Publié le 6 Janvier 2012
Toula Foscolos
Je suis en train d'écrire cette chronique durant mon heure de lunch. Ma salade de thon est à ma gauche, mon ordinateur portatif est devant moi, ma boîte de réception de courriels est ouverte, mon iPhone est à ma droite et un second écran d'ordi affiche des messages Twitter. Mon téléphone sonne de temps à autre et quelqu'un frappe parfois à ma porte, même si elle est fermée. Le lunch du midi: un moment de paix pour moi? Vous rigolez?
L'idée d'écrire une chronique sur notre incapacité - ou du moins notre difficulté - à pouvoir être seul dans un monde comme le nôtre m'est venue lorsque j'ai récemment lu dans le New York Times un billet percutant de l'auteur cubain Pico Iyer intitulé «The Joy of Quiet».
«En une génération, nous sommes passés de l'enthousiasme d'avoir conçu des appareils nous sauvant du temps pour augmenter notre qualité de vie, à une époque où nous tentons de nous en sauver», écrit-il, tout en nous racontant l'émergence de ces "black hole resorts" (ces hôtels dispendieux dépourvus de toute technologie de l'information dans leurs chambres) et en nous parlant de certains de ses amis écrivains ou journalistes qui ont déboursé de bons montants d'argent pour se munir de "Freedom software", des logiciels bloquant toute source d'alimentation par Internet pendant un certain temps pour leur permettre de mieux se concentrer lorsqu'ils travaillent.
Quelques jours plus tard, un autre excellent papier de Roger Cohen, «A time to Tune Out» (Un temps pour décrocher), était publié dans le même quotidien. Cohen écrit: "La connexion augmente la production. Mais cela peut aussi devenir contre-productif en ce que toutes nos activités sont interrompues par notre urgent besoin de vérifier sans cesse nos courriels et nos textos; et toute absence de ceux-ci peut ensuite générer un sentiment de rejet ou de solitude; tout ça parce que notre boîte de courriels est vide durant une nanoseconde.»
L'auteur poursuit son histoire en racontant celle d'Antonio Horta-Osorio, directeur général à la banque Lloyds, qui a vécu un «burnout» et qui fut diagnostiqué comme souffrant d'«incapacité à décrocher». Je n'invente rien. L'acronyme ITSO (inability to switch off) existerait bel et bien en anglais; et je soupçonne que de plus en plus de gens en souffriront au cours des prochaines années. Comble d'ironie, l'article se termine en suggérant au lecteur de continuer à suivre Cohen sur Twitter!...
«En moi, il y a un endroit où je puis vivre toute seule et c'est là où je renouvelle mes printemps qui ne se tarissent jamais», écrivait la femme de lettres américaine, Pearl Buck. Mais à cause de toute cette technologie envahissante, de tels endroits n'existent plus. À moins de pouvoir mettre le bouton à «off».
Nous avons BESOIN de solitude pour fonctionner, organiser notre pensée, retrouver notre équilibre, permettre à notre esprit de vagabonder et s'entendre respirer.
La psychologue Mihaly Csikszentmihalyi estime que les adolescents qui ne peuvent rester seuls affichent des lacunes sur le plan de la créativité. Je crois que c'est aussi le cas des gens qui sont dépendants sur le plan affectif.
Ainsi devons-nous vivre dans un monde technologique qui nous oblige à être SANS ARRÊT en contact avec les autres. Même si ces technologies me sont utiles, elles peuvent également être terriblement envahissantes et destructrices. Comment pouvons-nous penser avec lucidité lorsque des millions de stimuli nous sautent dessus à tout moment et réclament d'être entendus, lus et commentés dès MAINTENANT?
«Plus nous sommes submergés d'informations, écrit Iyer, moins nous pouvons nous investir efficacement dans chacune de nos tâches.»
Et c'est là où se situe le problème. En tentant d'être partout à la fois, nous n'arrivons nulle part. Nous nous diluons...
De réels inconvénients existent à n'être qu'à un coup de fil ou à un texto de l'autre, et même si je ne crois pas aux résolutions du Nouvel An, décrocher de temps à autre sera la mienne cette année.
FOMO (the Fear of Missing Out) causes ITSO (the Inability to Switch Off)