Publié le 15 juin 2012
Alain Dubuc |
La fabrication d'une mayonnaise est un procédé culinaire fascinant. Vous prenez trois éléments, de l'huile, du jaune d'oeuf et de la moutarde, et si vous les liez d'une certaine façon, vous obtenez une tout autre substance. Mais attention, si vous versez l'huile trop vite, ou si vous brassez mal, les ingrédients ne prendront pas et la mayonnaise va se défaire.
C'est un peu ce qu'on est en train de voir avec ce que l'on a appelé, sans doute un peu trop vite, notre crise sociale, et qui ressemble davantage à un épisode d'agitation sociale.
On voit bien que le momentum n'est plus là. Ce qui s'explique en bonne partie par l'arrivée de l'été. Les manifestations nocturnes sont plus clairsemées et surtout, plus radicales, avec plus de policiers que de manifestants, des causes disparates, sans lien avec le conflit étudiant du départ. Elles nous montrent que quelques dizaines de militants déterminés peuvent paralyser un centre-ville.
Mais surtout, on assiste à la séparation des ingrédients originaux qui, temporairement, avaient donné l'apparence d'une mayonnaise bien ferme.
Les petits groupes gauchistes, qui ont connu un rayonnement disproportionné par rapport à leur importance en profitant du conflit étudiant, en multipliant les incidents bruyants, étalent leur marginalité.
Le mouvement étudiant, à l'origine d'un conflit toujours pas résolu, va reprendre sa bataille d'ici la fin de l'été. Il exprime certainement, au-delà de l'enjeu des droits de scolarité, le malaise d'une génération.
Et un mouvement plus large, symbolisé par les casseroles, a eu un effet bénéfique, en donnant aux protestations un caractère joyeux et bon enfant. Mais que représente-t-il au juste? L'émergence d'un monde nouveau? Plus ça avance, plus on voit que ce mouvement incarne surtout la lassitude à l'égard du gouvernement libéral, parce qu'il est usé, qu'il a mal géré la crise, qu'on l'associe aux dérèglements de la construction.
Il s'agit davantage d'un mouvement politique classique, même s'il s'exprime de façon nouvelle. Le fait que Mme Pauline Marois soit allée jouer de la casserole à Lachute, dans Argenteuil, semble indiquer que ces récipients métalliques sont devenus le cri, ou plutôt le bruit de ralliement des péquistes contre les libéraux.
Je ne veux pas minimiser les choses. Il y a de véritables enjeux environnementaux, notamment autour des gaz de schiste. Il y a un glissement du débat constitutionnel vers un débat gauche-droite. Les voix de gauche s'expriment davantage, mais c'est plus dû à un contexte qui leur a permis de s'exprimer après des années de silence qu'à un progrès de leurs idées.
Car la montée de la gauche, on ne la voit pas. Québec solidaire fait du sur-place et les sondages montrent que les Québécois sont très largement d'accord avec les idées du gouvernement Charest, même s'ils ne l'appuient pas.
Tant et si bien que la campagne électorale, que de plus en plus de Québécois souhaitent, se ramènera à un affrontement entre trois grands partis qui se situent, avec quelques nuances, dans le même univers idéologique. Leur cadre conceptuel est le même: diriger le Québec dans un contexte de rigueur budgétaire et d'élimination du déficit.
Ce cadre, c'est un gouvernement péquiste qui l'a défini. Le parti de Mme Marois le défend toujours. Les libéraux, de leur côté, n'ont rien de néolibéral, eux qui augmentent les dépenses de santé de 5% par année et qui injectent des centaines de millions dans les universités. La CAQ, de son côté, ne remet pas en cause l'État, mais veut plutôt qu'il soit plus efficace.
On sera donc loin des grands débats de société, du choc des visions, mais plutôt dans un exercice plus traditionnel, le choix d'un gouvernement que l'on voudra légitime.