Clairandrée Cauchy
Édition du samedi 22 et du dimanche 23 novembre 2008
Des élèves en difficulté peuvent, par exemple, obtenir une note de 81 % qui équivaut à seulement 30 %
Les commissions scolaires fourniront un bulletin spécial à des élèves en «grande difficulté» où ne seront évalués que les aspects du programme qu'ils sont susceptibles de réussir. Ce bulletin à deux vitesses permettrait par exemple d'accorder une note de 81 % qui équivaudrait à seulement 30 % du programme entier, a appris Le Devoir.
Cette mesure est prévue dans les instructions transmises par le ministère de l'Éducation à la fin d'août aux différentes commissions scolaires. Elle s'applique aux élèves en difficulté du primaire et du secondaire qui bénéficient d'un plan d'intervention adapté et pour lesquels on juge nécessaire d'adapter le programme de formation.
La note en pourcentage dans le bulletin fera donc état du niveau de compétence atteint en vertu du programme tel qu'adapté à l'enfant et non en fonction du programme réel, et ce peu importe qu'il soit dans une classe régulière ou spéciale. Dans le bulletin, une note en bas de page indiquera par exemple au parent que la note de 78 % constitue en fait un résultat «en dessous des exigences fixées pour son âge». «À cause des difficultés de l'élève, le résultat pour les compétences avec un astérisque (*) rend compte des objectifs fixés spécialement pour lui en vertu de son plan d'intervention», pourra-t-on lire dans la note.
Dans les instructions ministérielles, on constate qu'il faudra attendre le bilan de fin de cycle (dans le dernier bulletin de deuxième, quatrième ou sixième année du primaire, ou encore en fin de deuxième ou de quatrième secondaire) pour savoir à quoi correspond la note «adaptée» dans le programme réel. L'exemple cité dans le document transmis par les sous-ministres fait état d'une note en lecture de 81 % qui se traduirait par 30 % si on tenait compte de toutes les exigences du programme.
Au cabinet de la ministre de l'Éducation, Michelle Courchesne, on précise toutefois qu'il ne s'agit que d'un exemple et qu'on pourra donner plus tôt les équivalences dans le programme réel des notes «adaptées» à un programme restreint.
L'attaché de presse de la ministre, Jean-Pascal Bernier, faisait valoir hier que cette mesure a été adoptée en réponse aux demandes des commissions scolaires. Ces dernières réclamaient des précisions sur la façon d'appliquer la logique des notes en pourcentage et des moyennes de groupes aux élèves en difficulté. «On parle d'élève en très grande difficulté qui n'auront jamais les mêmes notes que les autres élèves», précise M. Bernier. Il ajoute que la pratique d'adapter le programme pour certains élèves en difficulté était déjà en vigueur dans les commissions scolaires avant l'imposition du bulletin unique. Le ministère ne fait donc qu'apporter des précisions sur la façon de traduire cette réalité dans les nouveaux bulletins chiffrés, justifie M. Bernier.
Outre les doubles notes, la directive prévoit aussi que les élèves en grande difficulté qui suivent un programme adapté et dont les notes au bulletin sont «adaptées» ne seront pas considérés dans les moyennes de groupe.
Au ministère, on ne peut par ailleurs préciser combien d'enfants seront soumis à ce régime de double notation, «parce que ce sont les écoles elles-mêmes qui déterminent quels élèves» bénéficient de ce traitement. Sur un bassin d'environ 150 000 élèves en difficulté au Québec, on estime qu'une «petite minorité» seulement voient leur programme adapté.
Syndicat outré
La Fédération autonome de l'enseignement (FAE), qui fait campagne depuis plusieurs années contre la réforme de l'éducation, s'indigne d'une telle mesure. Elle y voit une manifestation de la «culture de la facilité» sous-jacente à la réforme.
«On vise systématiquement à abaisser les exigences des programmes pour les élèves en difficulté plutôt que de chercher à savoir comment ces élèves pourraient réussir. Ils vont réussir parce qu'on charcute le programme, on ne veut tellement pas que les élèves vivent des échecs», caricature le vice-président de la FAE, Sylvain Mallette.
«C'est trompeur pour les parents et c'est un vrai tue-monde pour les enseignants», renchérit le président de la FAE, Pierre Saint-Germain. Il estime qu'il sera particulièrement ardu pour les enseignants d'évaluer différemment les élèves, selon les portions du programme auxquelles chacun est soumis, tout particulièrement au secondaire où un enseignant peut rencontrer plusieurs groupes par semaine.
Le syndicat dénonce par ailleurs la fausse impression que laissera ainsi la moyenne de groupe, une fois dépouillée des résultats scolaires des élèves en grande difficulté. «Cela envoie l'image que tout va bien dans ma classe», poursuit M. Saint-Germain.
Au cabinet de Mme Courchesne, on fait valoir que des modifications pourraient être apportées, si les parents en font la demande, au cours de l'application du plan d'action pour les élèves en difficulté.