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Les droits fondamentaux et l’apostasie de l’islam

Mercredi 23 janvier 2008 , par Annie Lessard

Une grande attention a été accordée ces dernières années au défi particulier présenté par la résurgence de l’islam comme une grande religion mondiale, et à l’apparente difficulté de concilier le droit universel à la liberté de religion avec un prétendu principe de la foi islamique qui interdit l’apostasie. L’Honorable Michael Kirby, juge à la plus haute cour d’Australie, analyse cette question.

Traduction d’extraits d’un exposé par l’honorable juge Michael Kirby AC CMG, à l’Université Griffith, le vendredi 16 novembre 2007 sur le thème « Les droits fondamentaux et l’apostasie religieuse ». (Barreau malaisien)

Le plus ancien droit de l’homme ?

La liberté de religion et de conscience est peut-être le plus ancien des droits de l’homme internationalement reconnus. La protection a été conférée dès la Paix de Westphalie, signée en 1648, pour mettre fin à la guerre de Trente Ans en Europe. Elle est désormais inscrite dans un certain nombre d’instruments internationaux relatifs aux droits de l’Homme, y compris la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 (« la DUDH »), et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 1966 (« le Pacte »). Elle est également garantie dans la constitution de nombreux pays et dans d’autres lois internes.

Le droit à la liberté de religion inclut nécessairement la capacité de changer de religion ou, comme Lionel Murphy l’a souvent rappelé, le droit de se débarrasser de la religion – être libre de religions. La communauté internationale a ainsi reconnu que la liberté religieuse est une caractéristique universelle de l’existence humaine qui intrinsèquement fait appel au caractère essentiellement inquisitif, pensif et moral, au for intérieur de chaque être humain partout dans le monde.

Alors que le droit à la liberté de religion est reconnu par les États, le concept universel de la liberté de religion, et les libertés de pensée et de conscience, ne bénéficient pas d’une relation aisée avec les religions révélées. Par sa nature même, si une religion est reconnue comme révélant un Dieu tout-puissant, digne d’une foi et d’une obéissance aveugles, il est difficile pour de nombreux croyants de tolérer le postulat de l’erreur : la possibilité qu’un autre dieu ou messager terrestre puisse exister, différent du leur, ou qu’il puisse n’y avoir aucun Dieu. Les gens ont tendance à avoir des sentiments très profonds, sincères et passionnés au sujet de telles idées centrales.

Il en était ainsi dans les religions abrahamiques avec les juifs qui ont rejeté le polythéisme d’autres communautés voisines plus puissantes. Il en était également ainsi dans le christianisme, qui, pendant des siècles, a tué et opprimé des millions de personnes qui avaient embrassé d’autres religions ou même des variantes de la foi chrétienne. Mon sujet, bien qu’illustré par la mention d’une religion, l’islam, n’est pas pour autant limité à cette religion. C’est un phénomène qui accompagne très souvent la conviction et la dévotion que la croyance religieuse tend à inspirer chez les croyants.

Une grande attention a été accordée ces dernières années au défi particulier qu’on dit présenté par la résurgence de l’islam comme une grande religion mondiale et à l’apparente difficulté de concilier le droit universel à la liberté de religion avec un prétendu principe de la foi islamique qui interdit l’apostasie, soit le renoncement ou l’abandon de la religion dans laquelle une personne est née, ou en est venue à professer plus tard. Dans certains pays islamiques, l’apostasie est un crime. Une récente décision de la plus haute juridiction d’appel en Malaisie dans le cas de Lina Joy, attire l’attention sur l’apparente difficulté de concilier ces concepts. En ce sens, l’affaire présente un casse-tête qui est digne d’attention par les Australiens qui vivent dans une des sociétés les plus diversifiées et cosmopolites de la planète - une terre de nombreuses religions où une majorité de la population se considère chrétienne mais avec une proportion croissante de la population qui ne professe aucune religion.

La Malaisie est un pays avec des relations historiques, juridiques et commerciales avec l’Australie. Il s’agit d’une société multiculturelle et d’un pays présentant de nombreux attributs de pluralisme religieux. Environ 60% de ses citoyens professent l’islam. La Malaisie se considère comme un État musulman modéré, respectant les droits fondamentaux de sa population diversifiée. Bien que la Malaisie ne soit pas un signataire du Pacte, elle a souscrit à la DUDH. Le droit à la liberté de religion est expressément prévu dans la Constitution fédérale de la Malaisie.

Ce sont les paramètres du casse-tête que je vais explorer. Un pays voisin vibrant et très respecté ayant de nombreux liens avec la nôtre, le plus précieux de tous les liens d’amitié et d’association qui remontent à l’indépendance de la Malaisie, il y a 50 ans, et même beaucoup plus tôt. Un grand nombre d’Australiens, comme moi, ont une longue et durable amitié avec la Malaisie et des collègues malaisiens. J’approche donc cette histoire et le puzzle dans le plein respect de la Malaisie, de ses institutions, de son peuple, de ses réalisations et de la religion qui prédomine là-bas - l’islam.

Le cas de Lina Joy

Lina Joy est né en Malaisie dans une famille musulmane. À la naissance, elle a reçu le nom Azalina binti Jailani. En 1998, cependant, elle a décidé de se convertir au christianisme. Elle a annoncé son intention de se marier à un homme chrétien. En vertu de la Malaysian Law Reform (Mariage and Divorce) Act de 1976, elle ne serait pas en mesure de contracter un tel mariage à moins que son nouveau statut en tant que non-musulmane ait été reconnue.

Pour ces raisons, Azalina a soumis une demande au Malaysian National Registration Department (« la BDNI ») pour changer son nom sur sa carte d’identité à un nom chrétien. Elle a réussi à avoir le nom de Lina Joy. Toutefois, en l’an 2000, des amendements qui sont entrés en vigueur rétroactivement ont été apportés aux règlements nationaux. Les modifications exigent que les cartes d’identité des musulmans indiquent leur religion. Par conséquent, lorsque Lina Joy a reçu sa nouvelle carte d’identité reflétant le changement de son nom, la mention « islam » figurait toujours sur sa carte. Cela annulait le but de sa demande de changement de nom. Effectivement, cela constituait un obstacle à son mariage.

Lina Joy a donc soumis une demande à la BDNI en 2000 pour avoir le mot « islam » retiré de sa carte d’identité. La BDNI a rejeté sa demande.

Lina Joy a contesté la politique de la BDNI à la Haute Cour de Malaisie. (…) elle a soutenu que l’insistance de la BDNI sur sa politique violait son droit à la liberté de religion en vertu de la Constitution malaisienne.

La Constitution de la Malaisie et l’islam

Pour comprendre le cas de Lina Joy, il est utile de considérer le contexte constitutionnel dans lequel le cas s’est présenté.

La Malaisie est devenue un état souverain sur Merdeka (ou libéré) de la Grande-Bretagne en 1957. La Constitution fédérale établit une démocratie parlementaire et un système fédéral de gouvernement basé sur le modèle de Westminster.

Le rapport de la Commission constitutionnelle Reid, sur lequel la Constitution a été basée, est relativement clair :

« Nous avons examiné la question de savoir s’il devrait y avoir une déclaration dans la Constitution à l’effet que l’islam soit la religion d’État. Il a été unanimement reconnu que, si une telle disposition était insérée il devait être clair qu’elle ne porterait en rien atteinte aux droits civils des non-musulmans ».

En conséquence, l’art. 3 (1) de la Constitution malaisienne prévoit que :

« L’islam est la religion de la Fédération, mais les autres religions peuvent être pratiquées dans la paix et l’harmonie dans toute partie de la Fédération. »

La liberté religieuse est encore renforcée en Malaisie par l’art. 11 (1), qui prévoit que « toute personne a le droit de professer et de pratiquer sa religion…. et de la propager ». Cependant, ces droits sont expressément limités par un certain nombre d’articles de la Constitution, dont l’art. 11 (4). Cette disposition prévoit que les états de la Malaisie « peuvent contrôler ou limiter la propagation de toute doctrine ou conviction religieuse auprès des personnes professant la religion de l’islam ».

(…)

Décision de la Cour fédérale de Malaisie

Après le rejet de sa demande par la Haute Cour et la Cour d’appel de Malaisie, Lina Joy a lancé un appel à la plus haute juridiction, la Cour fédérale de Malaisie. Devant ce tribunal, elle a soutenu que l’exigence selon laquelle elle doit obtenir l’approbation d’un tiers pour exercer son choix d’une religion, est inconstitutionnelle. Par une majorité de deux contre un des juges participant à l’appel, la Cour fédérale a jugé contre Lina Joy. Inévitablement, il a été remarqué que les deux juges de la majorité, comprenant le juge en chef de la Malaisie, étaient eux-mêmes musulmans.

La majorité a jugé que la politique de la BDNI exigeant un certificat d’apostasie était légale. Malgré le fait que Lina Joy avait fourni une déclaration statutaire à la BDNI exprimant sa décision qu’elle ne souhaitait plus être musulmane et joignait un certificat de baptême chrétien, la majorité des juges a déclaré qu’ « il n’y avait aucune certitude que l’appelante ne professe plus l’islam. » En conséquence, la majorité a conclu que la politique instituée par la BDNI et à laquelle elle tenait, comme organisme public, était à la fois raisonnable et légitime.

En confirmant cette décision, la majorité de la Cour fédérale de Malaisie dans le cas de Lina Joy a décidé que la question de savoir si Lina Joy était musulmane ou non est une décision relevant exclusivement des tribunaux islamiques. (…)

La majorité des juges de la Cour fédérale dans le cas de Lina Joy n’ont fait aucune allusion à la clause de non-dérogation à l’art. 3 (4), ni à l’art. 4, qui affirme la suprématie de la Constitution. Ils n’ont pas non plus expressément tenu compte de l’histoire constitutionnelle qui donne à penser que la Malaisie n’était pas destinée à être un État islamique. Selon Benjamin Dawson et Steven Thiru, membres de l’équipe légale représentant Lina Joy, la majorité de la Cour fédérale a tout simplement traité de la question de l’apostasie « comme une simple question islamique plutôt que comme une question constitutionnelle. » Cela leur permettait d’invoquer la clause conférant toutes ces questions aux tribunaux de la charia, niant par le fait même leur propre compétence et leur pouvoir de défendre les droits constitutionnels manifestes de Lina Joy.

Il aurait certainement été plus conforme à la façon dont d’autres cours suprêmes ont interprété les dispositions relatives aux droits fondamentaux dans les constitutions nationales de décider un tel cas d’une manière qui assure la prédominance de telles dispositions. En un sens, il aurait même été plus prudent pour les tribunaux civils d’assumer leur responsabilité de cette manière, et de donner effet à toutes les parties de la Constitution.

(…)

Les implications pratiques de la décision

Afin d’apprécier pleinement le sérieux impact sur la liberté religieuse en Malaisie occasionnés par des décisions dans des cas tels que Lina Joy, il est important de noter deux importantes implications pratiques de cette affaire.

Premièrement, les apostats en Malaisie sont assujettis à une variété de sanctions en vertu de la législation des États. Dans certains États, l’apostasie est un délit pénal. Dans l’État de Pahang, l’article 185 du Administration of the Religion of Islam and the Malay Custom Enactment of 1982 (Amendment 1989) dispose :

« Tout musulman qui déclare qu’il a cessé d’être musulman, que ce soit oralement, par écrit ou de toute autre manière que ce soit, avec quelque intention que ce soit, commet une infraction et, sur déclaration de culpabilité, est passible d’une amende n’excédant pas cinq mille ringgit ou d’un emprisonnement ne dépassant pas trois ans, ou des deux, et à la flagellation avec un maximum de six coups ».

Dans d’autres États de la Malaisie l’apostasie est punie par la détention obligatoire dans un centre de réadaptation pour des périodes allant jusqu’à trois ans. Pendant cette période, des apostats subissent un cycle d’études et (sans doute sous cette persuasion), ils sont invités à se repentir.

Deuxièmement, si Lina Joy devait maintenant s’adresser à un tribunal de la charia pour une déclaration d’apostasie, elle devrait faire face à un certain nombre d’obstacles. Les principes islamiques découragent les musulmans de soutenir ou faciliter les renoncements de la foi islamique par d’autres musulmans. Ainsi, il serait difficile pour Lina Joy de trouver un avocat, spécialisé en droit de la charia, qui serait prêt à la représenter dans une telle cause. Elle pourrait donc avoir à se représenter elle-même. En outre, les juges de la charia pourraient également se retrouver à violer la loi islamique s’ils rendaient des décisions autorisant des musulmans à quitter la religion. Les représentants légaux de Lina Joy ont déclaré ce qui suit :

« En réalité, les perspectives d’obtention d’une ordonnance d’apostasie sont illusoires compte tenu de la conviction générale que l’apostasie est un péché et que la communauté musulmane a une obligation de prévenir ses adhérents de tomber dans le péché ».

Il en résulte que l’obtention d’une ordonnance d’apostasie par un tribunal de la charia n’est pas une simple formalité en Malaisie. En un sens, ça s’apparente à la « grande affaire » du roi lorsque le roi Henry VIII d’Angleterre a cherché à obtenir un divorce de la reine Catherine. Pour plusieurs à l’époque c’était considéré comme impossible parce que contraire à la volonté de Dieu révélée dans les Écritures. Demander aux croyants d’être complices de ce divorce imposait un fardeau déraisonnable sur leur conscience. Certains (comme Sir Thomas More) ont été prêts à payer de leur vie pour leur refus. La seule solution a été l’intercession du pouvoir d’un État laïc, manifestée dans une loi du Parlement.

Les conséquences de ces développements sont que la seule façon réaliste permettant à Lina Joy l’exercice de son droit à la liberté de religion semble désormais être pour elle de quitter la Malaisie. Dans une interview sur « The Religion Report » de la ABC, avant le début de l’audience de la Cour fédérale, le Président de la Fédération chrétienne de Malaisie, l’évêque Paul Tan Chee Ing, a indiqué que les conseils habituels aux non-musulmans qui voulaient se marier avec un musulman étaient :

« Si vous voulez vraiment épouser l’homme ou la femme, et vous ne voulez pas être discriminés, persécutés et parfois soumis à des pressions, alors vous émigrez. »

Restreindre la portée de la liberté de religion

De ce que j’ai dit, il sera clair à partir du cas de Lina Joy (et d’un certain nombre d’autres cas similaires) que les juges malaisiens ont donné une portée très restreinte à la liberté de religion. Malgré les implications pratiques, les tribunaux civils malaisiens ne considèrent pas que l’obligation faite aux musulmans d’obtenir une certification d’apostasie d’un tribunal de la charia dans le but de se convertir à une autre religion que l’islam, porte atteinte au droit à la liberté de religion. Un certain nombre de décisions récentes ont indiqué qu’il n’est pas interdit aux musulmans de renoncer à l’islam, tant que les conditions préalables à la certification sont remplies.

Des experts du droit constitutionnel en Malaisie affirment aussi que la punition et la peine de détention pour fins d’éducation et de « repentir » ne portent pas atteinte au droit d’un individu à la liberté religieuse. Dans la plupart des régions du monde, de tels arguments seraient, je crois, écartés a priori. Comment peut-il y avoir de véritable liberté de religion si la sortie d’une religion pour adhérer à une autre (ou pour devenir un humaniste) est lourde de grandes difficultés ou effectivement impossible ?

L’islam et la oumma : Afin de comprendre pourquoi l’apostasie est interdite dans l’islam et la raison pour laquelle la liberté de religion est interprétée de façon restrictive, il est important de comprendre que l’accent est placé dans la tradition islamique sur le bien-être de la oumma, ou communauté, pour laquelle l’apostasie est considérée comme pertinente.

Contrairement aux traditions généralement individualistes de la théorie sociale occidentale libérale, la tradition islamique présente une vision communautariste. Elle n’est pas unique à cet égard. (La vision de la société confucéenne met aussi l’accent sur la collectivité qui prévaut sur l’individu.) Conformément à ces concepts, le « soi » est réalisé collectivement. Il se définit à travers les traditions et les concepts d’ honneur. Dans l’islam, l’individualisme doit être réalisé au sein de l’oumma, ou communauté, qui est d’une importance primordiale. En conséquence, d’un point de vue musulman, la répudiation de la foi islamique ne touche pas seulement l’individu concerné. Il est nuisible à la communauté dans son ensemble.

Le chaos et la confusion : Le juge Faiza Thamby Chik, juge du procès dans le cas de Lina Joy, a noté que si Lina Joy était autorisée à renoncer à l’islam sans d’abord régler la question avec les autorités religieuses, cela « créerait le chaos et la confusion avec l’autorité administrative » qui gère les affaires islamiques » et, par conséquent, la communauté non-musulmane dans son ensemble ».

Le parcours du christianisme : Ces aspects de la tradition islamique expliquent le raisonnement sous-jacent au principe islamique interdisant l’abandon de la foi islamique.

Jadis le christianisme avait une approche très semblable en matière d’apostasie. C’était évident au cours des guerres sanglantes, des conversions forcées et des bûchers des hérétiques qui ont accompagné la Réforme chrétienne et la Contre-Réforme. À cause de mes origines familiales de l’Ulster, j’ai été élevé avec des contes héroïques de l’archevêque Cranmer, qui a été brûlé sur un bûcher, et les martyrs protestants qui ont résisté à « Bloody Mary ».

L’Église catholique romaine dans ma jeunesse en Australie ne permettait pas aux protestants d’être mariés dans leurs églises. Elle leur imposait de se « convertir » ou d’être mariés « derrière l’autel ». C’était en Australie il y a seulement 50 ans. En partie par épuisement, en partie pour des raisons pratiques, en partie à cause du progrès rationnel du respect mutuel, les chrétiens en Australie et généralement dans la plupart des autres nations, mais pas totalement, ont émergé des attitudes sectaires. Ils ont généralement adopté une acceptation de la tolérance qui est au cœur du droit universel à la liberté de religion et du droit de changer ou de renoncer à des croyances antérieures. Si l’on examine la question de l’apostasie dans une perspective historique, l’islam à ce jour, est à un stade antérieur de ce même parcours.

Le Coran et la liberté de religion

Pas de contrainte en religion : Il est très important pour ceux qui soutiennent l’universalité des droits de l’homme dans l’Islam que la principale source des principes de l’islam, le Coran, précise expressément qu’ « il n’y a pas de contrainte en religion. »

Selon de nombreux adeptes de l’islam, le Coran dispose que Dieu seul a le droit de punir ceux qui ne respectent pas la foi islamique, ou ceux qui cessent d’adhérer à la foi islamique. Certes, le texte sacré semble indiquer que les apostats seront punis de la damnation éternelle dans l’au-delà. Cependant, il exclut la participation de l’homme dans la répression des non-croyants dans cette vie. Ceux qui soutiennent l’universalité des droits de l’homme notent que cet aspect du Coran est entièrement compatible avec les notions modernes de droits de l’homme.

Le fondement du châtiment pour apostasie dans l’islam est essentiellement trouvé dans une interprétation, non pas du Coran, mais des hadith, ou dictons de Mahomet. (…).

(…)

Réconciliation - Quelques suggestions

Répondre à Lina Joy : (…) Les règles qui interdisent ou entravent sérieusement la renonciation à la foi islamique apparaissent difficiles, voire impossibles à concilier avec le droit de changer de religion selon la manière dont la liberté de religion est exprimée dans les instruments internationaux relatifs aux droits humains.

Comment ces visions du monde parallèles peuvent-elles se réconcilier d’une manière respectueuse de chacun ? Sommes-nous condamnés à une incompatibilité entre une certaine religion et le droit humain universel à la liberté de religion à laquelle la plupart des pays du monde adhèrent maintenant – au moins du bout des lèvres ? Est-il juste que les adeptes malaisiens de l’islam puissent faire le prosélytisme de leurs convictions religieuses dans des pays comme l’Australie ou le Royaume-Uni, mais que les fidèles chrétiens ou hindous ne peuvent le faire en Malaisie ? Est-ce que la seule solution pour des gens comme Lina Joy est de quitter la Malaisie ou de « vivre discrètement » sans se marier à son fiancé, et de mettre ces restrictions sur le compte de la phase de l’histoire que son pays a atteint à ce moment ?

Autoriser un changement de religion : Dans l’État malaisien de Negeri Sembilan, après qu’une personne ait demandé à un tribunal de la charia une déclaration reconnaissant sa renonciation à l’islam, elle doit subir des séances de counselling et d’éducation avec un Mufti pendant 90 jours.

Même si cette procédure plutôt longue retarde et entrave clairement le renoncement à la foi islamique, il y a évidemment beaucoup de mérite dans le remplacement des châtiments par des conseils et le fait qu’une déclaration d’apostasie soit communément émise à l’issue du processus, si la personne n’est toujours pas « repentante ».

(…)

Appui des musulmans d’Australie ? : En juin 2007, le juge David Hodgson, juge d’appel à la Cour suprême de Nouvelle-Galles du Sud, a fourni une suggestion sur la manière d’encourager les législateurs et les tribunaux des pays musulmans à changer leur point de vue sur l’apostasie. Dans un article publié peu après la décision de la Cour fédérale de Malaisie, le juge Hodgson a noté les doutes soulevés par le cas de Lina Joy sur la question de savoir si l’islam est compatible avec la liberté de religion. Il a suggéré qu’un des moyens d’écarter les incertitudes sur ce point serait que les leaders musulmans en Australie, et d’autres pays où leurs adhérents jouissent d’un très haut degré de la liberté religieuse, « s’expriment clairement et fermement contre la négation de la liberté religieuse dans des pays comme la Malaisie. » Il a conclu en déclarant que, «  s’ils ne peuvent pas le faire ou ne le font pas, le doute doit demeurer ».

Protéger les minorités religieuses

La protection des minorités - y compris l’islam : Il est très important de comprendre que l’un des objectifs fondamentaux du droit à la liberté de religion, dans toute société, est la protection des droits des groupes religieux minoritaires dans cette société. Dans la plupart des régions du monde cela inclut aujourd’hui les adeptes de l’islam. Dans la plupart des pays, ils demeurent une minorité. Ils ont, à ce titre, le droit de bénéficier de cette précieuse liberté. À juste titre, ils s’y attendent et l’exigent. La liberté de religion est protégée d’une manière limitée en vertu de l’article 116 de la Constitution australienne. Le juge en chef Latham a déclaré que :

« …Il ne faut pas oublier qu’une telle disposition comme l’article 116 n’est pas nécessaire pour la protection de la religion de la majorité. La religion de la majorité de la population peut s’occuper d’elle-même. L’article 116 est nécessaire pour protéger la religion (ou l’absence de religion) des minorités, et en particulier les minorités impopulaires. »

La situation de Lina Joy donne justement un exemple d’une situation où cette protection doit être accordée par les tribunaux. À cette occasion, dans un pays voisin que nous respectons et admirons, les tribunaux civils n’ont pas respecté la suprématie du droit constitutionnel à la liberté de religion. Dans les pays théocratiques durs, avec des régimes autocratiques, des économies arriérées et des traditions intolérantes, nous ne serions pas surpris. On aurait à peine sourcillé. Ce serait de peu ou d’aucun intérêt. Mais avec la Malaisie nous partageons un profond lien historique. Il est renforcé par une tradition juridique et judiciaire partagée.

Apprendre les uns des autres : le cas de Lina Joy est donc arrivé comme une surprise pour nous en Australie. Nous sommes en droit d’exprimer notre inquiétude à ce sujet. Dans le monde d’aujourd’hui, aucune terre n’est une île et une entité en soi. Nous avons nos propres carences et la Malaisie devrait, et elle le fait parfois, nous en faire part. Nous pouvons tous apprendre les uns des autres. Nous savons que l’un des principes universels qui est partagé par toutes les grandes religions du monde est la Règle d’or. Agir envers les autres comme nous voudrions qu’ils agissent envers nous-mêmes.

Dr Li-ann Thio, professeur agrégée à l’Université nationale de Singapour, commentant le cas de Lina Joy dans l’une des critiques les plus éloquentes des décisions antérieures, a fait remarquer :

« Il y a une certaine angoisse au sujet de cette affaire dont le cœur concerne une femme qui souhaite faire un changement dans sa confession religieuse et se marier et avoir une famille. Lina Joy n’est pas un provocateur religieux cherchant à diffamer ou à dénigrer une religion qui est constitutionnellement reconnue, elle est simplement une personne qui souhaite se marier et mener une vie tranquille, et à qui le régime légal actuel impose des obstacles. » (…)

Lina Joy doit avoir notre soutien. Elle doit l’avoir, non pas parce qu’elle est chrétienne. Ni parce qu’elle est considérée par certains comme une personne cherchant à jouir des valeurs familiales traditionnelles. Elle doit avoir notre soutien parce qu’elle est un être humain qui réclame l’intégrité de ses droits fondamentaux. Ces droits ne sont pas, comme la majorité des juges de la Malaisie ont dit dans son cas, des « caprices ». Ils sont une précieuse manifestation de profonds sentiments humains qui expriment une partie de l’essence même de ce que signifie être humain. Les peuples du monde entier doivent soutenir Lina Joy.

Les droits de l’homme universels nous offrent un terrain commun permettant à tous de nous rassembler sur une plate-forme partagée. Ces droits sont nécessaires pour permettre à tous et chacun de s’épanouir comme être humain. Pour Lina Joy et son fiancé, cela signifie la liberté de pratiquer leur religion ensemble selon leurs croyances, de se marier et de vivre dans leur propre pays.

(…)

Par : Juge Michael Kirby

Source : Malaysia/Australia : Fundamental Human Rights and Religious Apostasy par l’Honorable Juge Michael Kirby, le 21 décembre 2007, Femmes sous lois musulmanes http://www.wluml.org/english/newsfulltxt.shtml ?cmd[157]=x-157-559665

 

Le blasphème et l’apostasie démystifiés par un avocat torontois

 

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