Pour que la paix puisse se réaliser, il faudrait mettre Dieu hors jeu politiquement

Mettre Dieu hors jeu politiquement
Le 12 août 2005

Gaza : en attendant les réalistes par Marek HALTER
Pour que la paix puisse se réaliser, il faudrait mettre Dieu hors jeu politiquement

Dans quelques jours, l'armée israélienne se retirera de Gaza. Comment s'effectuera ce retrait ? Dans la violence ? Représente-t-il ce fameux premier pas vers une paix véritable que nous attendons tous ?

Les analystes font des projections. Les politiques font des analyses. Je mets au défi quiconque se croit capable de prévoir l'évolution de la situation dans la région après ce retrait.

Quand les hommes sont portés par la foi, le ratio disparaît. Voltaire l'a constaté avec amertume dans son Traité sur la tolérance, il y a quelques siècles. Prenons en exemple l'Irlande du Nord où la paix est annoncée régulièrement, aussi bien par les catholiques que par les protestants, et où elle se fait toujours attendre. Prenons en exemple le Soudan.

Or, dans cette partie du Proche-Orient, entre le Nil et l'Euphrate, il ne s'agit pas uniquement de l'affrontement des hommes au nom de leurs églises, il est question de Dieu lui-même. De ce Dieu dont chacun se réclame et qui a, ici précisément, voici des millénaires, choisi d'établir sa demeure. Du moins, des millions d'individus le croient-ils.

Nous connaissons le rôle joué par les dieux dans l'histoire grecque. En particulier dans les guerres. Nous ne prenons pas suffisamment en considération, dans nos analyses politiques, la place du Dieu unique dans l'histoire de cette région. N'avons-nous pas négligé sa présence dans les discours des habitants de Gouch Katif ? En les écoutant, on s'aperçoit que s'ils s'opposent à l'évacuation de Gaza, ce n'est pas par souci de leurs intérêts, mais parce que cela est contraire, selon eux, à la volonté divine. Jusqu'au dernier moment, ils attendront un miracle.

En face, dans le camp de Khan Younès, beaucoup de Palestiniens verront dans le retrait israélien la main d'Allah.

Quand Jeliabov et ses amis tuent le tsar Alexandre II, ou quand la jeune Kaplan tire sur Lénine, ils utilisent la violence au nom de l'idée qu'ils se font de la liberté. Ils agissent par conviction politique. L'assassin du président égyptien Sadate, ou celui du Premier ministre israélien Rabin, se pensait rien de plus que le bras armé de Dieu. De même que les kamikazes d'Al-Qaeda. Aussi, aucun acte irrationnel pendant le processus de retrait n'est-il à écarter. D'un côté comme de l'autre. Sauf que, à ce stade, rien, me semble-t-il, à l'exception d'une atteinte aux symboles mêmes de la divinité, ne peut empêcher l'exécution de ce projet, pensé et préparé de longue date par Ariel Sharon. En raison de la personnalité de Sharon lui-même, et de celle de son vis-à-vis Mahmoud Abbas.

Ariel Sharon est un lecteur assidu de la Bible. C'est peut-être le seul ouvrage qu'il lise et relise régulièrement. Ainsi que tous les écrits susceptibles d'apporter un nouvel éclairage à ce livre essentiel, selon lui, pour comprendre la nature humaine et l'évolution du peuple juif sur la terre de ses ancêtres. Chaque fois qu'il doit prendre une décision importante, il ouvre la Bible, comme Périclès le faisait avec Homère. Une lecture erronée des Ecritures, l'ignorance du fait que Gaza, déjà à l'époque du roi David, n'était pas habité par les juifs mais par les Philistins, le met hors de lui. C'est la raison pour laquelle il avait fait, en 1982, évacuer par la force, et sans aucun état d'âme, les milliers d'habitants de la ville israélienne d'Amit dans le Sinaï, après l'accord Sadate-Begin, parce que le Sinaï ne faisait pas partie de l'Israël biblique. Les fanatiques religieux le hérissent : il a en mémoire leur acharnement contre leurs propres frères lors de la guerre contre Rome en l'an 70, ce qui a facilité aux Romains la destruction du Second Temple. Aussi, connaissant un peu Ariel Sharon, je savais que les exigences politiques et les outrances verbales des adeptes du Grand Israël l'amèneraient un jour à les combattre.

Pour résumer : si Ariel Sharon a décidé d'évacuer Gaza, ce n'est pas pour faire du bien aux Palestiniens qui, dans leur majorité, il le sait, ne souhaitent pas du bien aux Israéliens, mais pour s'opposer aux visées et aux discours de ses propres extrémistes, et pour préserver l'esprit des prophètes d'Israël dont Ben Gourion fut l'incarnation des Temps modernes. Dès le lendemain de la guerre des Six Jours, il appelait au retrait des territoires conquis.

Mahmoud Abbas a-t-il compris la démarche du Premier ministre israélien ? En partie, oui. Contrairement à son prédécesseur, qui faisait souvent de la psychologie, et expliquait la politique de Sharon par les rapports supposés que ce dernier entretenait avec lui, Arafat, depuis le siège de Beyrouth, Mahmoud Abbas tente de coller le plus près possible à la réalité. Le président palestinien a passé neuf ans dans les universités de l'Union soviétique. Lui et moi parlons parfois en russe. Il a appris auprès de ses amis soviétiques à distinguer le rêve de la réalité, ce dont Arafat était incapable. L'utilisation de Dieu dans la politique, comme le font les dirigeants du Hamas et du Jihad islamique, le contrarie sincèrement. Mahmoud Abbas n'aime pas particulièrement Israël, mais il comprend la démarche de Sharon. Il voit dans le retrait des Israéliens de Gaza, avant tout l'intérêt des Palestiniens, comme il voyait, en son temps, les avantages que les Palestiniens pouvaient tirer des accords d'Oslo, qu'il avait, de Tunis, chapeautés.

Je ne crois pas, pour ma part, que le retrait israélien de Gaza réalisera à brève échéance les conditions de la paix entre les deux peuples. Il pourrait, en revanche, influer sur leur évolution.

Pour que la paix puisse se réaliser, il faudrait tout d'abord mettre Dieu hors jeu, politiquement j'entends. Sinon ceux qui parlent en son nom empêcheront tout compromis. Pour l'instant, ce sont les extrémistes qui occupent la rue. Ils sont minoritaires, mais la majorité, des deux côtés du mur de la séparation, ne se fait malheureusement pas entendre. Sauf dans les sondages. Or, pour que la société israélienne, comme la société palestinienne, ne bascule pas dans le religieux fanatique, source de leurs malheurs passés, il faut que les pacifistes, les laïcs, bref, les réalistes, se réveillent. C'est de ce réveil que dépend la paix dans la région.