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Il pleut en Antarctique

L'AVENTURE DU SEDNA IV

L'Antarctique les pieds dans l'eau

François Cardinal

La Presse

Il pleut en Antarctique. L'hiver a beau être aux portes du continent le plus froid de la planète, la pluie tombe dru depuis déjà plusieurs jours, conséquence directe des changements climatiques, selon les scientifiques qui prennent part à la mission du Sedna IV.

«Il n'aurait jamais plu comme ça il y a à peine 50 ans, se désole le chef de mission Jean Lemire, en entrevue téléphonique. À l'époque, on se serait englacés, comme on prévoyait l'être. Mais il faut savoir que depuis 1951, les températures ont fait un incroyable bond de 6 degrés Celsius en moyenne. C'est épouvantable! »

L'Antarctique a beau être un désert blanc, l'équipage du Sedna a donc les deux pieds dans l'eau... à quelques jours seulement du solstice d'hiver. Voilà une fâcheuse position pour une mission dont le but est d'explorer le pôle Sud par voie terrestre.

«Notre expédition doit se faire avec des traîneaux, des skis, des raquettes et je n'ai même pas un pouce de glace autour du bateau, lance avec dépit Jean Lemire. Je ne vois malheureusement pas encore le jour où nous pourrons utiliser notre matériel. L'hiver tarde à s'installer, et la mer refuse de devenir banquise.»

Anecdote révélatrice: un des membres de l'équipage qui voulait être le premier à jouer au hockey s'est enfoncé d'un coup dans l'eau glacée de la baie il y a quelques jours. La glace qui avait commencé à se former s'était dangereusement amincie en raison de la douceur du climat.

Pour Jean Lemire et les scientifiques membres de la mission, il ne fait aucun doute que tout cela est lié aux changements climatiques. «C'est l'endroit sur la planète qui se réchauffe le plus rapidement, explique-t-il. Je le savais avant de partir, mais je dois avouer que c'est pire encore que ce que j'imaginais. On est sortis il y a quelques jours pour filmer et quand on est retournés le lendemain, on avait de la difficulté à reconnaître l'endroit tellement tout bouge vite... »

À son avis, les pôles sont le canari dans la mine. «Ils nous avertissent d'un danger imminent, dit-il. Ce qu'on constate depuis qu'on est partis, c'est que les changements climatiques sont réels et que leurs effets sont catastrophiques, ajoute-t-il. Je me trouve actuellement à 90 miles (145 km) de la station Palmer, là où on compile les données météorologiques depuis 1951. On y a constaté une augmentation annuelle des températures de 0,11 degré C. Ça fait 6 degrés C d'augmentation au total, c'est énorme! »

Lorsqu'il s'est amarré pour son hivernage dans une petite baie (fraîchement baptisée baie Sedna), l'imposant voilier s'est retrouvé non loin d'un très long bras de mer. Vérifications faites sur d'anciennes cartes par l'équipage, il n'existait pas auparavant. Comment expliquer ce phénomène? « Le glacier s'est complètement écroulé, avance Jean Lemire. Tout change ici a une vitesse incroyable. »

Pour Jean Lemire, ce genre d'observations devrait faire réfléchir les gouvernements qui, à son avis, sont loin d'être en harmonie avec les préoccupations des Québécois. S'il invite tout un chacun à faire des gestes, aussi petits soient-ils, il exhorte surtout Québec et Ottawa à en faire plus pour contrer les changements climatiques. «Les positions du gouvernement Harper sont épouvantables, croit-il. On est en train de reculer à la vitesse grand V. J'ai l'impression que le prix à payer va être extrêmement lourd pour un gouvernement qui refuse de voir la lame de fond environnementale présente dans la population. »

Parti en septembre dernier des Îles-de-la-Madeleine, le Sedna IV
a pour mission de devenir, d'ici son retour en décembre, la plus importante campagne de sensibilisation jamais faite sur les changements climatiques. On retrouve à son bord des marins, des cinéastes et des scientifiques.