Les accommodements raisonnables

 

Document préparé par Gemma Gauthier
responsable du comité de la condition des femmes, région 05, Estrie

«Je ne veux ni clôturer les quatre côtés de ma maison, ni murer mes fenêtres.
Je tiens à ce que l’esprit de toutes les cultures souffle chez moi aussi librement que possible.
Mais je refuse de me faire souffler mon pion par qui que soit.» Gandhi

Le Québec est un état démocratique et laïc, où la langue officielle est le français. Le Québec est un état où les personnes sont libres et égales en dignité et en droits, où l’égalité des sexes est reconnue et protégée. Même si c’est un état de droits, ce n’est pas aux tribunaux à décider quelle sorte de société nous voulons. Le Québec assure la promotion et la protection de la culture québécoise. Le peuple veut garder son identité. Le peuple est fier de son histoire tout en restant ouvert au monde.

Dès le 19 e siècle, au Québec, l’Église catholique obtient le contrôle du système scolaire francophone. Elle gère aussi les hôpitaux et les institutions d’assistance sociale. La domination du clergé a enfermé la société dans une morale étroite, une pensée janséniste, un contrôle social sur le déroulement de la vie quotidienne (rapport à l’argent, interdiction du contrôle des naissances, lectures à l’index, syndicats catholiques, etc.). Au sein de l’Église catholique, l’égalité des sexes n’est pas reconnue. Le clergé considère que la place des femmes est au foyer, sous la gouverne du mari. L’Église se prononce contre le droit de vote des femmes, elle se prononce aussi contre l’école obligatoire.

Le gouvernement Lesage amorce la modernisation de l’État par la laïcisation des services publics, par la réforme des services hospitaliers, par l’assurance hospitalisation et par la création du ministère de l’Éducation.

Le mouvement des femmes contribue à la laïcité de la société québécoise. Il milite pour l’accès à l’éducation, à la libération des contraintes religieuses, pour le droit à l’avortement, à la contraception et à l’éducation sexuelle, contre la violence faite aux femmes, pour le droit à l’autonomie économique des femmes et pour leur droit au travail.

La séparation de l’Église et de l’État du Québec a provoqué des tensions sociales suscitées par des revendications d’égalité et de démocratie. La religion dans le monde scolaire est passée du statut de principe organisateur de l’ensemble du système à celui d’une discipline d’enseignement parmi d’autres. Le Québec doit maintenant répondre à l’aspiration d’avoir une société laïque tout en respectant l’allégeance religieuse de la population sans que le religieux n’impose ses façons de faire dans le quotidien des personnes.

Comme société d’accueil, l’état est confronté aux tensions sociales et raciales, aux difficultés d’intégration. C’est la Charte canadienne des droits et libertés (1982) et la Loi sur le multiculturalisme (1988) qui consacrera les droits des religions dans le cadre du multiculturalisme.

La situation est ambiguë, car même s’il n’existe pas de religion d’État, la Charte canadienne des droits et libertés reconnaît dans son préambule la suprématie de Dieu. Elle garantit à l’article 2 la reconnaissance des libertés fondamentales de conscience et de religion. Elle constitutionnalise le multiculturalisme qui vise à protéger toutes les minorités de la tyrannie de la majorité. Elle fait la promotion du principe de la diversité et vise à intégrer une pluralité de traditions culturelles tout en définissant le Canada comme une nation.

L’absence de définition de la liberté de religion et de dispositions sur l’exercice de cette liberté dans la Constitution canadienne a eu comme conséquence de contraindre les tribunaux à préciser la teneur de ces concepts. C’est donc en s’appuyant sur la Charte et la Loi sur le multiculturalisme que la Cour suprême va définir les règles à suivre pour assurer le respect des droits et les libertés fondamentales. Les tribunaux ont précisé la notion d’accommodement raisonnable qui vise à assurer la protection des groupes minoritaires, notamment les groupes religieux. L’accommodement raisonnable est une conséquence du droit à l’égalité pour tenir compte des besoins particuliers de certaines catégories de personnes. C’est une protection du droit à l’égalité et à la liberté de religion. C’est la promotion de l’inclusion et de l’intégration de tout citoyen.

Est-ce que dans cette approche, le Québec respecte la Convention sur l’élimination des formes de discrimination à l’égard des femmes, signée par le Canada en 1981? Comment expliquer le fait que les juges interprètent la liberté de religion sans égard aux conventions internationales et en arrivent à faire prévaloir la tradition, la culture et la religion sur le droit à l’égalité entre les sexes? Est-ce que les juges procéderaient à une hiérarchisation des droits, la liberté religieuse l’emportant sur le droit à l’égalité? Doit-on accepter que les tribunaux retiennent comme motif d’accommodement l’interprétation la plus rigoriste des religions? Les demandes sont souvent issues de personnes qui appartiennent aux courants les plus conservateurs de celles-ci, des intégristes, qui font une lecture rigoriste, qui instrumentalisent le religieux à des fins politiques.

Même si le Québec est un état de droits, ce n’est pas aux tribunaux mais aux politiques et à la société civile à décider quelle sorte de société nous sommes et voulons devenir. «On oublie trop souvent que la question des accommodements raisonnables ne concerne pas seulement les libertés individuelles. Elle met aussi en cause la possibilité même de maintenir un espace public commun. Si jusqu’ici on s’en est remis aux tribunaux pour décider de ce qui était acceptable ou non des demandes d’accommodements, on se rend bien compte aujourd’hui que cette approche juridique ne suffit pas. Une réflexion collective sur les exigences du vivre ensemble au-delà de ce que le droit permet est donc nécessaire. Cette question est aussi une question politique.» Yolande Geadah.

Le droit à la liberté de religion dans la société n’a pas fait l’objet de véritable débat à l’échelle nationale. Faute de balises claires, plusieurs institutions publiques tentent de s’adapter à la diversité par des réponses parfois déraisonnables remettant souvent en cause l’égalité entre les femmes et les hommes. Il est difficile, presque impossible de distinguer ce qui constitue l’essence d’une religion des croyances fondées sur des traditions culturelles. Le port du voile, du turban ou du kirpan (symbole de violence), le local de prière, la modification de contenu de cours, les congés pour fêtes religieuses, la non-mixité dans le cas d’activités physiques, etc., comportent leur lot d’ambiguïtés.

Un accommodement signifie un compromis à l’amiable, il ne s’agit donc pas d’une obligation juridique. Et si on ajoute raisonnable, il peut difficilement s’appliquer à des croyances religieuses qui font appel au dogme de la foi et non à la raison. Encore faut-il savoir si certaines observances sont obligatoires ou perçues comme telles. De plus, cette obligation d’accommodement est à sens unique, elle n’incombe jamais à l’individu. Les accommodements raisonnables présentés comme des facteurs d’inclusion à la société risquent de favoriser la création de communautés qui se côtoient dans l’espace public sans jamais se rencontrer. «C’est précisément ce vivre ensemble qui marque les limites de l’accommodement raisonnable : la société et l’entourage du croyant ne doivent pas être soumis à des contraintes excessives par la liberté d’exercice de la religion.» Jean-René Milot

On présente le port du voile comme une obligation religieuse ou comme une affirmation identitaire en réaction à la société occidentale qui est perçue comme trop permissive et associée à des problèmes sociaux. On sait que le port du voile existait en Arabie longtemps avant l’islam. Et pourquoi l’affirmation identitaire visible est-elle le lot des femmes musulmanes et non celui des hommes? Dans le cas des jeunes filles et même des femmes qui portent le voile, comment différencier leur choix et la limitation de leurs droits par leurs proches? C’est impossible. Le discours religieux porte des jeunes filles prépubères à croire qu’il est impur de montrer leurs cheveux en public. Aussi, porter le voile leur confère un certain prestige au sein de leur communauté. On ne peut nier que cette pratique renvoie à une interprétation rigoriste de la loi coranique et s’appuie sur des valeurs culturelles autant que religieuses qui définissent la place des femmes dans la société et les règles de conduite qu’elles doivent suivre.

Le crucifix placé au-dessus du siège de l’Assemblée Nationale était le symbole de la nouvelle alliance qui unissait l’Église et l’État. Aujourd’hui, ce symbole peut prêter à confusion sur l’indépendance de l’institution. Le turban à la Gendarmerie n’a aucunement sa place si on veut garder sa neutralité et son indépendance. Pas plus d’ailleurs que le voile dans un uniforme de sport! Les institutions publiques doivent être totalement neutres.

Le Québec a mis des années avant de compléter la déconfessionnalisation du système scolaire, la dernière étape devant être franchie par l’instauration du programme d’éthique et de culture religieuse à compter de septembre 2008. C’est l’éducation à la citoyenneté qui permettra aux adultes de demain de faire preuve d’une ouverture critique et responsable concernant la religion dans l’espace public. C’est par l’école que les nouveaux arrivants s’intègreront à leur société d’accueil. Les cours d’histoire devraient d’ailleurs être remis à l’honneur. Tant et aussi longtemps que l’État subventionne les écoles confessionnelles privées, facilitant l’exclusion, l’ambiguïté subsistera.

Il n’y a aucune loi qui définisse la laïcité au Québec. Il n’y a qu’un consensus social sur la neutralité des institutions publiques. Il nous faut baliser le principe de laïcité : la neutralité des institutions publiques, la neutralité des lois et de l’État à l’égard de la foi religieuse, de la liberté de conscience. Aucune religion ne peut déterminer la conduite de l’État et de ses institutions. L’État est et doit rester un acteur neutre. Le modèle d’intégration doit faire l’objet d’un choix de société et non d’une décision de la cour. L’égalité entre les femmes et les hommes doit être reconnue et respectée car elle n’est pas négociable. La liberté de religion et le respect de la culture et de la tradition ne peuvent être acceptés comme des prétextes à la justification des violations des droits des femmes.

Les nouveaux immigrés ont souvent du mal à s’intégrer. Ils viennent souvent d’une société patriarcale. Ils sont parfois déçus de leur société d’accueil. Ils constatent que nous vivons dans une société plus libérale et moins rigide que la leur, ce qui cause un repliement, un renforcement de leur religion. «Ici même, au Québec, on remarque que la religion devient pour plusieurs musulmans un repère face aux dérapages moraux d’une société que l’on pourrait qualifier de libertaire. Ils voient autour d’eux des familles se dissoudre l’une après l’autre pour des raisons souvent futiles. Ils voient des femmes accéder à un niveau d’autonomie et de liberté sexuelle qui dépasse selon eux le seuil acceptable. Ils voient les enfants recevoir une éducation trop libérale et trop laxiste à leurs yeux. En réaction, ils éduquent plus sévèrement leurs enfants, se cramponnent à leurs familles, sont davantage réticents aux mariages interculturels, se replient sur des enseignements de l’islam plus conservateurs et limitent ainsi leurs contacts avec le reste de la société. Voilà pour eux des moyens de se défendre face à une société qui les déçoit.» Sami Aoun

La montée des intégrismes religieux menace non seulement les femmes mais l’ensemble de la société. L’intégrisme cherche à manipuler la religion à des fins politiques. Il réclame toujours plus d’espace social, juridique et politique. Il menace la liberté d’expression, au nom du respect des religions. Ici, au Québec, les intégrismes religieux se réclament des libertés inscrites dans nos chartes pour imposer une idéologie qui tend à nier des libertés fondamentales.

Le projet collectif d’un Québec égalitaire est encore largement à construire. La politique du laisser-faire n’est pas la meilleure solution à long terme. L’héritage culturel de la société d’accueil ne peut pas être nié au nom du pluralisme sans alimenter l’hostilité. Nous n’avons pas à occulter certaines fêtes ou traditions qui n’ont d’ailleurs souvent plus rien de religieux pour plaire aux nouveaux arrivants d’autres cultures. Dans les faits, pour les citoyens de la société d’accueil comme pour les nouveaux arrivants, il est parfaitement possible d’avoir des convictions religieuses profondes sans avoir à les manifester au travail ou dans l’espace public. Et surtout, ce n’est pas aux tribunaux de choisir quelle sorte de société nous voulons.

Un effort spécial doit être fait pour enseigner le français aux immigrants. Le français doit être maîtrisé par tous les citoyens, ce qui n’empêche pas de maîtriser d’autres langues. Comme c’est le cas pour la langue officielle dans la plupart des États, le français, au Québec, doit être, non seulement la langue utilisée par les francophones entre eux, mais la langue publique commune, c’est à dire la langue parlée entre citoyens de langues maternelles différentes. Quel meilleur moyen de respect, de compréhension mutuelle et d’intégration! «En proclamant le français langue officielle du Québec et en reconnaissant à tous les Québécois le droit au français dans tous les domaines de la vie québécoise, nous faisons de cette langue un bien commun national, le bien commun de tous les Québécois, le moyen par excellence de cohésion et de dialogue entre Québécois de diverses origines en même temps que le moyen d’expression de l’identité québécoise face au monde.» Camille Laurin, 1977

C’est à nous, comme société, de fixer nos balises face à ces nouveaux arrivants. Ceci faciliterait leur intégration. Il est temps que nos gouvernements s’affirment… Il est plus aisé de fixer des limites au début du processus plutôt que de faire marche arrière de notre laisser-faire. La société québécoise ne veut pas retourner en arrière au sujet de l’égalité des sexes et de la place de la religion dans l’espace public .

Chaque nouvel arrivant doit savoir que le Québec est un état démocratique, laïc, qui parle français et où les femmes et les hommes sont égaux.

Gemma Gauthier, responsable du comité de la condition des femmes, région 05, Estrie

 

«La place de la religion dans l’espace public et les accommodements raisonnables : des enjeux pour le mouvement des femmes» Nicole de Sève, CSQ

«Accommodements raisonnables, Droit à la différence et non différence des droits» Yolande Geadah

«Femmes voilées, intégrismes démasqués» Yolande Geadah

«L’islam entre tradition et modernité» Sami Aoun

«L’islam, des réponses aux questions actuelles» Jean-René Milot