Le récent débat entourant la Charte des valeurs québécoises aura largement démontré que la gauche québécoise avait intériorisé le discours public dominant du multiculturalisme. Son opposition virulente au projet laïque québécois traduit son adhésion inconditionnelle à une idéologie visant, dans sa plus simple expression, à recréer à l'échelle d'un seul État toute la diversité culturelle mondiale. Le multiculturalisme, qui sacralise la culture des immigrants tout en limitant le droit d'exister de celle de la société d'accueil, est devenu un dogme même enseigné dans nos écoles.
Les récentes manifestations contre « l'islamophobie » auxquelles ont participé plusieurs mouvements d'extrême gauche ont également nettement dévoilé l'étrange alliance existant en Occident entre certaines cellules de gauche et des mouvements islamistes. Cette étrange coalition « islamo-gauchiste », qui réunit des types comme Adil Charkaoui et des gens proches des associations étudiantes, devrait normalement étonner, choquer, surprendre le public. Mais non : pour l'ensemble de la classe intellectuelle, il semble dorénavant aller de soi que des gens aussi opposés idéologiquement, du moins le prétendent-ils, puissent marcher main dans la main.
Il se dégage ainsi de cette réalité un paradoxe auquel devront faire face ceux et celles qui contribuent à la concrétisation du nouvel imaginaire islamo-gauchiste. C'est que des mouvances autoproclamées « progressistes », dites opposées au conservatisme qu'elles considèrent comme rétrograde et archaïque, préconisent justement pour les communautés culturelles un traditionalisme plus que conservateur. En souhaitant protéger intégralement les cultures des nouveaux arrivants, elles plaident pour un conservatisme à sens unique qui ne serait légitime que pour les minorités culturelles. Cette gauche qui s'insurge contre une Charte visant à interdire les symboles religieux pour les employés de l'État aspire ainsi à figer dans le temps les coutumes de populations ciblées ainsi qu'à freiner leurs élans vers une modernité qu'elles veulent pour la plupart atteindre.
Plus troublant encore : les groupes de gauche ou les libéraux qui paradent aux côtés de religieux à tendance intégriste, comme ce fut le cas lors des dernières manifestations organisées par le Collectif québécois contre l'islamophobie, flirtent avec la droite religieuse. Évidemment pas avec la droite religieuse catholique, protestante ou anglicane : avec la droite religieuse islamique. Une droite religieuse dont on entend peu parler en raison de sa présence encore embryonnaire en territoire québécois et de sa propension à demeurer dans l'ombre. Une droite religieuse qui, dans la plupart des pays musulmans, combat férocement certains milieux de gauche, anticléricaux, opposés à la réislamisation de leur pays. Récemment, c'étaient les forces de l'ordre à la solde du pouvoir islamiste turc, celui de Recep Tayyip Erdoğan et de son parti - l'AKP - qui réprimaient avec violence dans les rues d'Istanbul les partisans du progressisme et de la laïcité.
Ces quelques éléments nous emmènent aussi à nous questionner relativement à un clivage gauche-droite appelé à être redéfini. En gros, la gauche défend aujourd'hui certaines positions historiquement de droite tandis que la droite défend actuellement certaines positions historiquement de gauche. Par exemple, la gauche québécoise ne défend plus une laïcité d'inspiration républicaine qui aura jusqu'à récemment toujours été associée au progressisme (voir mon dernier blogue). Le multiculturalisme impose de revoir notre façon d'appréhender le classement des idéologies politiques, lequel est opéré depuis la Révolution française selon la formule binaire que l'on connait.
En bref, une gauche qui prêche pour l'évolution de l'Humanité, pour son élévation, pour sa transformation vers un monde meilleur se contredit dangereusement en considérant les communautés musulmanes comme des artefacts humains qu'il faudrait préserver de toute ingérence de la modernité. Les musulmanes et les musulmans ne sont pas des musées ambulants destinés à agrémenter notre quotidien homogène en apportant un peu « d'exotisme » dans nos sociétés. Ce sont des femmes, des hommes, des enfants, des fillettes qui comme nous, les Québécois « de souche », ont droit à l'émancipation.
Des gens qui, je le réécris, préconisent un conservatisme à sens unique ne sont pas des humanistes. Ceux qui différencient les communautés humaines en refusant de croire qu'elles pourraient fusionner selon des principes universels sont beaucoup plus proches de sombrer dans la ségrégation raciale que ceux qui préconisent la laïcité de nos institutions.