Mario Roy |
En périphérie des forums internationaux, la casse constitue le discours contestataire le plus sonore et donc le mieux entendu. En outre, depuis Seattle en 1999 jusqu'à Toronto le week-end dernier, chaque festival de la vitrine brisée génère une cascade d'événements en forme de boucle qui gonfle encore son auditoire.
En justifiant une lourde intervention policière, en effet, la casse fabrique automatiquement des victimes, désignées selon une terminologie standardisée. Des victimes de «brutalité policière», bien sûr. Des victimes d'«arrestation arbitraire» (il est vrai qu'à Toronto, on n'a pas lésiné là-dessus!). Des victimes de «détention illégale» dans des conditions évidemment «inhumaines»...
La roue peut alors se mettre à tourner.
Hier, plusieurs ligues de vertu s'occupaient déjà de ces victimes. La veille, lundi, une manifestation a eu lieu à Toronto afin de protester contre la «répression fasciste» de la manifestation de dimanche. Laquelle se présentait déjà comme une réplique outrée à la «répression fasciste» de samedi... Avec un peu de chance et une cuillerée à thé supplémentaire de fascisme, l'affaire se rendra peut-être, demain ou vendredi, jusqu'aux Nations unies! (Défense de rigoler: le bras droits-de-l'hommiste de l'ONU pourrait fort bien décider d'enquêter cette année au Canada plutôt qu'au Kirghizistan.)
Quoi qu'il en soit, une chose est vraiment remarquable?: cette formidable agitation se déploie sans le secours du début du commencement de la queue d'une idée politique.
À ce point de vue, la casse est nue.
Cela étant, on soutiendra que la «rue altermondialiste» a aussi à offrir des discours plus articulés... que personne n'entend. Car leur faiblesse serait de provenir de groupes de revendication modérés, donc totalement inaudibles dès qu'éclatent le bruit et la fureur de la casse.
Exact? Pas tout à fait.
D'abord, le monde merveilleux de la manifestation mondialisée n'est pas divisible en deux parts, celle des casseurs et celle des... causeurs, lesquels seraient totalement étrangers les uns aux autres. Au moment de descendre dans la rue, en effet, peu de groupes de pression condamnent de façon claire les actes de banditisme qui vont immanquablement se produire. Leur attitude est la plupart du temps équivoque.
Ensuite, les discours proposés par la «rue» ne sont pas très excitants.
Le plus courant est celui de l'anticapitalisme bien carré. Il est en général asséné par des péris-marxistes qui sont des portraits tout craché de leurs grands-pères de même confession ayant sévi il y a 40 ans?! L'intérêt de ce corpus idéologique extirpé des ruines du siècle dernier est évidemment égal à zéro. Il n'en constitue pas moins le fond de sauce de la quasi-totalité des autres doctrines vendues sous vide.
Ainsi alimenté, le simplisme le plus simplet fait rapidement son nid.
Il faut alors rappeler que, non, brûler Stephen Harper en effigie ne bouchera pas l'abominable cheminée sous-marine de la British Petroleum. Que résoudre le problème de la pauvreté est une entreprise extraordinairement complexe qu'on ne mènera pas à bien en criant des noms dans un mégaphone. Qu'il est impossible de condenser en un slogan punché un plan de paix utile aux Palestiniens. Enfin, qu'une pancarte ornée de la phrase Fuck The Police n'offre pas de programme politique décemment réalisable...
Il faut, hélas, le constater: lorsqu'elle se montre sous ce jour, la «rue altermondialiste» semble aussi nue que la casse.