Le Québec forme une nation
Martine Tremblay
Autrefois directrice de cabinet du premier ministre René Lévesque, puis haute fonctionnaire, l'auteure est conseillère spéciale affaires publiques et analyse stratégique chez HKDP.
Il faut reconnaître au moins trois qualités politiques à Stephen Harper: le sens du «timing», la capacité de surprendre, quitte à se contredire lui-même, et le goût du risque. La motion que le premier ministre canadien a présentée à la Chambre des communes, mercredi, a réussi à prendre tout le monde de court et à redonner momentanément à son auteur une sorte de posture politique, alors que son image avait sérieusement pâli au cours des derniers mois.
Bien sûr, on peut voir dans le geste dramatique de cette semaine la tactique d'un habile manoeuvrier qui voit là l'occasion de récupérer au Québec un capital de sympathie qui n'a cessé de diminuer depuis l'été. On peut également penser que l'envie de désarçonner les libéraux fédéraux à la veille de leur congrès, tout en déstabilisant le Bloc québécois, a primé sur toute autre considération. D'autant que la conversion du premier ministre paraît bien soudaine quand on se rappelle les propos qu'il a lui-même tenus le 24 juin à Québec.
Et bien évidemment, avant de pavoiser, il faudra voir la réaction des médias et haut-parleurs du Canada anglais devant l'affirmation d'une réalité qu'ils se sont de tous temps acharnés à nier.
Il n'empêche que la motion Harper, si elle est adoptée à Ottawa, constituera, pour le Québec, une réelle avancée et, à ce titre, pourrait bien avoir un caractère historique. Pour la première fois en 150 ans, le Canada aura enfin reconnu que le Québec forme une nation. Quelle que soit la suite, cette réalité ne pourra plus désormais être contournée et déterminera les rapports à venir entre le Québec et le reste du Canada.
Le plus ironique dans cette affaire est qu'une telle initiative soit venue du chef d'un parti qui peine lamentablement à se donner une base politique convenable au Québec. En effet, le Parti conservateur, malgré une remarquable percée aux élections de janvier dernier, non seulement n'a pas réussi à élargir ses appuis ici, mais a même reculé dramatiquement dans l'opinion générale sur à peu près tous les sujets.
Tout aussi ironique est le fait que, parmi les candidats au leadership du Parti libéral fédéral, seul Michael Ignatieff, qui a vécu 20 ans à l'extérieur du pays et que personne ne connaissait au Québec il y a à peine un an, a pris position dans le même sens que Stephen Harper. Quel message envoyé à l'aile québécoise du Parti libéral du Canada, incapable de parler d'une seule voix sur cette question? Pourtant encore fortement implanté au Québec, avec de nombreux porte-parole établis et crédibles, le PLC vient encore de prouver, au cours des dernières semaines, Stéphane Dion en tête, qu'il fait partie du problème bien plus que de la solution.
Sur le terrain politique québécois, même le Parti québécois a compris l'importance de l'ouverture faite par Stephen Harper. Dans sa déclaration d'hier, André Boisclair a clairement fait ressortir le caractère fondamental du geste du premier ministre canadien, tout en ne se privant pas de souligner qu'il faudra bien un jour mettre de la chair autour de l'os, d'abord en enchâssant la reconnaissance obtenue dans la Constitution canadienne.
Cette position lui permet notamment de replacer la balle dans le camp de Jean Charest qui veut bien parler de nation, mais surtout pas de constitution.
Décidément, Stephen Harper aura réussi à mélanger toutes les cartes. Plusieurs inconnues demeurent pour la suite, à commencer par le résultat du vote aux Communes et par l'issue du congrès libéral de la semaine prochaine. Dans cette opération, tous sont à risque.