390 experts se prononcent

L'espèce humaine est menacée

Louis-Gilles Francoeur
Édition du vendredi 26 octobre 2007

Vingt ans après le rapport Brundtland, 390 experts se prononcent.

Vingt ans après le rapport de la commission Brundtland à l'origine du concept de développement durable, les problèmes environnementaux se sont aggravés partout sous l'impulsion d'une population et d'une consommation croissantes, au point où ils mettent désormais «l'humanité en danger».

Telle est la conclusion à laquelle parvient le rapport intitulé Perspectives mondiales en matière d'environnement (GEO4), publié hier midi à Ottawa et dans 40 capitales par le Programme des Nations unies sur l'environnement. Il s'agit du plus exhaustif des bilans onusiens (quatre à ce jour) sur l'état de la planète, de ses ressources et des défis qui guettent l'espèce humaine. Il a été préparé par 390 experts et révisé par plus de 1000 autres spécialistes des quatre coins du monde.

Malgré les succès remportés dans plusieurs domaines, la situation des grands dossiers environnementaux s'est détériorée depuis le premier bilan de la planète, il y a 20 ans. Crise du climat, crise environnementale, crise énergétique, crise de la biodiversité et crise de l'eau ne font qu'une seule et même crise, indique GEO4, parce que tous ces phénomènes interagissent et rapprochent l'humanité des seuils de rupture qui mènent à l'irréversibilité dans plusieurs domaines. Le rapport rejoint ainsi les perspectives les plus sombres exprimées par les milieux scientifiques depuis une décennie en raison de la pression croissante, sans frein autre que les prix, exercée sur les ressources de la planète, amplifiée par une pénurie d'eau qui s'aggrave et par les changements climatiques.

«Aucun des problèmes majeurs soulevés dans Notre avenir à tous [le rapport Brundtland] ne connaît de prévisions d'évolution favorables», conclut le rapport. Selon ce document, si ces problèmes ne sont pas attaqués de front, tous les progrès accomplis risquent d'être anéantis et de «menacer la survie même de l'humanité».

Dans ce contexte, les grandes conventions internationales signées à la conférence de Rio sur le climat et la biodiversité n'ont permis d'obtenir que des progrès marginaux alors que les plus pauvres de la planète voient leur situation se détériorer constamment en raison de la consommation d'énergie et de biens par les pays et les individus les plus riches de la planète.

Les grandes crises

Les pollutions toxiques, le réchauffement climatique, l'acidification des mers, la diminution de la biodiversité (voir texte en page B 8) et la réduction radicale du patrimoine génétique, qui s'accompagnent d'un déclin des cultures humaines, dépassent en ampleur les réalisations environnementales des deux dernières décennies. Pourtant, elles ne sont pas négligeables: 95 % des substances appauvrissant la couche d'ozone ont été retirées. En 2006, le marché des crédits d'émissions de gaz à effet de serre a transigé des valeurs de plus de dix milliards de dollars, soit dix fois plus que l'année précédente. Et les aires protégées couvrent 12 % de la surface terrestre, sauf dans certains territoires comme le Québec, où cette protection stagne sous les 6 %.

La surconsommation de biens et de services impose une «empreinte écologique» jugée non viable: à l'heure actuelle, il faut mobiliser 21,9 hectares par être humain pour le faire vivre alors que la capacité biologique de la planète se situe en moyenne à 15,7 hectares par habitant.

Par ailleurs, 75 % des stocks de poissons sont exploités au maximum ou au-delà. Les subventions ont créé une capacité de pêche qui dépasse de 250 % l'usufruit des cheptels aquatiques.

Globalement, 60 % des «services biologiques» que les grands écosystèmes fournissent aux humains sont en déclin.

Les terres fertiles se dégradent sous l'effet de l'intensification des cultures alors que les besoins en nouvelles terres -- 120 millions d'hectares pour les seuls pays en développement d'ici 2025 -- seront comblés aux dépens d'autres maillons essentiels du système vivant: forêts, marais, montagnes, prairies, etc. Si la surface des terres agricoles a été réduite en Occident au profit d'un agrandissement des surfaces forestières, l'intensité de leur usage a augmenté, ce qui réduit leur productivité à long terme.

La déperdition en carbone des sols endommagés par la culture intensive est responsable d'environ le tiers de l'augmentation des émissions de GES depuis 150 ans, précise GEO4. Enfin, l'irrigation des cultures représente entre 70 et 80 % des prélèvements en eau, ce qui aggrave les pénuries en vue en Asie et en Afrique.

Mais selon les auteurs du rapport, ce sont les changements climatiques qui constituent de loin la principale menace globale parce que ce méga-phénomène risque de pousser tous les autres aux seuils de rupture. La découverte de la fonte plus accélérée que prévu de la calotte glaciaire du Groenland pourrait déclasser toutes les prévisions sur la hausse du niveau des mers, censé augmenter d'un mètre au maximum.

Si les GES continuent d'augmenter au rythme actuel, indique GEO4, «la température du Groenland risque de dépasser le point de basculement qui pourrait causer la fonte de la calotte glaciaire, faisant monter le niveau mondial des mers de sept mètres», lit-on dans GEO4. Or 60 % des humains vivent à moins de 100 kilomètres des mers et des océans.

Bilans régionaux

En Afrique, la dégradation des terres est aggravée par les subventions agricoles dans les pays développés et par les exigences du remboursement des dettes nationales. Ainsi, les pays subsahariens dépensent trois fois plus pour rembourser leur dette que pour servir leur population.

L'Afrique a accusé une baisse de sa production agricole de 0,4 % par habitant entre 2000 et 2004. Elle a par ailleurs le taux de déforestation le plus élevé au monde avec une perte annuelle de 40 000 km2, ou 0,18 % de son territoire. Son taux d'urbanisation est aussi le plus élevé, avec une croissance de 3,3 % entre 2000 et 2005. L'érosion des sols s'y répand et 747 000 km2 sont touchés par la salinisation, soit le quart de la surface salinisée du monde, en raison des ponctions opérées dans les nappes souterraines pour l'irrigation.

L'Amérique du Nord souffre principalement de sa boulimie énergétique. Les transports accaparent 40 % de l'énergie utilisée aux États-Unis, une augmentation de 30 % entre 1987 et 2004. Le Canada est le principal abreuvoir des monstres énergivores états-uniens et sa production de sables bitumineux, qui a doublé entre 1995 et 2004, est le principal responsable de l'augmentation des émissions de GES au Canada. Les énormes émissions de ces deux pays -- plus du quart du grand total -- ont «un impact dans d'autres régions du monde, affectant de façon disproportionnée les pays et les populations pauvres et vulnérables». En Amérique du Nord, où l'eau est la meilleure de la planète, ce sont néanmoins les pénuries d'eau qui constituent la plus grande menace à court terme, sans compter la disponibilité des terres agricoles à des fins alimentaires en raison des efforts en cours pour les orienter vers la production de biocarburants.

De leur côté, l'Asie et le Pacifique sont eux aussi menacés par les pénuries d'eau (provoquées notamment par l'assèchement de l'Himalaya), par l'accumulation des déchets électroniques (90 % des 50 millions de tonnes produites sur la planète) et par la disparition des grandes forêts et des mangroves, en plus d'une consommation d'énergie en croissance constante.

L'Europe, qui n'a pas encore vraiment stabilisé sa consommation d'énergie, se fait toutefois remarquer par la qualité de sa gouverne environnementale, qui lui permet de réduire de 2 % par an ses émissions toxiques atmosphériques et d'anticiper une réduction nette de ses GES. Mais son agriculture sature de nitrates ses cours d'eau et ses nappes souterraines, en plus d'accaparer le tiers de l'eau disponible sur ce continent.

L'Amérique latine et les Caraïbes connaissent pour leur part une urbanisation effrénée et des taux élevés de disparition de leur faune en raison de l'expansion des cultures, de la pollution marine et côtière et de leur vulnérabilité aux changements climatiques.

La fin du monde en 2025...
François Cardinal

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