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2001, chute de la cellule islamiste de Montréal

              
Fabrice de Pierrebourg
La Presse
Publié le 10 septembre 2011

Il y a 10 ans, peu avant les événements du 11 septembre 2001, cinq Montréalais ont été condamnés, à Paris, pour leur implication dans un groupe terroriste formé de vétérans du djihad afghans et bosniaques.

La Presse raconte cette enquête du juge français Jean-Louis Bruguière, qui a mené à la décapitation, à Montréal, de ce groupuscule semblable à ceux qui allaient frapper ultérieurement à Casablanca, Londres et Madrid. Car 10 ans plus tard, l'histoire n'est peut-être pas finie?: la montée en puissance d'Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) et les relais dont elle dispose dans les communautés maghrébines occidentales font craindre une résurgence de ce type de cellule.

«C'était une vraie cellule opérationnelle; le coeur du dispositif était à Montréal.»

Dix ans après le démantèlement de ce que la justice française a appelé «la cellule de Montréal», l'ex-juge antiterroriste français Jean-Louis Bruguière, en entrevue avec La Presse, se souvient du fil des événements comme si c'était hier.

Le juge, que ses détracteurs surnommaient «le cowboy» à cause du 357 Magnum qu'il portait sous sa veste, n'a pas oublié non plus les protagonistes de l'affaire.

L'histoire de cette cellule de la mouvance djihadiste salafiste est liée à celle du groupe de Roubaix, une ville du nord de la France. Elle était la composante d'un «réseau international islamiste radical».

Ces «gangsterroristes» ont semé la terreur en 1996 dans la région de Roubaix, où ils ont commis une série de braquages «d'une rare violence», indiquent des documents français.

Le 28 mars, c'est l'escalade. Peu avant l'ouverture d'un sommet du G7, le groupe tente de faire sauter le quartier général de la police de Lille.

Le lendemain, les policiers prennent d'assaut la petite maison qui sert de refuge à la bande.

C'est une vraie scène de guerre. Les Bosniaques se défendent avec des armes de guerre et des grenades offensives. Un incendie se déclare. Quatre cadavres sont découverts dans les décombres. Christophe Caze, en fuite avec un complice, sera abattu peu après par des gendarmes belges.

Tous deux étaient armés d'un lance-roquettes antichar, d'une mitrailleuse, de trois pistolets-mitrailleurs et de grenades.

«Ça n'a rien à voir avec le terrorisme et l'islamisme», assure le ministre de l'Intérieur d'alors. Pour lui, il s'agit d'un simple groupe de braqueurs.

La piste montréalaise

Mais le juge Bruguière et les policiers disposent de renseignements qui les orientent vers une piste de financement du terrorisme et de trafic de faux passeports destiné à faciliter les déplacements de moudjahiddin. L'arrestation d'un membre du groupe en juillet 1996 fait avancer l'enquête.

Et puis, il y a l'agenda électronique de Christophe Caze, dans lequel les enquêteurs remarquent la mention «FATAH CAN» suivie du numéro d'un certain Mohamed Omary, à Montréal. Les policiers croient qu'Omary sert d'intermédiaire pour joindre Fateh Kamel (désigné par l'inscription dans l'agenda), un ami qui habite à Outremont et avec qui il est allé en Bosnie en 1993. C'est dans ce pays, à l'hôpital de Zenica, que Caze aurait rencontré Kamel.

La mention de Fateh Kamel sera retrouvée aussi dans les agendas d'autres membres de la cellule.

L'enquête se déplace à Montréal en octobre 1999. La cible no 1 est Fateh Kamel. Mais on vise aussi Ahmed Ressam, un petit voleur qui écume les hôtels pour détrousser les touristes.

Les choses se corsent pour le juge Bruguière. Il veut interroger les suspects et perquisitionner chez eux, en particulier au 6301, place Malicorne, à Anjou, repaire des membres du groupe.

L'équipe conduite par Bruguière cherche des passeports, des carnets d'adresses, des photos prises en Bosnie et à Montréal, et surtout des grilles de codage.

«Dès mon arrivée [...], nous nous heurtons à un obstacle quasi infranchissable: les autorités canadiennes, fort peu coopératives, refusent de nous délivrer un mandat de perquisition», indique-t-il dans son livre Ce que je ne n'ai pas pu dire (Robert Laffont, 2009).

L'équipe antiterroriste devra batailler en Cour pour parvenir à ses fins. «Nous ne naviguions manifestement pas dans le sens du vent», poursuit-il, cinglant.

En examinant les factures téléphoniques de Fateh Kamel et celles de l'appartement de la place Malicorne à Anjou, les enquêteurs français répertorient des communications avec le QG du Bataillon des moudjahiddin à Zenica, en Bosnie, mais aussi des appels au Koweït et au Qatar.

Les Français, la GRC et le SCRS ont aussi dans leur ligne de mire une mosquée du quartier Parc-Extension. Pour le Pentagone, c'est l'un des hauts lieux de rencontre et de recrutement de membres d'Al-Qaïda.

La cellule désagrégée

L'étau se resserre sur Fateh Kamel, Ahmed Ressam et plusieurs de leurs relations.

Mais Kamel et Ressam se volatilisent. Ce dernier est arrêté par hasard le 16 décembre 1999, au nord de Seattle, par une douanière américaine. Dans le coffre de son auto se trouvent les composantes d'une bombe de 60 kg. Son objectif: faire sauter l'aéroport de Los Angeles le 31 décembre.

La fuite de Kamel prend fin en 1999 en Jordanie. Extradé vers Paris, il se retrouve dans le bureau du juge. «Après avoir accepté de répondre aux questions posées lors des premiers interrogatoires, il va adopter rapidement une position de déni systématique», note la justice française. Il était «assez bloqué et très hostile», se souvient Jean-Louis Bruguière. Le Montréalais avait alors une double vie, dit-il: «Il y avait l'homme respectable en costume-cravate, propriétaire d'une société fictive et marié à une Canadienne, et l'homme qui menait une vie souterraine dans des appartements clandestins et qui communiquait par cabine téléphonique.»

Fateh Kamel a toujours nié, que ce soit lors du procès en France ou en entrevue avec La Presse, avoir été un terroriste. Il estime avoir été un bouc-émissaire. «J'ai la conscience tranquille», a-t-il déjà dit à La Presse.

«Il était le chef du réseau global, maintient le juge Bruguière. À Milan, en 1996, il a été enregistré à son insu dans un appartement clandestin avec des membres du Groupe islamique armé (GIA) qui préparaient des attentats.» Les propos attribués à Kamel par les policiers italiens sont d'ailleurs assez violents. Mais Kamel nie qu'il s'agisse de lui.

Le procès des 24 membres du groupe de Roubaix débute le 7 février 2001. Un mois plus tard, le verdict tombe: Fateh Kamel écope de huit ans de prison. Un de ses compagnons de captivité est le mythique Carlos, longtemps considéré comme le terroriste no 1 dans le monde. Les deux hommes se lient d'amitié.

Pour la justice, la cellule de Montréal est décapitée. Le 25 octobre 2001, le procureur de la République de Paris écrit: «Il est clair que sans le démantèlement de ce vaste réseau islamiste terroriste, d'autres actions violentes auraient été enregistrées non seulement en France, mais aussi aux États-Unis.»

Kamel a été libéré en 2005, privé de son passeport canadien. Il vit à Montréal et tente de monter une affaire d'import-export pour gagner sa vie. Ressam, «calme par nature», dit son avocat, est confiné en isolement dans une prison du Colorado. Said Atmani a disparu de la circulation après un séjour en Bosnie. Selon certaines sources, il serait à Montréal. Nul ne sait non plus où est Adel Boumezbeur. Quant à Abdellah Ouzghar, il a été extradé en France en 2009.

L'ex-juge estime que la vigilance est toujours de mise: «Certains au Canada ont toujours des convictions extrémistes ou proches de l'ex-GIA algérien. Avec la montée en puissance de l'AQMI (en Afrique du Nord et au Sahel), on peut être inquiet»

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