JOURNAL DE MONTRÉAL, PUBLIÉ LE: SAMEDI 13 AVRIL 2013
Avec internet, tous ces codes volent en éclats. C’est le royaume des Vikings, des barbares, des Wisigoths. On n’y parle plus, on éructe, on vomit.
Qu’est-ce qui pousse des jeunes à se ruer comme une meute de loups sur internet pour intimider et harceler un compagnon de classe?
Ils sont attirés par l’odeur du sang?
Ils aiment se sentir en situation de pouvoir?
Rien de mieux pour souder un groupe que de frapper tous ensemble sur la même victime, le même bouc émissaire, c’est ça?
Ça renforce leur sentiment d’appartenance?
Mieux vaut lui que moi? Il est préférable de frapper que d’être frappé?
LE GRAND ÉGALISATEUR
Ne nous racontons pas d’histoire, l’intimidation a toujours existé. Mais avec les médias sociaux, le phénomène a littéralement explosé.
Facebook et Twitter sont à l’intimidation ce que le crystal meth est aux drogues.
Seul devant son ordi dans son demi-sous-sol miteux, le sans-pouvoir se sent fort et le pleutre, courageux. Un clic de souris, et il peut contacter n’importe qui, l’insulter, le traîner dans la boue.
Ça lui donne l’impression d’être à égalité avec les privilégiés de ce monde. Les médias sociaux gomment toute hiérarchie; sur internet, les gens sont tous sur le même niveau.
Plus d’autorité, plus d’ascendant, plus de classe. Plus de riches et de pauvres, de beaux et de laids, de patrons et d’employés. On se regarde les yeux dans les yeux et un chien peut aboyer après un évêque.
Pas étonnant que le vouvoiement soit rare, sur la toile. C’est le royaume du «tu», de la proximité, du culot, de l’effronterie, de l’insolence. Du sans-gêne.
On peut contacter n’importe qui à n’importe quelle heure pour lui dire n’importe quoi sur n’importe quel ton et habillé n’importe comment.
Les codes sociaux n’existent plus.
L’homme s’y montre sans fard.
L’HOMME SANS QUALITÉ
On ne prend même plus la peine de bien écrire. On multiplie les fautes, les raccourcis, les néologismes.
On vit les pieds sur la table et on pense les doigts dans le nez.
C’est le retour de l’homme de Cro-Magnon. On s’exprime par borborygmes et discute à coups de tapes sur la gueule.
L’homme sans qualité, sans fini, sans vernis. La démocratie dans tout ce qu’elle a de plus bête, de plus vulgaire.
Sur la toile, on ne prend même plus la peine de s’essuyer les pieds sur le paillasson avant d’entrer dans l’intimité des gens, on ouvre la porte à coups de pieds et on se mouche dans le rideau de la fenêtre. Même plus besoin d’être invité.
On se pointe à l’improviste, on coupe la conversation des convives et on ouvre la porte du frigo pour boire à même la pinte de lait.
LE TEMPS DES BARBARES
Pas étonnant que ça verse rapidement dans la violence.
L’homme a inventé une série de codes sociaux pour garder la violence à distance, pour imposer une sorte de quant-à-soi dans les rapports humains.
Avec internet, tous ces codes volent en éclats.
C’est le royaume des Vikings, des barbares, des Wisigoths. On n’y parle plus, on éructe, on vomit.
L’homme renoue avec son animalité. Il se cambre, se courbe, délaisse son individualité pour se fondre dans le troupeau et se vautrer dans la boue.
Il hume, fouille la terre avec son groin, cherche la proie.
Et saute sur la jugulaire en frémissant.
Dommage ce gommage