Fouad Laroui

L'islamisme mélange tout

Parution.
Fouad Laroui. L'islamisme mélange tout

Le romancier Fouad Laroui vient de publier “De l'islamisme”, une réfutation à la fois érudite et caustique du discours intégriste. Il y plaide pour remettre la foi et la raison chacune à sa place, au moyen d'une déconstruction des tabous intellectuels qui dominent les débats sur la religion.

Le plus célèbre exilé volontaire de la littérature marocaine francophone contemporaine vient de commettre un essai sur l'islamisme. Court essai de 180 pages, De l'islamisme (sous-titré : Réfutation personnelle du totalitarisme religieux) est paru aux éditions Robert Laffont, qui publient au même moment Ma vie rebelle de l'ex-députée néerlandaise originaire de Somalie, Ayaan Hirsi Ali. Sur un ton ouvertement subjectif, l'écrivain installé aux Pays-Bas depuis une quinzaine d'années y expose les raisons de son hostilité au mélange des genres pratiqué par les islamistes. On connaît Fouad Laroui, le brillant romancier, décortiquant la société marocaine, dans une écriture de l'“absurde”, ou le chroniqueur à la plume ironique dans Jeune Afrique. On connaît moins son passé d'ingénieur et sa formation scientifique. Le livre réconcilie tout cela, pour aborder un sujet pour le moins explosif.

Cesser les amalgames

La thèse du livre est sans détours : c'est de la confusion entre foi et religion que naît l'islamisme, totalitarisme religieux qui sera le problème des prochaines décennies. Contre ces amalgames entre foi et politique, religion et raison, spiritualité et dogmatisme, Fouad Laroui fait très clairement la distinction entre, d'une part la foi, qu'il qualifie d'“individuelle, ineffable et incommunicable et d'autre part la religion, “ensemble de dogmes, de rituels, de gestes visibles et enracinés dans la vie quotidienne”. Cette clarification résultera d'une “déconstruction” du système de pensée des islamistes.

Mais d'abord, l'auteur veut dissiper tout malentendu, lui qui reconnaît avoir perçu une susceptibilité sur les questions religieuses de la part de musulmans, rencontrés au hasard de conférences ou dans ses cours. Fouad Laroui se démarque sans équivoque des discours provocateurs qui fleurissent en Europe, rappelant dès les premières lignes de son livre que celui-ci n'est “pas une attaque contre l'islam en tant que foi”. Précaution ? Simple convention de langage ? Non, car il pense qu'“une telle entreprise serait tout simplement absurde. Comment pourrait-on pointer ses batteries contre l'ineffable, l'incompréhensible, ce qui échappe aux mots ? Ce dont on ne peut parler, il faut le taire. S'il y a un domaine où cette sentence est d'or, c'est bien celui de la foi”.

Cette position ne surprendra pas ceux qui suivent attentivement l'actualité de l'auteur. En novembre 2004, le cinéaste néerlandais Theo Van Gogh est assassiné par un jeune islamiste - d'origine marocaine, s'empressent de préciser les médias. Dans un texte (Chronique d'une mort annoncée) paru sur les colonnes de Jeune Afrique, Fouad Laroui prend ses distances avec la solidarité pour la victime, exprimée sans retenue par la majorité des intellectuels et de la classe politique. Le cinéaste a pris le risque de “jouer avec le feu” écrit-il, créant une polémique.

Pourtant, l'auteur n'est certainement pas complaisant envers la violence des islamistes. Il revient précisément sur cet épisode dans l'exposé des raisons qui l'ont poussé à écrire sur le sujet. “Pourquoi ce livre ? Répondons par une autre question : pourquoi Mohammed B. ? Pourquoi un jeune homme, né et élevé à Amsterdam, un jeune homme qui aurait pu vivre sa foi dans une liberté totale et dans le respect de tous, pourquoi cet homme-là a-t-il choisi d'assassiner Theo Van Gogh, ce mardi 2 novembre 2004 qui nous obsédera toujours ?”

Un combat d'idées

Dans une interview au Nouvel Observateur, Laroui explique que “les fondamentalistes veulent étendre la religion à tous les actes de la vie. Tout fait religion. Pendant ce temps, on oublie l'essentiel : la foi. C'est donc une dénaturation de celle-ci que de la remplacer par la religion”. Comme dans cette fatwa du cheikh Al Qaradawi qui sévit sur Al Jazeera, rassurant un croyant lubrique : “Téter sa femme n'est une faute que durant les deux premières années de l'enfant”. L'auteur se gausse, mais au-delà, il s'inquiète.

Car la régression est en marche. Pire, elle n'est pas vraiment actuelle, puisqu'elle a commencé il y a mille ans. “Historiquement, ce sont les ennemis de la raison, du libre questionnement, de la philosophie qui ont gagné, dès le Xème siècle, dans le monde arabo-musulman. À partir de ce moment, il n'y avait plus que le dogme”. Faut-il s'y résigner ? Contre les discours fatalistes, ou l'accusation de l'autre, l'écrivain propose de prendre les choses en main.

Derrière la multitude de questions triviales ou vulgaires, les islamistes essaient d'enfermer toute pensée dans le cadre d'un Coran qu'ils érigent en référent universel, sorte d'almanach qui a réponse à toutes les interrogations. Ce défi lancé par les fondamentalistes doit être relevé par ceux qui, comme l'auteur, croient que la raison doit aider à triompher des mystificateurs. En cela, Fouad Laroui ne manque pas de courage.

Il ose prendre parti, là où beaucoup se cachent derrière un relativisme douteux. “Il y a une chose dont on peut parler, dont on doit parler : c'est du danger des intégrismes, plus précisément de l'islamisme. Il s'agit d'un danger récent, mais dont l'ombre portée obscurcit notre avenir. Le mot lui-même n'existait pas il y a quelques décennies. Il apparaît vers 1980, à peu près au moment où l'ayatollah Khomeiny prenait le pouvoir en Iran. Mais aujourd'hui, le mot est partout et la chose s'avance, s'étend et menace”.

L'écrivain ne prétend pas être un spécialiste de l'islam, mais il s'appuie sur une bonne connaissance du Coran, de l'histoire, et des sciences pour réfuter les lieux communs de l'islamisme contemporain. Il démonte avec sérieux, au risque d'ennuyer le lecteur pressé, les “bucailleries”, référence au best-seller du professeur Bucaille, la Bible, le Coran et la science : les écritures saintes examinées à la lumière des connaissances modernes, censées démontrer la validation du Coran par des découvertes et théories scientifiques postérieures, sans jamais questionner la relativité de telles hypothèses. Fouad Laroui, le scientifique, plaide pour une séparation des genres.

À la manière d'un professeur -il enseigne aujourd'hui l'économie à l'université-, il veut convaincre ces jeunes esprits d'user de leur esprit critique contre le “fétichisme de la lettre contre l'esprit, un paganisme de la lettre”. Il dit vouloir “prendre par la main ce jeune homme ou cette jeune femme assidûment courtisés par l'intégrisme et leur dire : 'Voici ce que j'ai lu, ce que j'ai vu, ce que j'ai pu étudier et ce que j'en ai conclu. Tires-en ta propre conclusion'”.

Pas de naïveté là, au contraire. Fouad Laroui sait bien que “les fondamentalistes ne croient pas aux vertus du dialogue. Ils n'écoutent pas ceux qui ne pensent pas comme eux”. Dans le Nouvel Obs, il ajoute “ou alors juste le temps de dégainer leur revolver. Quand le fanatisme entre dans une tête, il n'en sort plus, ou très rarement. Ce n'est donc pas pour eux que j'ai écrit ce livre, mais pour l'honnête homme qui se pose des questions sur l'islam et pour les jeunes gens qui seraient tentés par le fondamentalisme religieux. Eux pourraient m'entendre. Du moins, je l'espère”.