René Marchand, ancien élève de l’école des langues orientales, est
un bon connaisseur de la civilisation arabo-islamique : parlant
l’arabe, ayant travaillé en qualité de journaliste dans des pays
musulmans, il a de l’islam une approche
déférente : « J’ai le devoir de le combattre s’il m’agresse, je ne
l’abaisserai jamais » (p. 22). Son analyse saura éviter deux écueils :
le mépris mais aussi le sentiment de supériorité. « L’islam est une
personne, la civilisation française en est une autre » (p. 15). Il
combat l’ethnocentrisme, cette fâcheuse tendance à regarder les autres
cultures avec nos lunettes d’occidentaux. Il invite à prendre l’islam
comme un système en soi dans sa cohérence alors qu’habituellement nous
lui prêtons nos conceptions, nos aspirations, notre vision de l’Homme
et de Dieu. Cette vision ethnocentrique est en partie à l’origine de
notre aveuglement. Aux naïfs qui affirment que la menace islamiste est
derrière nous, que les islamistes ne mènent que des combats désordonnés
et sporadiques, René Marchand répond que « les islamistes nous font la
guerre à leur manière et non selon le principe de nos écoles militaires
» (p. 31) !
1. Une menace bien réelle
René Marchand affirme que le danger d’une islamisation rapide de notre pays doit être considéré avec sérieux et réalisme :
la France, de par sa position géographique, est aux frontières de l’islam comme une marche
et constitue donc la première nation européenne devant être islamisée :
« elle sera musulmane au 21ème siècle » prophétisent les islamistes.
Leur certitude repose :
1) Sur une renaissance puissante
de l’islam en tant que force politique et économique : « le royaume
saoudien, premier pays exportateur de pétrole brut au monde est aussi
le premier pays exportateur d’islam fondamentaliste… le premier pays
exportateur de terroristes » (p. 52). Renaissance qui fut pour les
musulmans de France une surprise totale ; ils ont alors commencé à
regarder l’islam avec un œil nouveau.
2) Sur les prévisions démographiques concernant les communautés
musulmanes de France et du Maghreb : « les démographes escomptent 20,
30 voire 50 millions de musulmans en France dans 50 ou 60 ans » (p.36).
3) Sur la décadence de la France : « pour la plupart des musulmans (…)
les Français ont abandonné leur pouvoir dans « les quartiers difficiles
» à des truands maghrébins qui trafiquent de la drogue (…) ils ne
punissent pas les voleurs (…) sont incapables de faire respecter la
justice ou simplement l’ordre, la sécurité des personnes et des biens.
Ils sont faibles » (p. 37). Face à cette France que René marchand
qualifie « d’avachie », qui constitue « un butin offert aux prédateurs
», le parti islamiste dispose d’un plan. Celui-ci a été exposé à
l’auteur par un islamiste clandestin rencontré à la terrasse d’un café
de Montparnasse durant l’hiver 94. Révéler sa stratégie à l’ennemi, n’y
a-t-il pas là de quoi nous étonner ? Pas vraiment pour R. Marchand :
Hitler avait bien exposé lui aussi son objectif dans Mein Kampf dès
1923 puis dans des discours publics sans que jamais les dirigeants
français se soient émus de ses propos. Même cécité aujourd’hui de la
part des démocraties.
En quoi consiste ce plan ?
- Eviter tout ce qui pourrait provoquer une réaction vive des dirigeants français, anesthésier les élites : les attentats seront en nombre limité et groupés sur une certaine période, cela de façon à maintenir chez l’ennemi l’illusion que le mouvement ne peut agir que de façon sporadique.
- Favoriser l’installation en France du plus grand nombre possible de musulmans d’où qu’ils viennent et obtenir pour eux la nationalité française, favoriser l’enseignement religieux, l’enseignement de l’arabe, le voile des femmes, la construction de mosquées, bref, habituer le Français « au fait musulman » ; quant à l’encadrement, il doit être serré mais indétectable.
- Ensuite massifier les millions d’individus vivant en France en organisant leur rassemblement identitaire autour de l’islam : cette phase sera déclenchée après l’installation d’une république islamiste en Algérie.
- Enfin, le JIHAD : les islamistes n’envisagent pas une guerre de
ligne mettant face à face les combattants : « un statut juridique
dérogatoire devra être obtenu des Français travaillés de longue date
par les communautaristes (…) Nous (Français) serons invités au nom de
la tolérance, des droits de l’homme (…) à prendre acte juridiquement du
fait accompli : la constitution à l’intérieur du territoire français
d’une communauté musulmane ayant sa loi propre » (p. 44).
Ainsi apparaîtront les premières tâches de la peau de panthère et «
avec les même méthodes et les mêmes complicités, ces tâches
s’agrandiront jusqu’à recouvrir la totalité du territoire de la France
» (p. 49).
2. Méconnaissance de l’islam
Nous ne savons presque rien de l’islam alors qu’ « eux » savent tout de
nous. Nous demeurons les coloniaux que nous avons été, nous jugeons
l’islam comme une civilisation en retard par rapport à la nôtre.
Influencés par Auguste Comte et sa loi des trois états, nous croyons
que l’islam est demeuré à l’âge théologique, qu’il n’a pas encore opéré
la révolution de la laïcité, bref nous voyons en lui une religion ni
meilleure, ni pire qu’une autre appelée à disparaître comme les autres
avec le progrès de l’instruction. Même les dirigeants nationalistes
arabes, dignes élèves des Lumières et de nos écoles ont eux aussi sous
estimé l’adversaire en croyant que la solution résidait dans le progrès
économique, social, culturel… L’échec des laïcistes du monde arabe est
dû au fait qu’ils n’ont pas osé se déclarer ouvertement non musulmans
par peur de se couper des masses, par peur aussi d’être exécuté par
n’importe quel croyant : pas d’apostasie en terre d’islam ! N’est-ce
pas ? Il n’y a donc pas de dépassement du religieux dans le
philosophique en terre d’islam ; ne plaquons pas non plus la théorie
hégélienne sur la culture islamique.
La méconnaissance de l’islam est à l’origine de l’islam rêvé de la
pensée unique, qui constitue en grande partie un produit de la mauvaise
conscience consécutive à la colonisation. Pourtant, le phénomène n’est
pas totalement nouveau : il remonte au 18ème siècle au cours duquel les
philosophes s’intéressent à l’islam pour en faire une arme contre
l’Eglise et le contre exemple parfait de l’Infâme. Pour illustrer cet
islam fréquentable, revisité, on ressort habituellement 2 grandes
figures : Omar Khayyan et Averroes. Ce qui constitue une véritable
escroquerie intellectuelle : le poète persan qui a su chanter la
sensualité et les vertus du vin tout comme le philosophe commentateur
d’Aristote réclamant l’autonomie de la raison sont en réalité deux
marginaux bien peu représentatifs de l’islam traditionnel !
Contrairement à ce que répète l’a-pensée unique, « l’islamisme n’est
pas un épiphénomène, quelque chose comme une excroissance maladive
limitée dans l’espace et épisodique qui pourra être rapidement
éradiquée » (p. 25). Ce que nous nommons islamiste est ni plus ni moins
que la résurgence à l’époque contemporaine de la forme de l’islam qui a
prévalu au long de l’Histoire et qui n’a cédé ça et là que sous la
pression de la colonisation : « L’islamisme est dans le droit fil de
l’islam » (p. 68). La pensée unique qui dépeint les islamistes agissant
en France comme un ramassis d’individus égarés est totalement fausse.
Déjà, au moment de ce qu’il est convenu d’appeler la guerre d’Algérie,
le discours conformiste était le suivant : « Les Fellaghas sont très
peu nombreux, ils n’ont pas le soutien de la population musulmane qui
reste dans sa majorité modérée et pro-française » et le FLN était
décrit comme « un essaim d’agités sans cervelle » (p. 30). Ne cédons
pas aujourd’hui à une nouvelle intoxication, n’écoutons pas ceux qui
répètent que l’islamisme algérien est vaincu implore R. Marchand.
L’islamisme ne peut être vaincu ni par des opérations policières
ponctuelles, ni par l’argent. Le fondamentalisme musulman n’est pas
traitable par l’économisme : les richesses qui ont jailli au 20ème
siècle en Arabie Saoudite ne l’ont pas fait reculer…
3. Triste bilan de la politique française
Sur le plan politique, René Marchand dresse le triste bilan de ces
trente dernières années. Il déplore, en gaulliste qu’il se flatte
d’être, qu’après le départ du Général de Gaulle « la politique des
partis » ait repris la place qu’elle occupait sous la 4ème République.
Il dénonce ainsi l’irresponsabilité des dirigeants : Pompidou qui fait
venir une main-d’œuvre à bas prix pour « tenir » les salaires ouvriers,
Giscard qui se fait l’artisan du rapprochement familial en 1975… encore
pouvaient-ils se donner l’excuse d’être poussés par de prétendues
raisons économiques ! En revanche avec Mitterrand les priorités sont
électorales : le droit d’asile est accordé à tout demandeur. De
nombreux clandestins monogames ou non sont régularisés avec leur
famille. Les quotas d’immigration avec l’Algérie sont supprimés de fait
en 1981 : désormais les Algériens peuvent entrer librement en France et
bénéficier d’un permis de séjour de 10 ans renouvelable
automatiquement. Tous ces immigrés vont constituer une réserve
d’électeurs et avec la création de SOS Racisme, le but des socialistes
que croit déceler l’auteur est de fabriquer des racistes pour se
maintenir au pouvoir. Évoquer l’immigration devient désormais tabou, et
la classe politique n’a plus qu’un objectif : maintenir l’opinion dans
sa léthargie. De fait, la France est devenu une société multiethnique
et multiculturelle. Elle est déjà balkanisée : c’est le stade préalable
à la juxtaposition de communautés ayant leur propre droit, et des
destins séparés. Déjà depuis plusieurs années des maires cèdent, ils
gèrent les problèmes de délinquance avec des associations religieuses ;
« après avoir supprimé les tribunaux catholiques, nous tolérons les
juges islamiques… sans même nous préoccuper de savoir qui les a nommés
» (p. 243).
René Marchand insiste aussi sur le fait que dans « la France en danger
d’islam » les plus menacés sont les musulmans qui nous ont fait
confiance. Des Français de vocation, même s’ils sont peu nombreux, ont
cru que la France leur offrait un statut républicain sans équivoque :
ils risquent de se retrouver prisonniers du statut communautaire.
A-t-on pensé à l’avenir de la jeune maghrébine qui risque de se
retrouver mariée sans son consentement, enfermée, voilée, interdite de
profession puis répudiée sans aucun droit sur ses enfants ? Or la
pression communautaire a pris ses aises dans la société française ;
ainsi dans nos cités plus aucun musulman d’origine ne peut donner un
prénom français à son enfant : « il n’y aura plus de Marcel Mouloudji
ni d’Isabelle Adjani… Dommage ! on vous aimait bien » (p. 248)…
4. Vers une grande politique
René Marchand écarte les fausses solutions :
L’intégration : avec la double nationalité ? Le voile pour les filles ?
Ce mot ne veut rien dire : l’intégration sans l’assimilation est une
utopie.
- L’islam à la française ? « Mot fourre tout » et « crétinerie » (p.
263), « nullité intellectuelle » (p. 273), « andouillerie » (p. 277)…
René Marchand n’a pas de mots assez forts pour désigner cette théorie
fumeuse : après avoir constaté que l’islam fait problème en France, les
politiciens ont ainsi voulu changer l’islam, inventer un islam nouveau,
édulcoré. Or, l’islam ne peut être réduit à une religion de sphère
privée, il s’agit à la fois d’une religion et d’une civilisation, d’une
culture et d’une loi. C’est pourquoi l’auteur prédit que « l’islam à la
française sera le marchepied de l’islamisme » (p. 269). Il n’a aucune
de chance de survie, l’islam étant de nature fondamentaliste et
totalitaire. « En offrant aux jeunes maghrébins (…) un islam censé être
compatible avec les valeurs républicaines, on leur retire toutes bonnes
raisons de quitter l’islam (p. 275).
En dépit de la situation catastrophique qu’il constate et qu’il décrit,
René Marchand se veut résolument optimiste : désespérer de la
renaissance n’est pas réaliste car « si la France se laisse toujours
surprendre dans les premiers temps d’une guerre, elle redevient
elle-même dans la contre-offensive et ses capacités de régénérescence
sont prodigieuses » (p. 324). La grande faiblesse de l’islamiste est
d’après lui sa cécité à l’égard de la résistance qu’opposerait la
France à une guerre sur son territoire.
Que propose-t-il ? D’abord de rectifier l’image que l’ennemi se fait de
nous. Quelques mesures : réintégrer dans la République les zones de non
droit, mettre des conditions à la naturalisation, exiger une période
probatoire pour les candidats à la nationalité française, abolir le
droit du sol et le remplacer par un devoir de nationalité (respect de
la loi républicaine), revenir à la préférence nationale, voire
européenne en matière d’emploi et d’avantages sociaux. Ainsi en
redevenant respectables nous serons respectés.
Encore un livre qui risque de déplaire aux « bien pensants », aux
bigots du politiquement correct ! René Marchand est un auteur qui a son
franc parlé, qui ne mâche pas ses mots, qui exprime de saines colères
qui le rendent sympathiques au lecteur affranchi. « La France en danger
d’islam » est un ouvrage dense, truffé de références historiques, mais
bien peu cartésien car également riche en anecdotes, en souvenirs, en
impressions : « Je ne me suis pas interdit digressions, notes
marginales (…) j’ai usé à profusion de répétitions (…) qu’on sache que
j’ai voulu des retours en spirale un peu à l’imitation des auteurs
arabes » (p. 20). C’est aussi le cri d’un gaulliste viscéral par les
prises de positions qu’il exprime (dénonciation du régime des partis et
anti-américanisme -l’auteur rejoint sur ce point les analyses
d’Alexandre Del Valle) et par les solutions proposées (recours à
l’article 16 prévu par la Constitution, restauration du référendum sur
les grandes questions de société, attente d’un homme providentiel,
éternel sauveur d’une droite bonapartiste orpheline…).
Toutefois, on ne comprend pas toujours très bien comment la grande
politique envisagée soit une « politique avec l’islam » (p. 320). Pour
ce qui relève d’une alliance entre la France et les dirigeants du
Maghreb afin de lutter contre le terrorisme, cela se conçoit assez
facilement ; en revanche, on ne voit pas comment nos relations avec les
pays fondamentalistes pourront se trouver améliorées sous prétexte que
nous lutterons contre les militants islamistes en France. Les
dirigeants saoudiens notamment ne renonceront pas volontiers à diffuser
la propagande dans notre pays…
Isabelle LARAQUE