Le lundi 30 juin 2008
LE SOLEIL - POINT DE VUE
L'école ne doit pas bouddhiser ou christianiser, mais humaniser seulement !
Gaston Marcotte
Professeur associé
Université Laval
Lors de la présentation du mémoire du Mouvement Humanisation à la Commission Bouchard-Taylor, nous avons fait ressortir les liens étroits qui existaient entre le problème des accommodements religieux et le nouveau programme Éthique et culture religieuse. Comme les commissaires n'ont aucunement tenu compte de nos propositions, même s'ils nous ont félicités pour notre contribution, nous estimons qu'il est important de faire connaître certaines positions.
Crise d'identité
Il y a quatre causes majeures à la crise d'identité qui menace de l'intérieur les démocraties et qui n'a pas épargné le Québec. Premièrement, l'afflux d'immigrants, qui viennent compenser le bas taux de natalité des démocraties, rend ces dernières de plus en plus pluralistes. Le Québec reçoit annuellement 40 000 immigrants et on parle d'en augmenter le nombre. La culture de ces immigrants s'avère souvent de tradition religieuse différente et ne cadre pas toujours avec nos valeurs démocratiques.
Deuxièmement, la modernité, en valorisant l'autonomie, a encouragé les individus comme les communautés à exiger le respect de leurs droits tels que proclamés dans les chartes des droits et libertés. Les démocraties sont en quelque sorte victimes de leur propre discours émancipateur qui a privilégié les droits au détriment des devoirs, l'individualisme au détriment de la solidarité.
Troisièmement, les démocraties subissent de plus en plus de pressions de la part de différents groupes religieux qui exigent, au nom des chartes des droits et libertés, des accommodements qui vont souvent à l'encontre de certaines valeurs démocratiques comme l'égalité hommes-femmes.
Quatrièmement, le capitalisme impose de plus en plus son idéologie néolibérale aux nations. Cette idéologie prône la nouvelle religion du tout-marché, où le dogme de la production/consommation/compétition à tout prix règne en maître. En privilégiant l'avoir sur l'être, la dignité humaine et la solidarité citoyenne sont alors battues en brèche.
L'erreur des démocraties
Lorsqu'elles ont exclu la religion de la sphère politique, les démocraties ont fait l'erreur capitale de ne pas se doter rapidement d'une conception naturelle, complexe, scientifique, à jour et explicite de l'être humain sur laquelle elles auraient pu fonder une nouvelle éthique capable de remplir le vide laissé par la «sortie de la religion».
Une éthique naturelle leur aurait permis d'établir les valeurs, les principes et les normes pouvant aider tous leurs citoyens à satisfaire ensemble les exigences de développement et de bon fonctionnement de leur être dans ses rapports avec la réalité, avec la vie, avec eux-mêmes et avec autrui, face à la société, à l'humanité et l'environnement.
Une telle éthique aurait évité que l'idéologie capitaliste de la production/consommation/compétition à tout prix qui a engagé l'humanité sur une voie suicidaire vienne remplir ce vide angoissant pour un être qui cherche naturellement un sens et une direction à sa vie individuelle et collective. Les démocraties paient aujourd'hui chèrement cette terrible lacune qui persiste. Selon certains observateurs, elles risquent même d'imploser si elles ne se dotent pas rapidement d'une vision et d'un projet collectifs capables de donner un sens et une direction au vivre-ensemble de leurs citoyens issus de cultures différentes.
Fonder nos valeurs sur notre commune nature
Il est capital que les Québécois fondent les valeurs fondamentales qui détermineront leur identité et celle de leur peuple sur les exigences de développement et de bon fonctionnement de leur nature qui est partagée par tous, et par conséquent universelle. Sinon, ils ne réussiront jamais à s'unir dans un projet collectif capable de transcender leurs différences surtout religieuses.
Ces valeurs fondamentales doivent être fondées sur la valeur absolue d'une vie capable de devenir consciente d'être sa propre fin. De cette valeur suprême découlent les autres valeurs non négociables auxquelles tiennent les Québécois : le respect de la dignité humaine et la non-discrimination des individus, l'égalité hommes-femmes, la liberté sous toutes ses formes (de déplacement, d'expression, d'association, de conscience), la démocratie, la laïcité, la solidarité.
Pour s'attaquer à la source des problèmes des accommodements plutôt qu'à leurs effets, comme l'a fait le rapport Bouchard-Taylor, le gouvernement du Québec ne dispose que de l'institution éducative pour s'assurer d'une solution globale à long terme. Hubert Wallot voit juste lorsqu'il avance que « l'éducation est le nerf du combat, pour l'émancipation d'un individu comme d'un peuple »[1] .
Des projets qui font consensus auprès des citoyens
Si les démocraties de plus en plus pluralistes désirent arriver à des consensus sociaux et vivre dans la paix et l'harmonie, elles devront proposer des projets fondés sur ce que tous les citoyens sans exception partagent. Or, ce qu'ils partagent, c'est une commune nature dont ils héritent qu'en potentiel, et qu'ils doivent actualiser s'ils espèrent satisfaire les exigences de développement et de bon fonctionnement de leur être dont dépendent leur bonheur et la survie même de leur espèce.
Voilà pourquoi, dans une démocratie, l'école ne doit pas bouddhiser, judaïser, christianiser ou islamiser, mais humaniser seulement. Le peuple québécois a non seulement le droit mais l'obligation morale de respecter le droit inaliénable de tous les enfants et de tous les adolescents sans exception à une éducation humanisante, donc à une éthique naturelle. C'est ainsi que les Québécois se doteront progressivement d'une identité humaine commune, fondée sur des valeurs humanisantes dont ils seront fiers.
*Faculté des sciences de l'éducation; président-fondateur du Mouvement Humanisation