Washington à Damas : Le Liban aux Libanais
L'Orient le jour
07/03/2009
Walid Joumblatt visiblement content de retrouver M. Feltman et Mme Sison.
Le secrétaire d'État adjoint pour les Affaires du P-O par intérim, Jeffrey Feltman,
a réaffirmé le ferme soutien de Washington au Liban au cours des entretiens
qu'il a eus hier avec Sleiman, Siniora, Salloukh, Gemayel, les pôles du 14 Mars, Joumblatt et Mikati.
C'est quasiment un leitmotiv que le secrétaire d'État adjoint américain pour les Affaires du Proche-Orient par intérim, l'ambassadeur Jeffrey Feltman, a répété durant toute la journée d'hier dans le sillage de la série d'entretiens qu'il a eus avec les différents dirigeants et responsables qu'il a rencontrés, en compagnie de M. Daniel Shapiro, conseiller à la Sécurité nationale chargé du Proche-Orient à la Maison-Blanche. M. Feltman a ainsi répété à plusieurs reprises que le dialogue relancé par la nouvelle administration américaine avec le régime syrien ne se fera en aucune façon au détriment de l'indépendance et de la souveraineté du Liban. « Nous dirons aux Syriens que le Liban est aux Libanais », a notamment souligné le responsable US sur ce plan.
Dans la journée, MM. Feltman et Shapiro ont conféré avec le président Michel Sleiman, le Premier ministre Fouad Siniora, le chef de la diplomatie Faouzi Salloukh, le leader des Kataëb, le président Amine Gemayel (en présence de plusieurs ténors de la coalition du 14 Mars), le leader du PSP Walid Joumblatt, et l'ancien Premier ministre Nagib Mikati. Ces différents entretiens ont eu lieu en présence de l'ambassadrice des États-Unis, Michelle Sison.
La réunion avec le président Sleiman a eu lieu vers midi au palais de Baabda. Selon un communiqué du bureau de presse de la présidence de la République, le responsable US a souligné à l'attention du chef de l'État que s'il est vrai que la politique américaine est marquée par une « nouvelle approche » initiée par le président Barack Obama, « le soutien au Liban reste le même, et l'administration américaine est attachée à ses mêmes engagements à son égard ». Le chef de l'État a remercié au cours de l'entretien Washington « pour son soutien au Liban à tous les niveaux et dans tous les domaines ». Le président Sleiman a prôné dans ce cadre « une politique d'ouverture et de modération à l'égard des parties régionales, notamment de la Syrie, car cela est dans l'intérêt de la politique américaine et cela contribuerait à trouver des solutions aux crises de la région, de l'Irak à la Palestine ».
À sa sortie de Baabda, M. Feltman a déclaré que sa visite a pour but d'affirmer « une vérité importante, à savoir que les États-Unis appuient un Liban souverain, libre et stable ». Le responsable US a indiqué qu'il avait profité de sa visite au palais de Baabda pour « réaffirmer le message transmis par le président Obama lors de son entretien téléphonique direct (avec le chef de l'État) et dont il ressort que les États-Unis soutiennent fermement le Liban ». « Le Tribunal spécial pour le Liban a vu le jour cette semaine, et les États-Unis soutiennent cette mesure pour mettre un terme aux assassinats politiques au Liban, a déclaré M. Feltman. Cela constitue un indice clair qui montre que la souveraineté du Liban n'est nullement négociable. Notre engagement sur ce plan est total. Les États-Unis ont accru leur soutien au tribunal en octroyant un nouveau montant de 6 millions de dollars. Nous attendons l'aval du Congrès, de sorte que le montant global de notre contribution sera de 20 millions de dollars. »
Et M. Feltman de poursuivre : « Nous continuons à œuvrer avec les Libanais afin de renforcer les institutions de l'État. Cela englobe les efforts conjoints visant à initier un programme d'aide à long terme dans le but de renforcer les forces armées libanaises et les Forces de sécurité intérieure, en vue de préserver la sécurité au plan interne et mettre en application la résolution 1701. Le gouvernement libanais doit être la seule autorité politique et militaire au Liban. À cette fin, nous avons annoncé dernièrement une aide aux forces armées incluant des avions sans pilote. Le peuple libanais est avide de justice et de paix. Je voudrais affirmer dans ce cadre l'appui des États-Unis aux Libanais à un moment où le Liban s'apprête à organiser des élections législatives importantes le 7 juin prochain. Les États-Unis soutiendront les efforts des autorités libanaises pour garantir la liberté, l'équité et la transparence de ces élections, loin des interférences politiques. Le message essentiel sur ce plan est que le Liban doit être aux mains des Libanais. Je voudrais que les Libanais sachent qu'ils auront un ami aux États-Unis tant qu'ils continueront à œuvrer pour un Liban souverain et démocratique. »
Interrogé ensuite sur la teneur du message qu'il transmettra aux Syriens, M. Feltman a déclaré : « Le message que je transmettrai aux Syriens en ce qui concerne le Liban est celui que je viens d'évoquer devant vous, à savoir qu'il revient au seul peuple libanais d'être responsable du sort de son pays. Ce peuple a de grandes capacités et il devrait élire ses représentants au Parlement en toute liberté. Ce message, je le proclame publiquement et je ne crois pas que les Syriens seront surpris par un tel message. Nous discutons avec eux de divers sujets, mais en ce qui concerne le Liban, le message est clair. Les États-Unis, la communauté internationale et les amis du Liban dans la région sont tous unanimes à considérer que le Liban est aux Libanais. »
À un correspondant de presse qui lui demandait comment il pouvait concilier ses responsabilités actuelles avec la position favorable à la révolution du Cèdre que d'aucuns lui attribuaient lorsqu'il était ambassadeur à Beyrouth, M. Feltman a déclaré : « Lorsque j'étais ambassadeur à Beyrouth, je reflétais la position de l'administration américaine et celle du Congrès. Cette position était appuyée par les républicains et les démocrates. Ce que les États-Unis appuyaient dans la pratique, c'était les résolutions 1559 et 1701 du Conseil de sécurité. Nous appuyons aussi l'idée que le sort du Liban devrait être entre les mains du peuple et du gouvernement libanais, de même que nous appuyons le processus démocratique dans ce pays. C'est cela que nous continuons à appuyer en réaction aux aspirations du peuple libanais qu'il a exprimées plus particulièrement lors du rassemblement du 14 mars 2005 et jusqu'à aujourd'hui. Le peuple libanais aspire à être maître de son destin, et nous soutenons une telle aspiration. J'ai la conviction que les responsables syriens que nous rencontrerons ont conscience que tout émissaire américain reflète la volonté de l'administration américaine. »
Au Grand Sérail
Auparavant dans la matinée, M. Feltman avait conféré au Grand Sérail, en présence de M. Shapiro et de Mme Sison, avec le Premier ministre. À l'issue de l'entrevue, il a réaffirmé le ferme soutien de la nouvelle administration US à l'indépendance et la souveraineté du Liban, précisant que « nous avons une longue liste de sujets qui nous inquiètent concernant la Syrie sur le double plan bilatéral et régional, et je m'attends aussi à entendre des Syriens des remarques portant sur des problèmes qui les inquiètent à notre sujet ». Après avoir rappelé la teneur du message de soutien transmis par le président Obama au président Sleiman, M. Feltman a qualifié de « très réussie » la récente visite du commandant en chef de l'armée, le général Jean Kahwagi, à Washington.
En réponse à une question sur une éventuelle entrevue avec le chef du Législatif Nabih Berry, le responsable US a relevé qu'un rendez-vous avait été demandé avec le président de la Chambre, mais celui-ci se trouve en dehors du pays. Interrogé sur la différence d'approche politique entre la nouvelle administration et la précédente, M. Feltman a déclaré : « Notre politique est fondée sur le fait que c'est aux Libanais d'être responsables de leur pays et c'est à eux de décider de ce qui est le plus adéquat pour leur pays. Telle est la vision du président Obama concernant le Liban et telle était la vision de la précédente administration sur ce plan. Le président Obama s'est de même engagé pour une solution basée sur les deux États (israélien et palestinien), de même qu'il s'est engagé en faveur de l'initiative arabe de paix. »
Avec le 14 Mars
Vers midi trente, les deux responsables US ont été reçus par le président Gemayel à Sin el-Fil. L'ancienne ministre Nayla Moawad, l'ancien député Farès Souhaid, coordinateur du comité de suivi du 14 Mars, et le leader du PNL, Dory Chamoun, se sont joints à la réunion.
De son côté, M. Feltman a déclaré, en réponse à une question sur l'opportunité sa visite à Damas tandis qu'il soutenait la révolution du Cèdre lorsqu'il était ambassadeur au Liban : « À mon avis, il n'y a pas de contradiction. Notre soutien au mouvement du 14 Mars lorsque j'étais ambassadeur était un soutien à l'indépendance du Liban. » Interrogé sur le fait de savoir si le dialogue avec la Syrie se ferait au détriment du Liban, M. Feltman a répondu : « Certainement pas. Nous sommes engagés à soutenir la démocratie et l'indépendance au Liban. Nous avons beaucoup de sujets à discuter avec la Syrie, dont le Liban. Ces sujets dépassent de beaucoup le cadre du Liban. L'un des fondements de notre politique dans la région est d'appuyer un Liban souverain et démocratique. Nous y travaillons lors de nos entretiens avec les voisins du Liban. »
Signalons que dans une déclaration à la presse, le ministre Nassib Lahoud a souligné que « tout dialogue entre les États-Unis et la Syrie se répercutera positivement sur le Liban, d'autant que les réunions que le Premier ministre a tenues à Charm el-Cheikh avec les responsables américains ont débouché sur des assurances sérieuses selon lesquelles aucune solution ne se fera au détriment du Liban ». « Le Liban profitera de cette détente arabe et de la relance du dialogue entre les États-Unis et la Syrie », a conclu M. Lahoud.
Les sources diplomatiques de Khalil Fleyhane
Il convient d'indiquer que selon notre correspondant diplomatique au palais Bustros, Khalil Fleyhane, M. Feltman transmettra aux dirigeants syriens une série d'observations de certains responsables libanais concernant le manque de coopération de Damas au sujet de la nomination d'un ambassadeur au Liban, du tracé des frontières, du trafic d'armes aux frontières, du problème des armes palestiniennes en dehors des camps, et du refus de livrer au tribunal international certains suspects dans l'affaire de l'assassinat de Rafic Hariri. Ces observations faites par certains responsables à Beyrouth sont partagées par l'administration US et d'autres pays occidentaux, ajoutent les sources diplomatiques qui précisent en outre que M. Feltman transmettra aussi les griefs des pôles du 14 Mars qui accusent le régime syrien d'intervenir dans le cours de la bataille électorale dans certaines régions, notamment au Akkar, à Tripoli et dans la Békaa.
Les sources diplomatiques citées par Khalil Fleyhane ajoutent que très vraisemblablement, les dirigeants syriens refuseront de discuter de ces questions avec les émissaires US, soulignant qu'ils souhaitent limiter les discussions sur ce plan aux entretiens bilatéraux avec les responsables libanais.
Notons enfin qu'au terme de ses entretiens avec Damas, M. Feltman regagnera Beyrouth pour s'entretenir avec le patriarche maronite, Nasrallah Sfeir.