Terrorisme : le grand patron d'Interpol sonne l'alarme
Rue Frontenac
Écrit par Fabrice de Pierrebourg
mardi, 03 mars 2009
La menace terroriste toujours bien présente et la facilité déconcertante avec laquelle les criminels et les terroristes peuvent franchir nos frontières, parfois même sous leur identité réelle, sans être repérés par les autorités, représentent des menaces autrement plus sérieuses pour la sécurité et la prospérité mondiale que la crise économique actuelle, avertit le grand patron d'Interpol.
Le message lancé par Ronald K. Noble, le secrétaire général d'Interpol, organisation policière internationale regroupant 187 États membres incluant le Canada, est clair: la lutte menée à coups de «milliards de dollars» par les gouvernements pour «tenter de sauver leurs économies» ne doit pas se faire au détriment d'une autre lutte, celle contre la «menace terroriste», en particulier «bactériologique ou nucléaire».
Ainsi, les pays qui seraient tentés de sabrer dans les budgets alloués à la coopération policière internationale feraient une grave erreur, a martelé M. Noble.
Dans son allocution, adressée le mardi 3 mars à Lyon, en France, en ouverture de la 5e conférence annuelle des chefs de bureaux nationaux de son organisation, le secrétaire général d'Interpol semblait craindre en effet que la coopération policière internationale contre la criminalité et le terrorisme ne soit victime de la crise économique mondiale en raison de coupures budgétaires. Pour appuyer son propos, en plus de rappeler les attentats sanglants de Mumbai, Ronald K. Noble a donné des exemples qui démontrent qu'il y a encore du travail à faire pour resserrer les mailles du filet. En 2003, Interpol a mis en place un système mondial de communication policière «I-24/7» qui permet aux policiers du monde entier d'accéder à des banques de données contenant par exemple les quelque 10 millions de passeports déclarés perdus ou volés, les noms de 13 000 personnes liées à des activités terroristes, ou à une autre recensant des empreintes digitales de criminels, etc. C'est d'ailleurs le Canada qui a eu le privilège d'être le premier à se raccorder à ce fichier.
Des outils ignorés ou sous-utilisés
Mais ces outils semblent toujours ignorés ou sous-utilisés par plusieurs États membres d'Interpol que ce soit en amont, pour l'alimenter, ou en aval, pour repérer des criminels.
«En ce moment, a t-il mentionné, on dénombre plus de 800 millions de passages aux frontières dont les passeports [de ces personnes] ne sont pas vérifiés dans la base de données d'Interpol.» Autant de failles qui facilitent la vie non seulement des clandestins à la recherche d'une vie meilleure, mais surtout des terroristes, criminels, mafieux ou trafiquants de drogue de ce monde.
C'est ainsi qu'en juillet dernier, trois Irakiens se sont fait pincer à leur descente d'avion au Costa Rica avec des passeports frauduleux. Ceux-ci avaient pourtant réussi à parcourir 13 000 km en avion et à faire deux escales, dont une en Amérique du Nord, sans être démasqués.
Autre exemple troublant révélé par le secrétaire général d'Interpol : un même Irakien a été arrêté à trois occasions dans le monde avec en main à chaque fois un passeport provenant d'un pays européen différent.
Et que dire aussi de ces quatorze enquêtes portant sur des Irakiens voyageant au cours des deux dernières années avec 74 passeports émis à l'origine par une dizaine de pays européens. «Seulement 24 avaient été enregistrés dans la base de données d'Interpol des documents de voyages volés et perdus», déplore Ronald K. Noble.
Les espions aussi
Dans un document transmis en 2006 par la GRC au ministre de la Sécurité publique de l'époque, on apprenait que près de 50 000 passeports canadiens déclarés perdus ou volés avaient certainement atterri au cours des deux années précédentes dans les mains de criminels, dont des terroristes.
Il est bon de rappeler aussi que certains services secrets étrangers n'ont pas hésité dans le passé (et certainement encore aujourd'hui) à munir leurs agents de passeports canadiens frauduleux afin de faciliter leurs mouvements. Le cas le plus célèbre et le plus cité est le Mossad israélien. Deux de ses tueurs («Kiddon» dans le jargon interne) se sont fait pincer en 1997 en Jordanie après une tentative d'assassinat d'un responsable du Hamas avec le petit livre bleu canadien dans leurs poches.
Enfin, plus récemment, un individu présenté comme un espion du SVR russe a été arrêté et expulsé du Canada en vertu d'un certificat de sécurité. L'homme en question utilisait depuis des années un passeport canadien pour se rendre en toute impunité aux quatre coins du monde pour ses missions clandestines. Cette fois-ci, il ne s'agissait pas d'un document de voyage contrefait. Au contraire, il l'avait obtenu légitimement auprès de Passeport Canada, mais sous la fausse identité de Paul William Hampel.