Publié le 24 juillet 2012
Hugo Meunier |
Nous sommes régulièrement bombardés d'images de bandits au rythme de vie princier. Rare rempart contre le cynisme que peut générer un tel faste, le Bureau de lutte aux produits de la criminalité (BLPC) s'est donné depuis 1996 le mandat d'attaquer les criminels là où ça fait le plus mal: au portefeuille.
Un séjour en prison est devenu banal pour certains criminels notoires, qui continuent bien souvent de tirer les ficelles une fois qu'ils sont à l'ombre, surtout si leur compte en banque déborde.
Mais puiser de l'argent directement dans leurs poches est la meilleure façon de leur mettre des bâtons dans les roues.
La procureure en chef adjointe du Bureau de lutte aux produits de la criminalité, Claire Lessard, en est convaincue. «Ce qui est bien, c'est que le criminel ne s'y attend jamais et n'est pas habitué à ça. La journée où tu lui enlèves ses biens, sa grande maison, il perd du galon. Le king perd sa couronne», constate Mme Lessard, qui a vu des bandits se lamenter après la saisie d'une voiture chouchou ou d'une maison.
«On ne dit pas que les peines de prison sont inefficaces, mais notre travail est très complémentaire», ajoute son collègue Éric Beauparlant, également procureur en chef adjoint.
Dans une rare entrevue accordée aux médias, les deux procureurs de ce bureau à vocation particulière, qui relève du Directeur des poursuites criminelles et pénales, avouent n'avoir jamais été aussi occupés.
L'an dernier seulement, le BLPC a récupéré près de 12 millions de dollars de biens obtenus grâce à des activités illicites. Depuis 1999, le bureau, qui emploie une vingtaine de procureurs d'expérience, a ainsi récolté un peu plus de 100 millions de dollars grâce à la vente de rutilantes voitures, de bateaux de rêve, de maisons cossues, de bijoux et d'autres biens obtenus grâce à de l'argent sale. «Pour les criminels, tout est basé sur le profit. Notre mandat est justement de leur montrer que le crime ne paie pas», souligne Me Lessard.
Son employeur gère actuellement un parc immobilier de 180 résidences et terrains, en plus de 1292 véhicules roulants, flottants et même volants (deux petits avions ont été saisis).
Ces biens sont stockés dans deux immenses entrepôts, à Montréal et à Québec.
Pour écouler la marchandise saisie, une demi-douzaine d'encans sont organisés annuellement. Le dernier remonte au mois d'avril. Quelques centaines de biens ont été soumis aux enchères, notamment des voitures, des chasse-neige et des embarcations, sans oublier plusieurs motos de marque Harley-Davidson et même de la machinerie agricole.
Criminels à cravate
Les succès du BLPC sont possibles grâce à une collaboration étroite avec la police et divers partenaires comme Revenu Québec et les institutions financières. «Nos procureurs sont divisés en deux groupes: ceux qui s'occupent de la criminalité traditionnelle et ceux qui mènent des dossiers financiers, de plus en plus nombreux», explique Éric Beauparlant, qui cite par exemple les affaires Norbourg et Morinville.
Pour mener à bien leur croisade, ces procureurs prennent part au processus d'enquête préalable à une opération policière. Lors de la frappe, ils obtiennent alors rapidement le blocage de certains biens qui ont pu avoir été achetés avec les recettes du crime.
Ces biens sont ensuite saisis puis remis aux créanciers: les banques, les concessionnaires, les municipalités, notamment. Les surplus sont redistribués à des organismes d'aide aux victimes d'acte criminel et à des corps policiers.
En somme, l'argent des bandits sert à financer des enquêtes sur d'autres bandits.
Saisir en Ontario
Les procureurs du BLBP se sont récemment rendus en Ontario pour saisir des appartements en marge d'un coup de filet contre des trafiquants notoires piloté par la police de Montréal. Une première québécoise et peut-être même canadienne, croit Me Lessard, qui a obtenu la pleine collaboration des autorités ontariennes.
Même succès au terme de l'opération Dorade, qui avait permis en 2010 le démantèlement d'un réseau de blanchiment d'argent et d'évasion fiscale aux ramifications internationales. Le BLPC a mis la main sur 14 millions de dollars, qu'il a remis aux agences de revenus canadiennes et québécoises. «On a même pu revendre un immeuble sans hypothèque au prix de 1 million de dollars», rapporte Claire Lessard.
Pour des raisons de sécurité, une certaine discrétion flotte autour des procureurs du BLPC, ce qui se traduit notamment par une faible médiatisation de leurs activités.
Mais peu importe les risques qui existent à se frotter aux pontes du crime, ces Eliot Ness des temps modernes savent que leur cause en vaut la peine. «Moi, comme citoyenne, j'aimerais savoir que l'argent du crime est réutilisé de cette façon. Je trouve ça rassurant», résume Mme Lessard.