Rapport Bouchard-Taylor ou l’accommodement immoral, par Mohamed P. Hilout

Accommodements religieux
Lundi 26 mai 2008
Point de Bascule

Les concepts d’« interculturalisme » et de « laïcité ouverte » ne sont qu’ersatz et plats inconsistants
qu’ils offrent aujourd’hui aux musulmans du Québec ;
ceux-là même qui ont le plus besoin d’un plat de résistance, pour affronter le retour en force de la religion
et son immixtion dans les affaires sociales

La commission chargée d’étudier la question des accommodements raisonnables n’a rien compris au fond du problème que pose l’islam et ses voiles : il est irrémédiablement séparatiste et ségrégationniste. Il est donc immoral de s’accommoder d’une ségrégation visible à l’œil nu.

Le français Mohamed Pascal Hilout, initiateur du mouvement intellectuel Nouvel Islam en France, a aimablement accepté notre invitation d’écrire un commentaire sur le rapport de la commission Bouchard-Taylor pour Point de BASCULE. - Annie Lessard

Rapport Bouchard-Taylor ou l’accommodement immoral

La commission chargée d’étudier la question des accommodements raisonnables n’a rien compris au fond du problème que pose l’islam et ses voiles : il est irrémédiablement séparatiste et ségrégationniste. Il est donc immoral de s’accommoder d’une ségrégation visible à l’œil nu

Face au problème central et crucial, MM Bouchard et Taylor ont essayé de se donner bonne conscience en nous présentant un plat faussement riche et varié : ils n’ont étalé tout l’historique des ajustements et accommodements que pour mieux se voiler la face.

Les concepts d’« interculturalisme » et de « laïcité ouverte » ne sont qu’ersatz et plats inconsistants qu’ils offrent aujourd’hui aux musulmans du Québec ; ceux-là même qui ont le plus besoin d’un plat de résistance, pour affronter le retour en force de la religion et son immixtion dans les affaires sociales.

Les musulmans, tout autant que les autres Québécois, méritent une « laïcité tout court » et une mise à nu des fondamentaux de la religion islamique qui ne voile la douce moitié de l’humanité que pour mieux la réserver aux musulmans et aux convertis bien circoncis. Autrement dit : l’islam classique mène tout droit aux ghettos matrimoniaux et à d’autres ségrégations. Les Québécois, tous les Québécois, n’ont pas le droit de s’accommoder de ce cloisonnement et de taire cette discrimination religieuse d’un autre espace-temps.

Mais nos experts ont préféré user d’une langue de bois, théologiquement très correcte et dans l’air du temps. Ils renvoient aux calendes grecques la résolution d’un problème central qu’ils ont tout fait pour ne pas l’exposer tel qu’il s’impose à toute personne lucide et de bonne foi.

Essayons d’être encore plus clairs : intellectuellement et objectivement, le voile islamique ne peut être rangé dans le même tiroir que la kippa des juifs, le turban des sikhs, la croix chrétienne ou le pendentif (main de Fatima) que la musulmane met au cou, signes religieux ayant une tout autre signification. Le voile islamique nous indique clairement que l’adolescente qui le porte est musulmane, c’est à dire qu’elle cherchera à éviter toute mixité : elle ne se baignera pas avec les autres citoyens masculins, elle évitera cette mixité au gymnase, elle ne participera pas aux sorties scolaires, de peur qu’elle ne contracte la maladie de l’amour de façon incontrôlable par la famille, le clan et la communauté et, en fin de parcours, elle n’épousera pas un concitoyen non-musulman.

Le voile islamique est avant tout une cloison ambulante. C’est une cloison sociale visible à l’œil nu. Mais encore faut-il avoir un peu de cœur pour la voir ; un peu de courage intellectuel pour dénoncer ce fait religieux avéré et éviter ainsi que notre Québécoise musulmane ne continue d’être la matrice de reproduction de cette malédiction, issue de la nuit des temps. L’heure de l’émancipation des musulmanes a sonné ! « Vive la Québécoise libre ! » serais-je tenté de crier à la face des nos experts rétrogrades et trop myopes du cœur.

Voilà donc où réside le problème ! Le rapport croit avoir pris toutes les précautions nécessaires en nous récitant la litanie apaisante de l’égalité hommes-femmes, de la laïcité, de la réciprocité et autres billevesées théoriques. Or, vous pouvez proclamer toute l’égalité que vous voulez, tous les beaux principes que vous chérissez, si la société civile tout entière ne dénonce pas, encore et encore, les cloisons ambulantes que sont les voiles islamiques, vous n’obtiendrez rien qui vaille. Proclamer son adhésion théorique à l’égalité et à la laïcité n’empêchera nullement les familles québécoises de préserver leurs filles pour les seuls mariages autorisés par l’islam, pour des mariages intra-communautaires assurant ainsi un développement à part et à l’écart, à l’instar de ce qui a si bien réussi à une partie des juifs du Québec. Il faut donc commencer par le commencement : dénoncer les principes ouvertement séparatistes et ségrégationnistes de l’islam classique pour inviter les musulmans à adhérer à d’autres pratiques, qui n’ont rien de théorique.

Si nous ne dénonçons pas clairement les cloisons et les murs religieux qui balisent les ghettos communautaires, le Québec risque de s’acheminer, sans coup férir, vers un vivre à part et à l’écart et non pas vers un vivre-ensemble au sein d’une société réellement ouverte sur les autres. Il me semble que les mécanismes internes de l’islam, comme ceux du judaïsme, avec leur immixtion dans la vie des individus en société, sont foncièrement handicapants et méritent d’être dénoncés pour en débarrasser notre société humaine, pour la rendre plus ouverte et donc plus humaine.

Faute de quoi, l’islam très classique, ses interdits et ses pratiques nous mèneront tout droit à une juxtaposition de communautés sans réelle fusion. Le temps ne réglera pas cette carence, il l’aggravera. Grâce aux recommandations de la commission Bouchard-Taylor, le développement autonome de chaque communauté est tout à fait programmé dès aujourd’hui. Je crains fort que l’ouverture, ou plutôt la brèche ouverte dans la laïcité par cette commission, n’amène la communauté musulmane du Québec à prendre comme modèle celui qui est le plus accompli dans son autonomie : celui des juifs hassidiques. Un ghetto, même doré, sera tout de même un ghetto !

Dans la bergerie du Québec, mais aussi en Europe, à force de vouloir ménager la chèvre et le chou, on n’oppose plus aucune résistance aux loups, aux fondements religieux qui consolident nos ghettos pour mieux « séparer le bon grain de l’ivraie ». Si nous laissons faire et si nous choisissons de continuer à vivre à part et à l’écart, avec nos préceptes et interdits issus d’espaces-temps révolus, nous autres musulmans d’Europe et d’Amérique du Nord, nous rééditerons sûrement quelques millénaires de diaspora dans une étrangeté folklorique.

C’est par respect de mes coreligionnaires musulmans que je me vois obligé de n’avoir aucun respect pour les principes de l’islam classique qui sont en contradiction avec le respect dû à notre humanité. La bonne foi nous invite instamment à dépasser nos contradictions ancestrales.

Le non dit, le mal formulé, le flou, l’indéfini est ce qui représente nos fantômes, nos peurs et nos phobies. La sagesse des philosophes, qu’on était en droit d’attendre de M. Bouchard et surtout de M. Taylor, philosophe de son état, aurait été de donner une certaine consistance à ces fantômes pour mieux les conjurer. Le courage intellectuel aurait été d’affronter les raisons tangibles des peurs bien justifiées des Québécois, anciens et nouveaux, et non pas d’essayer de les apaiser en faisant le constat d’une accalmie puis en conclure qu’il n’y a pas de péril en la demeure, juste un « problème de perception ». Non, chers Québécois, vous n’hallucinez pas, vous avez bien vu le péril que la commission n’ose même pas nommer !

A n’en pas douter, Messieurs Bouchard et Taylor, savent que les normes collectives sont plus ou moins bien formulées. Bon nombre de ces normes, qui ne sont pas de nature juridique, sont tout simplement tacites : elles s’imposent d’elles-mêmes et impriment une certaine vision de la communauté humaine, celles des êtres, à la maison, dans la rue et dans les espaces de vie publique. Les Québécois voient très bien et perçoivent immédiatement qu’un changement radical est apporté à cet espace social, visuel, éthique et esthétique par l’introduction d’un « vulgaire » foulard islamique. Et ils ont raison de crier « attention danger ! ». Ceux qui ne veulent pas voir et comprendre se voilent la face ou sont tout simplement de mauvaise foi.

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