre politique étrangère et sa compatibilité avec les valeurs de la démocratie qui nous sont chères.

On ne peut pas se pavaner à New York comme les champions de l'harmonie sociale et du respect des droits de la personne alors que le Canada traîne un lourd passif avec le contrat de 15 milliards de dollars de vente d'armes à l'Arabie saoudite.

La déclaration du premier ministre, Justin Trudeau, lors de sa visite aux Nations Unies, le 16 mars dernier, n'a rien de rassurant. Il a affirmé que les conservateurs «ont été élus de façon démocratique, ils ont signé un contrat et nous sommes tenus de respecter ce contrat». Et que faites-vous des droits de la personne? Ne s'agit-il pas d'une valeur fondamentale inscrite dans notre Constitution?

Non seulement ce lucratif contrat de General Dynamics est éthiquement inacceptable, mais il a été conclu par l'ancien gouvernement conservateur en violation de la Loi sur les licences d'exportation et d'importation, en vertu de laquelle le Canada s'oblige à ne pas vendre d'équipements militaires à des pays «dont le gouvernement a une fiche de route de violations sérieuses des droits humains de ses citoyens».

L'argument des 3000 emplois dans la région de London, Ontario, ne justifie pas que le Canada viole sa propre loi, d'autant plus qu'il a été démontré que les blindés en question sont utilisés par la Garde nationale saoudienne, pour réprimer et tuer dans l'œuf toute tentative de dissidence citoyenne, sous la gouverne du même prince héritier et ministre de l'Intérieur, Mohammed Ben Nayef. Le souci de cohérence commande que le Canada choisisse la démocratie et non le totalitarisme.

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