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B o î t e a u x l e t t r e s

Lettre d'un enseignant au ministre de l'Éducation

Monsieur le Ministre,

J'enseigne au secondaire depuis de nombreuses années et jamais je n'ai vu tant de collè-
gues éprouver de telles difficultés à accomplir leur tâche. On sait également qu'un très
grand nombre de nouveaux professeurs décrochent, on sait que même à l'université, la
connaissance du français des étudiants laisse à désirer, et on pourrait continuer...

Bien sûr, ça fonctionne mieux à certains endroits qu'à d'autres, mais si l'on en est rendu au point d'avoir des policiers en permanence dans plusieurs écoles, on peut bien
penser que, dans la même province, la situation générale s'est dégradée ; or je ne parlerai même pas ici du taxage, de la drogue, etc. Ce qui m'inquiète, c'est le peu d'études sérieuses et de devoirs qui se font à la maison et la façon dont les jeunes nous arrivent en classe.

Les jeunes se bousculent dans les corridors, ils se sont couchés on ne sait pas à quelle
heure la veille, ils ont mangé vite, mal ou pas du tout, ils se relèvent d'une peine d'amour, ils travaillent trop d'heures pour faire des sous, ils se fichent de tout parce qu'ils savent qu'ils vont passer par promotion automatique, ils savent qu'ils peuvent déranger sans faire face à de lourdes sanctions, et ils se retrouvent dans un melting pot d'élèves brillants, extrêmement faibles, délinquants, etc.

Ils arrivent dans la classe d'un prof qui a entre 120 et 250 élèves qu'il va commencer
à connaître en avril. Le prof va prendre un certain temps juste pour les calmer et va
éviter toute activité qui risque de déraper ; déjà là, de nombreuses idées pédagogiques
hautement profitables ne pourront jamais être actualisées. Les meilleurs vont s'ennuyer
de ce que le prof ne va pas assez vite et, à cause des délinquants intégrés et de la mauvaise influence qu'ils exercent, le prof sera sur le qui-vive et n'aura pas une seconde
pour les très faibles qui sont ainsi « parqués » au lieu de bénéficier du soutien de spé-
cialistes, comme c'était le cas auparavant.

Bien sûr que si vous avez un super directeur appuyé d'une super équipe, des miracles
pourront être accomplis, mais le système devrait pouvoir fonctionner avec des gens de
bonne volonté, pas seulement avec des surhommes.

À la maison maintenant : ils arrivent, les parents sont encore au travail. Quand ceux-ci
reviennent, les jeunes déclarent qu'ils n'ont ni devoir ni leçon et ils passent des heures
à clavarder ou devant la télé ou les jeux vidéo. D'autres passent de l'école au travail et
entrent à la maison tard le soir. Encore là, il faut comprendre que certains étudient,
mais je vous garantis que ce n'est pas la majorité.

Je ne blâme pas ici les parents, ils subissent eux aussi le fait que nous soyons dans une
société permissive. De plus, les changements de programmes, entre autres, ont fait qu'il
leur est compliqué de suivre leur jeune dans ses études. Ce qu'il faut, c'est un changement de culture ; on a réussi à changer les mentalités face au tabagisme, on devrait pouvoir faire de même pour ce qu'on peut appeler le culte de l'enfant-roi. Il est temps de répondre aux besoins des jeunes avant de répondre à leurs désirs.

Donnons à l'école les pouvoirs de ses responsabilités afin que le climat s'améliore ; à la
limite, mieux vaut la pire méthode d'enseignement dans le meilleur climat que l'inverse.
Tous les profs connaissent des collègues brûlés et d'autres qui ont quitté l'enseignement à cause de conditions quasi intenables. Si rien n'est fait, dans quelques années,
la moitié des profs du Québec ne pourront faire beaucoup mieux que du baby sitting.
Je souhaite que le Québec soit assez fou de ses enfants pour effectuer le redressement
qui s'impose.

Veuillez accepter, Monsieur le Ministre, l'expression de mes sentiments distingués.

S e r g e B e l l e m a r e
Enseignant, Commission scolaire Lester B. Pearson

Nouvelles CSQ - Mai-juin 2004