Janvier 2008
LA SITUATION DES DROITS DE L’HOMME EN PALESTINE
ET DANS LES AUTRES TERRITOIRES ARABES OCCUPÉS
Rapport du Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, M. John Dugard
Résumé
Cette année marque le quarantième anniversaire de l’occupation du territoire palestinien. Les obligations d’Israël en tant que puissance occupante n’ont pas diminué du fait du caractère prolongé de cette occupation.
Israël demeure la puissance occupante à Gaza bien qu’il affirme que Gaza est un «territoire hostile». Ceci signifie que ses actes doivent être mesurés à l’aune des normes du droit international humanitaire et du droit des droits de l’homme. Si on le juge au regard de ces normes, Israël est en violation grave de ses obligations juridiques. La punition collective qu’inflige Israël à Gaza est expressément interdite par le droit international humanitaire et a provoqué une grave crise humanitaire.
La situation des droits de l’homme en Cisjordanie a empiré, alors que l’on espérait qu’elle s’améliorerait à la suite de l’éviction du Hamas de l’administration de la Cisjordanie. Les colonies s’agrandissent, la construction du mur continue et le nombre de points de contrôle augmente. Les incursions militaires et les arrestations se multiplient; 779 détenus palestiniens ont été libérés mais 11 000 demeurent dans les prisons israéliennes.
Le droit du peuple palestinien à l’autodétermination est gravement menacé par la séparation de Gaza et de la Cisjordanie qui résulte de la prise du pouvoir par le Hamas à Gaza en juin 2007. La communauté internationale ne doit rien ménager pour rétablir l’unité palestinienne.
Le 27 novembre, un nouveau processus de paix a été engagé à Annapolis. Ce processus doit se dérouler dans un cadre normatif qui respecte le droit international, le droit international humanitaire et les droits de l’homme. L’avis consultatif de la Cour internationale de Justice sur les Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé (1) est une composante essentielle de ce cadre et ne peut être passé sous silence par le processus de paix d’Annapolis ni par les autorités israéliennes et palestiniennes, le Quatuor et l’Organisation des Nations Unies. Le Secrétaire général, en sa qualité de représentant de l’Organisation des Nations Unies, doit veiller à ce que l’avis consultatif, qui représente la loi de l’ONU, soit respecté par toutes les parties engagées dans le processus d’Annapolis.
Introduction
1. Le Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967 a séjourné dans le territoire palestinien occupé du 25 septembre au 1er octobre 2007. Pendant cette période, il s’est rendu à Gaza, à Jérusalem, à Ramallah, à Bethléem, à Jericho et à Naplouse, où il s’est entretenu avec les représentants d’organisations non gouvernementales (ONG) (tant palestiniennes qu’israéliennes), les représentants d’institutions des Nations Unies, des fonctionnaires palestiniens, des universitaires, des hommes d’affaires et des interlocuteurs indépendants. Le Rapporteur spécial a passé un temps considérable sur le terrain, visitant des usines à Gaza, des points de contrôle, des colonies, des villages palestiniens lésés par le mur à proximité de Bethléem, de Naplouse et de Qalqiliya, ainsi que des villages et des communautés de la vallée du Jourdain. Le 30 septembre, il a fait une conférence à l'Université Al-Najah de Naplouse. La visite du Rapporteur spécial dans le territoire palestinien occupé a été précédée et suivie de visites en Jordanie, où il a rencontré des personnalités jordaniennes. L’objet de ces réunions était de connaître les vues de la Jordanie sur la situation des droits de l’homme dans le territoire palestinien occupé.
I. CRITIQUES ADRESSÉES AU RAPPORTEUR SPÉCIAL ET À SON MANDAT
2. Le Rapporteur spécial a été critiqué pour un certain nombre de raisons par les États intéressés (2). Selon eux, en premier lieu, ses rapports sont répétitifs. En deuxième lieu, ils ne traitent pas du terrorisme. En troisième lieu, on n’y examine pas les violations des droits de l’homme commises par les Palestiniens. Ces critiques seront brièvement examinées au début du présent rapport.
A. Répétition
3. Il est exact que les rapports sur le territoire palestinien occupé suivent une structure familière et traitent de situations de fait présentant de très nombreuses similitudes entre elles.
Ils rendent compte de violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire qui se produisent de manière systématique et continue depuis de nombreuses années, certaines datant du début de l’occupation, il y a quarante ans. Les colonies, les points de contrôle, la démolition d'habitations, la torture, la fermeture des points de passage et les incursions militaires caractérisent l’occupation depuis de nombreuses décennies et ont été décrits systématiquement dans ces rapports. Ceux-ci continuent inévitablement, et à juste titre, de rendre compte de ces questions et d’en décrire les conséquences et la fréquence dans un environnement en constante évolution. De nouvelles violations des droits de l’homme et du droit humanitaire sont ajoutées à mesure qu’elles se produisent, par exemple la construction du mur (depuis 2003), les bang soniques, les assassinats ciblés, l ’utilisation de Palestiniens comme boucliers humains et la crise humanitaire provoquée par le non-versement des recettes fiscales dues aux Palestiniens.
En somme, les rapports sont répétitifs parce que les mêmes violations des droits de l’homme et du droit humanitaire continuent de se produire dans le territoire palestinien occupé.
B. Terrorisme
4. Le terrorisme est un fléau, une violation grave des droits de l’homme et du droit international humanitaire. On ne tente nullement dans ces rapports de minimiser la peine et les souffrances qu’il cause aux victimes, à leur famille et à l’ensemble de la collectivité. Les Palestiniens sont coupables de terroriser des civils israéliens innocents au moyen d’attentats suicide et de roquettes Qassam. De même, les Forces de défense israéliennes (FDI) sont coupables de terroriser des civils palestiniens innocents au moyen d’incursions militaires, d’assassinats ciblés et de bang soniques qui ne font pas de distinction entre objectifs militaires et objectifs civils. Tous ces actes doivent être condamnés, et ils l’ont été (3).
Le bon sens, toutefois, commande de faire une distinction entre les actes de terrorisme insensés, comme ceux commis par Al-Qaida, et les actes commis au cours d’une guerre de libération nationale contre le colonialisme, l’apartheid ou l’occupation militaire. Si de tels actes ne peuvent être justifiés, il faut les comprendre comme la conséquence pénible mais inévitable du colonialisme, de l’apartheid ou de l’occupation. L’histoire regorge d’exemples d’occupation militaire à laquelle on a résisté par la violence − par des actes de terrorisme. De nombreux pays européens ont résisté à l’occupation allemande au cours de la Seconde Guerre mondiale; la South West Africa People’s Organization (SWAPO) a résisté à l’occupation de la Namibie par l’Afrique du Sud; et des groupes juifs ont résisté à l'occupation britannique de la Palestine − notamment un groupe dirigé par Menachem Begin, devenu plus tard Premier Ministre d’Israël, qui a fait sauter l'hôtel King David en 1946, provoquant de nombreuses pertes en vies humaines. Les actes de terrorisme contre l’occupation militaire doivent être considérés dans leur contexte historique. C’est pourquoi rien ne doit être ménagé pour mettre rapidement fin à l’occupation. Tant que ceci ne sera pas accompli, on ne pourra compter que la paix s’instaure, et la violence continuera. Dans d’autres situations, par exemple en Namibie, la paix a été instaurée grâce à la cessation de l’occupation, sans que ne soit posée comme condition préalable la fin de la résistance. Israël ne saurait s’attendre à ce que l’on mette comme condition préalable à la fin de l’occupation une paix parfaite et la fin de la violence.
5. Une autre observation sur le terrorisme s’impose. Dans le climat international actuel, il est facile pour un État de présenter ses mesures de répression comme une réponse au terrorisme − en comptant trouver une oreille compatissante. Israël exploite au maximum la crainte du terrorisme qu’éprouve actuellement la communauté internationale. Mais ceci ne résoudra pas le problème palestinien. Israël doit traiter les questions de l’occupation et de la violation des droits de l’homme et du droit international humanitaire qu’elle engendre, et ne pas invoquer la lutte contre le terrorisme comme prétexte pour éviter de s’attaquer à la cause fondamentale de la violence palestinienne, qui est l’occupation.
C. Violation des droits de l’homme par les Palestiniens
6. Le mandat du Rapporteur spécial porte sur les violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire qui sont la conséquence de l'occupation militaire. Bien que l’occupation militaire soit tolérée par le droit international, elle n’est pas approuvée et il doit y être mis fin rapidement. De par son mandat, le Rapporteur spécial doit donc faire rapport sur les violations des droits de l’homme commises par la puissance occupante et non par le peuple occupé. Pour cette raison, le présent rapport, comme les rapports précédents, ne traitera pas de la violation des droits individuels des Israéliens commises par des Palestiniens. Il ne traitera pas non plus du conflit entre le Fatah et le Hamas ni des violations des droits de l’homme que ce conflit a entraînées. De même, on n’y examinera pas le bilan en matière de respect des droits de l’homme de l’Autorité palestinienne en Cisjordanie ou du Hamas à Gaza. Le Rapporteur spécial n'ignore pas les violations continues des droits de l’homme commises par des Palestiniens à l’encontre d’autres Palestiniens et par des Palestiniens à l’encontre d'Israéliens. Il est profondément préoccupé par ces violations et les condamne. L’examen de ces violations ne trouve toutefois pas sa place dans le présent rapport car son mandat stipule qu’il doit se limiter aux conséquences de l’occupation militaire du territoire palestinien par Israël.
II. L’OCCUPATION DU TERRITOIRE PALESTINIEN
7. Ce qui distingue le cas de la Palestine d’autres situations dans lesquelles des violations des droits de l’homme se produisent est l’occupation − une occupation qui a commencé en 1967, il y a quarante ans, et dont rien n’indique qu’elle va prendre bientôt fin. En Israël, on se plaint souvent que les critiques portant sur les politiques et pratiques israéliennes sont trop centrées sur l’occupation. Mais l’occupation est une réalité, qui est à l’origine du conflit actuel, et la source de la violation des droits de l’homme et du droit international humanitaire. Il faut donc une fois de plus faire débuter ce rapport par des observations sur l’occupation.
8. Israël occupe militairement le territoire palestinien depuis quarante ans. Ceci a été réaffirmé par la Cour internationale de Justice dans son avis consultatif de 2004 sur les conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, lorsqu’elle a jugé que les territoires palestiniens (y compris Jérusalem-Est) demeuraient des territoires occupés et qu’Israël y avait conservé la qualité de puissance occupante. La conséquence de cet avis de la Cour est que la Convention relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre (quatrième Convention de Genève) s’applique au territoire palestinien occupé, tout comme les pactes internationaux relatifs aux droits civils et politiques et aux droits économiques, sociaux et culturels (4). En outre, l’occupation a beau durer , les obligations d’Israël ne s’en trouvent pas réduites pour autant (5). Bien au contraire, elles se sont accrues en raison de l’occupation. Certains soutiennent désormais que l’occupation israélienne est devenue illégale par suite des nombreuses violations du droit international qui se sont produites au cours de cette occupation (6).
III. L’OCCUPATION DE GAZA
9. Dans son avis consultatif sur l’édification d’un mur en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, la Cour internationale de Justice n’était pas priée de se prononcer sur le statut juridique de Gaza.
C’est pourquoi, semble-t-il, sa réaffirmation du statut de territoire sous occupation du territoire palestinien s’est limitée à la Cisjordanie et à Jérusalem-Est (7). L'évacuation par Israël de ses colonies de peuplement et le retrait en 2005 de ses forces de défense de Gaza, où elles étaient stationnées en permanence, accréditent à présent l’idée que Gaza n’est plus un territoire occupé.
10. Le 19 septembre 2007, Israël a semblé donner un nouveau statut à Gaza lorsque son cabinet de sécurité a déclaré qu’il s’agissait d’un «territoire hostile», qualification approuvée peu après par le Secrétaire d’État des États-Unis. Bien que les conséquences juridiques qu’Israël a l’intention de tirer de ce «statut» restent nébuleuses, l’objectif politique de cette déclaration a immédiatement été annoncé: réduire la fourniture de fioul et d’électricité à Gaza.
11. Le critère permettant de déterminer si un territoire est occupé en droit international est le contrôle effectif (8), et pas la présence physique permanente des forces militaires de la puissance occupante dans le territoire en question. Si l’on s’en tient à ce critère, il est clair qu’Israël demeure la puissance occupante puisque le progrès technique lui a permis d’exercer son contrôle sur la population de Gaza sans y avoir une présence militaire permanente (9). Le contrôle effectif d’Israël est démontré par les facteurs suivants:
a) Contrôle effectif des six voies d’accès terrestre à Gaza: le point de passage d’Erez est de fait fermé aux Palestiniens voulant se rendre en Israël ou en Cisjordanie. Celui de Rafah reliant l’Égypte à la Cisjordanie, et qui est régi par l’Accord réglant les déplacements et le passage, conclu le 15 novembre 2005 entre Israël et l’Autorité palestinienne (sous l’égide des États-Unis, de l’Union européenne et de l’envoyé de la communauté internationale pour le désengagement d'Israël de Gaza), a été fermé par Israël durant de longues périodes depuis juin 2006. Karni, le principal point de passage des marchandises, est strictement contrôlé par Israël et, depuis juin 2006, il est lui aussi resté la plupart du temps fermé, avec des conséquences désastreuses pour l’économie palestinienne;
b) Contrôle effectué au moyen d’incursions militaires, de tirs de roquettes et de bangs soniques: certaines parties de Gaza ont été déclarées zones interdites aux habitants, sur lesquels ordre a été donné de tirer s’ils tentent d’y pénétrer;
c) Contrôle total de l’espace aérien de Gaza et de ses eaux territoriales;
d) Contrôle des registres de l’état civil des Palestiniens: les statuts de «Palestinien» et de résident de Gaza et de la Cisjordanie sont déterminés sous le contrôle de l’armée israélienne. Même lorsqu’il est ouvert, le point de passage de Rafah ne laisse entrer à Gaza que les seuls détenteurs d’une pièce d’identité palestinienne; ainsi, contrôler les registres de l’état civil palestinien, c’est aussi décider de qui peut entrer à Gaza ou en sortir. Depuis 2000, à quelques exceptions près, Israël n’a autorisé aucune nouvelle inscription sur les registres de l’état civil palestinien.
Le fait que Gaza demeure un territoire sous occupation signifie que les mesures prises par Israël la concernant doivent être évaluées à l’aune des normes du droit international humanitaire et des droits de l’homme.
IV. LES MESURES PRISES PAR ISRAËL CONTRE GAZA ET LEURS CONSÉQUENCES
12. Israël a pris de nombreuses mesures contre Gaza depuis le retrait des colons israéliens et des forces de défense israélienne (FDI) en 2005.
A. Actions militaires
13. Les incursions militaires des FDI dans Gaza se sont poursuivies avec régularité l’année dernière; 290 Palestiniens ont été tués à Gaza en 2007. Sur ce nombre, au moins un tiers étaient des civils. Le 26 septembre, date à laquelle le Rapporteur spécial s’est rendu à Gaza, 12 militants palestiniens ont été tués par des missiles tirés par les FDI. Depuis la réunion d’Annapolis du 27 novembre 2007, plus de 70 Palestiniens ont été tués, dont 8 au cours d’une opération militaire d’envergure menée dans le sud de Gaza la veille de la première série de négociations entre Israéliens et Palestiniens suivant la réunion d'Annapolis. Treize autres Palestiniens ont été tués le 18 décembre au cours de trois frappes aériennes distinctes.
La fréquence des assassinats ciblés soulève la question de savoir si les pays agissent dans le cadre des critères admissibles pour de telles actions énoncés par la Cour suprême israélienne dans son arrêt de 2006 sur les assassinats ciblés. Dans le cas contraire, les FDI agissent-elles sans aucun égard pour leurs propres lois comme pour le droit international lorsqu’elles procèdent à des assassinats ciblés?
14. Ces deux dernières années, 668 Palestiniens ont été tués par les forces de sécurité israéliennes à Gaza. Plus de la moitié − 359 personnes − ne participaient pas à des hostilités au moment où elles ont été tuées. Il y avait parmi les tués 126 mineurs; 361 personnes ont été tuées par des missiles tirés d’hélicoptère; enfin, 29 des personnes tuées ont été ciblées délibérément. Au cours de la même période, des Palestiniens ont tiré environ 2 800 roquettes Qassam et obus de mortier depuis la bande de Gaza sur Israël. Quatre civils israéliens ont été tués et plusieurs centaines blessés par des roquettes Qassam. Quatre membres des forces de sécurité israéliennes ont été tués dans des attaques menées à partir de Gaza (10).
B. Fermeture des points de passage
15. Tous les points d’accès permettant d’entrer à Gaza et d’en sortir sont contrôlés par Israël. Rafah, le point de passage emprunté par les habitants de Gaza pour se rendre en Égypte et Karni, le poste commercial réservé à l’importation et à l’exportation de marchandises, sont les principaux points de franchissement. Ils sont régis par l’Accord réglant les déplacements et le passage, qui prévoit la libre circulation des habitants de Gaza vers l’Égypte en passant par Rafah, et une augmentation substantielle du nombre de camions transportant des marchandises exportées via le poste de Karni. À partir du 25 juin 2006, suite à l’arrestation du caporal Shalit, et surtout de la mi-juin 2007, après la prise du pouvoir à Gaza par le Hamas, le point de passage de Rafah a été fermé. Entre la mi-juin et le début d’août 2007, quelque 6 000 Palestiniens se sont retrouvés bloqués du côté égyptien de la frontière, sans logement ni services collectifs décents, et privés du droit de retourner chez eux. Plus de 30 personnes ont trouvé la mort durant cette attente. Le point de passage de Karni a lui aussi été fermé pendant de longues périodes au cours des dix-huit derniers mois, surtout depuis la mi-juin 2007. Karem Shalom et Sufa sont actuellement utilisés pour les importations de marchandises mais le nombre de camions qui livrent des marchandises à Gaza a chuté de façon alarmante − passant de 253 par jour en avril 2007 à 74 par jour en novembre. Pis encore, il est possible que l’on ferme Sufa − quoique le 20 novembre, le Gouvernement israélien a décidé d’autoriser l’exportation de fleurs et de fraises de Gaza vers l’Europe à travers ce point de contrôle. Erez, qui servait auparavant de point de passage des personnes nécessitant des soins médicaux en Israël a également été longuement fermé pour cet usage. En revanche, en décembre 2007, Israël a autorisé plusieurs centaines de Palestiniens qui résident à l'étranger à quitter Gaza via Israël.
C. Réduction des fournitures de fioul et d’électricité
16. Le 19 septembre, Israël a déclaré Gaza «territoire hostile» et a annoncé qu’en conséquence il réduirait la fourniture de fioul et d’électricité à Gaza. Dix ONG israéliennes et palestiniennes ont saisi la Haute Cour de justice israélienne d’une requête tendant à faire cesser la réduction des fournitures de fioul et d"électricité au motif que celle-ci constitue une punition collective et qu’elle causerait d’importants dommages humanitaires. La Haute Cour israélienne a cependant approuvé le plan de l’État de diminuer les livraisons de fioul à Gaza. D’après le Centre palestinien pour les droits de l’homme, les livraisons de fioul ont été réduites de plus de 50 % depuis la décision prise le 25 octobre 2007 de mettre fin aux fournitures de fioul.
D. Cessation des services bancaires
17. Comme suite à la désignation de Gaza comme «territoire hostile», les deux seules banques commerciales israéliennes traitant avec les institutions financières de Gaza, Bank Hapoalim et Discount Bank, ont annoncé qu’elles mettraient fin à toute relation avec Gaza. Ceci signifie entre autres le refus d'accepter les chèques de banques de Gaza et la cessation des virements entre banques israéliennes et banques de Gaza. Au stade actuel, on ne connaît pas encore toutes les incidences de cette décision, mais comme le shekel israélien est la devise officielle du territoire palestinien occupé, conformément aux accords d’Oslo, et que les espèces doivent être fournies par Israël, il est vraisemblable que cela pourrait provoquer le chaos dans le système monétaire de Gaza.
E. Crise humanitaire à Gaza
18. Les incursions militaires incessantes, la fermeture des points de passage, la réduction des fournitures de fioul et les menaces qui pèsent sur le système bancaire ont provoqué une crise humanitaire qui a les incidences suivantes sur la vie à Gaza.
1. Alimentation
19. Plus de 80 % de la population dépend de l’aide alimentaire fournie par l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) et le Programme alimentaire mondial (PAM). Cette aide consiste en livraisons de farine, de riz, de sucre, d’huile de tournesol, de lait en poudre et de lentilles. Ces rations de base ne peuvent plus être complétées par des fruits et légumes car les agriculteurs n’ont plus d’argent pour financer la cueillette et la commercialisation de leur récolte. Peu de gens peuvent se permettre d’acheter de la viande et il n’y a pratiquement pas de poisson par suite de l"interdiction de pêcher décrétée par Israël. Bien que les livraisons de denrées alimentaires humanitaires essentielles soient autorisées, 41 % seulement des besoins de Gaza en denrées alimentaires importées sont actuellement satisfaits.
2. Chômage et pauvreté
20. La fermeture des points de passage empêche les agriculteurs et les industriels de Gaza d’exporter leurs marchandises vers des marchés extérieurs. Elle empêche aussi l’entrée de matériaux à Gaza, ce qui a provoqué la cessation de la plupart des travaux de construction et la fermeture des usines. Le 26 septembre, le Rapporteur spécial a visité la zone industrielle de Karni et s’est rendu dans les usines qui avaient été fermées par suite de la cessation des importations de matériaux et de l’interdiction d’exporter des marchandises. Les propriétaires d’usine sont tenus responsables par les acheteurs israéliens de la non-livraison de marchandises causée par la fermeture. Les agriculteurs sont privés de revenus et environ 65 000 ouvriers sont au chômage. D’après la Fédération palestinienne de l’industrie, 95 % des opérations industrielles de Gaza ont été suspendues par suite des restrictions (11). Les pêcheurs sont également au chômage par suite de l’interdiction qui leur est faite par Israël de pêcher le long de la côte de Gaza.
Le 9 juillet 2007, l’UNRWA a annoncé qu’il avait mis un terme à tous ses projets de travaux publics à Gaza parce qu’il n’arrivait plus à trouver de matériaux de construction, par exemple de ciment. Cela a compromis 121 000 emplois occupés par des personnes travaillant à la construction de nouvelles écoles, de maisons, d’installations de distribution d’eau et de dispensaires. Dans de nombreux cas, les agents du secteur public ne perçoivent plus de traitement. Les employés municipaux de la ville de Gaza ne sont plus rémunérés depuis mars 2007. Pour cette raison, les services de ramassage des ordures se sont mis en grève en novembre, causant d’importants risques sanitaires.
21. La pauvreté à Gaza est généralisée. Plus de 80 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté officiel.
3. Soins de santé
22. Les cliniques connaissent une pénurie d’antibiotiques pédiatriques et 91 médicaments indispensables ne sont plus disponibles. Auparavant, les patients gravement malades étaient autorisés à quitter Gaza pour se faire traiter en Israël, en Cisjordanie, en Égypte, en Jordanie et dans d’autres pays en passant par les points de contrôle de Rafah et d’Erez. Rafah est hermétiquement fermé et les autorités israéliennes n’autorisent le passage par Erez que dans les cas «les plus graves et urgents». La situation a empiré depuis que Gaza a été déclarée «territoire hostile». L’Organisation mondiale de la santé fait savoir que si 89,4% des patients qui ont demandé des autorisations de passage au cours de la période allant de janvier à mai 2007 se les sont vu accorder, seuls 77,1 % des requérants en ont obtenu en octobre 2007. Il en est résulté une augmentation spectaculaire du nombre de patients qui sont décédés par suite des restrictions: d’après l’ONG israélienne Physicians for Human Rights, depuis juin 2007, 44 personnes sont mortes après s’être vu refuser ou retarder l’accès aux soins médicaux par les autorités israéliennes et 13 sont mortes au cours du seul mois de novembre. Mahmoud Abu Taha, un patient de 21 ans souffrant d'un cancer de l’estomac, est arrivé à Erez le 18 octobre à 16 heures dans une ambulance de soins intensifs palestinienne, accompagné de son père. L’entrée du patient a été retardée pendant deux heures et demie, après quoi les FDI ont demandé au père de traverser à pied pour se rendre du côté israélien d’Erez. Son fils, le patient, devait lui aussi entrer à pied avec un déambulateur et pas dans l’ambulance. Après être parvenu au bout d’un tunnel de 500 mètres de long, le patient s’est vu refuser l’accès; quant à son père, il a été arrêté par les FDI et détenu pendant neuf jours. Le 28 octobre, un deuxième arrangement concernant ce patient a été approuvé et il a été admis dans un hôpital israélien où il est mort la nuit même de son arrivée.
En novembre, les hôpitaux ont été empêchés d’effectuer des opérations par suite des restrictions mises par Israël sur le protoxyde d’azote qui est utilisé comme anesthésique.
4. Éducation
23. Selon l’UNRWA, les enfants de Gaza qui fréquentent les écoles de l’UNRWA ont de moins bons résultats que les enfants réfugiés qui vivent ailleurs, par suite du blocus et de la violence militaire d’Israël. Les étudiants ne peuvent pas aller étudier à l’étranger. En novembre , 670 étudiants se sont vu refuser l'autorisation d’aller étudier à l’étranger, y compris six titulaires de bourses Fulbright.
5. Fioul, énergie et eau
24. Gaza dépend fortement d’Israël pour les livraisons de fioul et la fourniture d’électricité. Il y a déjà de fréquentes coupures de courant dues à la destruction par Israël de la principale centrale thermique de Gaza en 2006 et aux dégâts que cela a causé aux transformateurs. (Ainsi, par exemple, le 14 novembre , les FDI ont endommagé un transformateur de Beit Hanoun, ce qui a privé de courant 5 000 habitants du secteur.) La distribution d’eau est également touchée car l es pompes n’ont pas suffisamment de courant. Il en résulte que 210 000 personnes n’ont accès à l’eau potable que pendant une à deux heures par jour. L 'assainissement est également un problème: les stations d’épuration ont besoin d’être réparées mais certains équipements tels que les tuyaux en métal et les postes de soudure ont été interdits par Israël au motif qu’ils peuvent être utilisés pour fabriquer des roquettes. Il existe à l’heure actuelle un réel risque que les stations d’épuration débordent. Couper la fourniture de fioul et d’électricité aggravera une situation déjà dangereuse. Cela compromettra le fonctionnement des hôpitaux, des services de distribution d’eau et d’assainissement et privera les habitants de l’électricité qui leur est nécessaire pour faire marcher leurs réfrigérateurs et appareils ménagers. On peut s’attendre à une catastrophe humanitaire si Israël continue de réduire les livraisons de fioul et met à exécution sa menace de réduire la fourniture d’électricité.
F. Conséquences juridiques des actions d’Israël
25. Israël a généralement justifié ses attaques et incursions en les présentant comme des opérations de défense visant à prévenir le lancement de roquettes Qassam sur Israël, à arrêter ou à éliminer des militants présumés ou encore à détruire des passages souterrains. Certes, les tirs de roquettes effectués par des milices palestiniennes sur Israël qui ont tué et blessé des Israéliens en l’absence de toute cible militaire sont intolérables et constituent un crime de guerre. Il n’en demeure pas moins que des questions préoccupantes se posent au sujet de la proportionnalité de la riposte militaire israélienne qui n’a pas fait de distinction entre les cibles militaires et les biens de caractère civil. On peut fort bien soutenir qu’Israël a transgressé les règles les plus fondamentales du droit international humanitaire, commettant des crimes de guerre au sens de l’article 147 de la quatrième Convention de Genève et de l'article 85 du Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949, relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux (Protocole additionnel I).
Au nombre de ces crimes figurent des attaques lancées directement contre des civils et des biens de caractère civil et des attaques lancées sans distinction entre les objectifs militaires et les civils ou les biens de caractère civil (art. 48, 51, par. 4 et 52, par. 1 du Protocole I); le recours excessif à la force par des attaques disproportionnées contre des civils et des biens de caractère civil (art. 51, par. 4 et 51, par. 5 du Protocole I); et le fait de semer la terreur parmi la population civile (art. 33 de la quatrième Convention de Genève et art. 51, par. 2, du Protocole I).
26. Par son siège de Gaza, Israël viole toute une série d’obligations qui lui incombent, en vertu tant du droit international des droits de l’homme que du droit international humanitaire. Les dispositions du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels qui disposent que chaque personne a droit «à un niveau de vie suffisant pour elle-même et sa famille, y compris une nourriture, des vêtements et un logement suffisants», le droit d’être à l’abri de la faim et le droit à l’alimentation (art. 11) et que chaque personne a droit à la santé, ont été gravement violées. Par-dessus tout, Israël a enfreint l'interdiction d’infliger des châtiments collectifs à une population occupée, énoncée à l’article 33 de la quatrième Convention de Genève. Le recours systématique et excessif à la force contre des civils et des biens de caractère civil, la destruction d’installations de desserte en eau et en électricité, le dynamitage des édifices publics, les restrictions à la liberté de circulation, la fermeture des points de passage et les conséquences de ces mesures sur la santé publique, l’alimentation, la vie des familles et l’état psychologique du peuple palestinien constituent une punition collective flagrante.
27. Gaza n’est pas un État auquel d’autres États peuvent librement imposer des sanctions économiques en vue de créer une crise humanitaire, ou d(entreprendre une intervention militaire disproportionnée mettant en péril la population civile au nom de la légitime défense. C’est un territoire sous occupation dont tous les États devraient se préoccuper du bien-être et promouvoir le progrès social. Selon l’avis consultatif de la Cour internationale de Justice, c’est une obligation pour tout État partie à la quatrième Convention de Genève que «de s’assurer du respect par Israël du droit international humanitaire tel que défini dans cette Convention». Israël a enfreint des obligations erga omnes dont la violation préoccupe tous les États, qui doivent en conséquence y mettre fin. En premier lieu, puissance occupante, Israël est tenu de cesser de violer le droit international humanitaire. Mais d’autres États ayant pris part au siège de Gaza ont également porté atteinte à ce droit et doivent mettre un terme à leurs mesures illicites.
V. LES DROITS DE L’HOMME EN CISJORDANIE ET À JÉRUSALEM
28. Nombreux sont ceux qui s’attendaient à ce que la situation des droits de l’homme s’améliore en Cisjordanie après l’éviction du Hamas de l'administration de la Cisjordanie. Au début, cela a été le signal d’un nouveau rapprochement entre Israël et le Gouvernement d’urgence du Président Abbas, conduit par le Premier Ministre Salam Fayyad. Israël a fait quelques gestes de rapprochement, par exemple en libérant 779 prisonniers (appartenant principalement au Fatah), en restituant certaines des recettes fiscales dues à l’Autorité palestinienne, en relâchant les restrictions aux voyages dans la vallée du Jourdain, en accordant une amnistie à 178 militants du Fatah recherchés par Israël et en octroyant à 3 500 Palestiniens comme il l’avait promis des permis de séjour en Cisjordanie . Malheureusement, Israël n’a pas pris de mesure pour démanteler les infrastructures de l’occupation. Au contraire, il a maintenu et étendu les instruments qui violent le plus gravement les droits de l’homme − les incursions militaires, les colonies, le mur de séparation, les restrictions à la liberté de circulation, la judaïsation de Jérusalem et la démolition des habitations.
A. Incursions militaires
29. Les incursions militaires en Cisjordanie se sont intensifiées depuis juin 2007. Ainsi, en novembre, les FDI ont exécuté 786 raids en Cisjordanie, au cours desquels 1 personne a été tuée, 67 ont été blessées et 398 arrêtées (12); des propriétés publiques et privées ont été endommagées, des couvre-feux ont été imposés, et d’innombrables civils innocents ont été terrorisés par des soldats armés et des chiens. Naplouse a été particulièrement touchée: le 17 octobre, l’armée israélienne a effectué un raid sur cette ville et tiré des obus de char, tuant 1 civil âgé et 1 individu armé, et blessant 14 civils, dont 2 enfants et 1 journaliste. Souvent, les FDI n'ont pas fait de distinction claire entre objectifs militaires et civils. Comme dans le cas de Gaza (voir par. 25), ces actions semblent violer les règles du droit international humanitaire (art. 48, 51, par. 4 et 52, par. 1 du Protocole additionnel I).
B. Colonies et colons (13)
30. Il y a 149 colonies en Cisjordanie et à Jérusalem-Est. Malgré la promesse faite par Israël de «geler» la croissance des colonies, le nombre de celles-ci a augmenté de 63 % depuis 1993 et l’on compte actuellement 460 000 colons. De nouvelles constructions sont actuellement en cours dans 88 colonies et le taux de croissance moyen de celles-ci est de 4,5 %, contre 1,5 % pour Israël même. Il existe en outre 105 «avant-postes» − c’est-à-dire des structures informelles qui servent de prélude à une nouvelle colonie et ne sont pas «autorisées», mais que les ministères continuent de financer. Bien qu’Israël ait pris dans la feuille de route l’engagement de démanteler tous les avant-postes construits après 2001, aucun des 51 avant-postes existants n’a fait l’objet d’une telle mesure. Plus de 38 % de la Cisjordanie est composée de colonies, avant-postes, zones militaires et réserves naturelles israéliennes interdits aux Palestiniens.
Des routes réservées aux colons relient les colonies entre elles et à Israël. Ces routes sont pour la plupart fermées aux véhicules palestiniens. (Israël a donc introduit un système «d’apartheid des routes» qui était inconnu dans l’Afrique du Sud de l’apartheid.)
31. Dans une déclaration faite devant la Troisième Commission en octobre 2007, le représentant israélien, M. Ady Schonmann, a déclaré que le Rapporteur spécial n’avait pas indiqué que l’ONG israélienne La paix maintenant avait retiré un rapport d’octobre 2006 (14) qui montrait que près de 40 % des terres détenues par les colonies israéliennes en Cisjordanie étaient la propriété privée de Palestiniens. Le Rapporteur spécial a pris contact avec cette ONG, qui lui a indiqué que, si elle avait bien fait quelques corrections à son rapport en réponse aux critiques du Gouvernement israélien, elle n’avait pas retiré sa conclusion selon laquelle 40 % des terres occupées par les colonies en Cisjordanie sont la propriété privée de Palestiniens.
32. Les colonies sont illégales en vertu du droit international car elles violent le paragraphe 6 de l’article 49 de la quatrième Convention de Genève. Cette illégalité a été confirmée par la Cour internationale de Justice dans son avis consultatif sur l’édification du mur, par les Hautes Parties contractantes à la quatrième Convention de Genève dans une déclaration publiée en 2001 et aussi bien par le Conseil de sécurité que par l’Assemblée générale. De surcroît, les colonies constituent une forme de colonialisme qui est contraire au droit international (15).
33. Le mépris qu’affiche Israël pour le droit international et l’opinion de la communauté internationale est illustré par des récentes décisions de son Gouvernement. Premièrement, en décembre, peu après la réunion d’Annapolis, le Gouvernement israélien a annoncé des projets consistant à construire 307 nouveaux appartements dans la colonie de Har Homa. Deuxièmement, en octobre, il a annoncé qu’il mettrait à exécution les plans de développement d’une nouvelle colonie en projet qui comprendra 3 500 appartements, 10 hôtels et 1 parc industriel destinés à accueillir 14 500 colons, à proximité immédiate de Ma’-ale Adumim. À l’heure actuelle, Israël a construit un commissariat de police dans cette colonie appelée E1 (dans lequel s’est rendu le Rapporteur spécial le 25 septembre) mais il est empêché de mettre à exécution son projet de commencer la construction de la colonie E1 par la présence de la principale route reliant Jérusalem-Est à Jéricho, qui est utilisée par les Palestiniens. Israël a à présent confisqué des terres palestiniennes à Abu Dis, Sawareh, Nabi Moussa et al-Khan al-Ahmar dans le but de construire une nouvelle route réservée aux Palestiniens se rendant à Jéricho, qui libérera la superficie nécessaire pour E1. Cette route fait partie d’un plan plus général d’Israël visant à remplacer la contigüité territoriale par une «contigüité des transports» en reliant artificiellement les centres de population palestiniens à l’aide d’un réseau élaboré de routes de remplacement et de tunnels et en créant deux réseaux routiers séparés, l’un pour les Palestiniens et l’autre pour les colons israéliens, en Cisjordanie.
C. Postes de contrôle, barrages routiers et permis, obstacles à la liberté de circulation
34. Les postes de contrôle et les barrages routiers entravent fortement la liberté de circulation des Palestiniens en Cisjordanie, ce qui a des conséquences désastreuses sur leur vie personnelle et sur l’économie. On dénombre 561 de ces obstacles à la liberté de circulation, plus de 80 postes de contrôle gardés et environ 476 barrages non gardés, constitués de portes verrouillées, de monticules de terre, de blocs de béton et de tranchées. En outre, des milliers de postes de contrôle temporaires, connus sous le nom de «points de contrôle volants», sont installés chaque année par les patrouilles armées israéliennes sur les routes qui sillonnent la Cisjordanie pour des périodes limitées, allant d’une demi-heure à plusieurs heures. En novembre 2007, il y avait 429 points de contrôle volants.
35. Les Palestiniens sont soumis à de nombreuses interdictions de circulation ainsi qu’à des autorisations de circulation à l’intérieur de la Cisjordanie et vers Jérusalem-Est. Les points de contrôle permettent de vérifier que ce régime d’autorisation est respecté. Ces restrictions violent l’article 12 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques que, dans son avis consultatif sur l’édification du mur, la Cour internationale de Justice a jugé contraignant pour Israël dans le territoire palestinien occupé. L’argument d’Israël selon lequel ces restrictions se justifient pour des raisons de sécurité est difficile à admettre. Nombre de ces points de contrôle et barrages routiers sont situés loin de la frontière d’Israël qui, en tout état de cause, est protégée par le mur. Elle s’explique plus vraisemblablement par la nécessité d’accommoder les besoins des colons, de faciliter la circulation des colons à travers la Cisjordanie et d’imposer au peuple palestinien la puissance et la présence de l’occupant. Selon certaines informations, à Yedioth Ahronoth, un quart de tous les soldats des FDI qui ont gardé des barrages routiers en Cisjordanie aurait été témoin de brutalités à l’encontre de civils palestiniens ou y aurait pris part. Les points de contrôle servent à humilier les Palestiniens et à créer des sentiments de profonde hostilité à l’endroit d’Israël. À cet égard, ils présentent des similitudes avec les «lois sur les laissez-passer» de l’Afrique du Sud de l'apartheid, qui imposaient aux Sud-Africains noirs de produire une autorisation de circuler ou de résider où que ce soit en Afrique du Sud16. Ces lois ont provoqué une humiliation et une colère généralisées, et suscité des manifestations incessantes. Israël ferait bien d’examiner l’expérience sud-africaine. Les restrictions à la liberté de circulation du type appliqué par Israël f ont davantage pour créer l’insécurité que pour instaurer la sécurité.
D. Le mur
36. Le mur qu’Israël est en train de construire, en grande partie sur le territoire palestinien, est manifestement illégal. Dans son avis consultatif sur l'édification du mur, la Cour internationale de Justice a affirmé que cette mesure était contraire au droit international et qu’Israël était dans l’obligation d’en cesser l’édification et de démanteler les portions de l’ouvrage déjà en place. Israël ne prétend plus que le mur sert des objectifs de sécurité, et admet à présent que celui-ci a été en partie construit pour englober des colonies de Cisjordanie. Le fait que 83 % des colons de Cisjordanie et 69 colonies sont protégés par le mur suffit à le prouver.
37. La longueur prévue du mur est de 721 kilomètres. À l’heure actuelle, 59 % en ont déjà été terminés, et 200 kilomètres ont été construits depuis que la Cour internationale de Justice a rendu l’avis consultatif qui le déclare illégal. On estime qu’à la fin des travaux, quelque 60 000 Palestiniens de Cisjordanie répartis dans 42 villages et agglomérations vivront dans la zone d’accès réglementé située entre le mur et la Ligne verte. Cette zone constituera 10,2 % des terres palestiniennes en Cisjordanie. Selon certaines hypothèses, cependant, le tracé du mur sera révisé pour englober de nouvelles terres palestiniennes du sud-est de la Cisjordanie, près de la mer Morte. Si ce plan est mis en œuvre, environ 13 % des terres palestiniennes seront englobées par le mur. Les zones d’accès réglementé comprennent une grande partie des précieuses ressources en eau de la Cisjordanie et ses terres agricoles les plus riches.
38. Sur le plan humanitaire, le mur a de lourdes conséquences pour les Palestiniens qui vivent dans la zone d’accès réglementé. Il les sépare de leur lieu de travail, des écoles, des universités et des centres médicaux spécialisés, et fragmente considérablement leur vie communautaire. En outre, ces Palestiniens n’ont pas accès jour et nuit aux services médicaux d’urgence. Plus d’une centaine de personnes résidant dans cette zone n’ont pas reçu l'autorisation de la quitter. Les Palestiniens qui vivent à l’est du mur alors que leur champ se trouve dans la zone d’accès réglementé ont de graves problèmes économiques parce qu’ils ne peuvent pas y accéder pour faire les récoltes ou pour faire paître leur animaux sans autorisation. Or les permis ne sont pas accordés facilement. Ceux qui veulent en obtenir un se heurtent à des démarches administratives vexatoires et compliquées. Le Bureau de la coordination des affaires humanitaires a estimé qu’environ 18 % seulement des personnes qui avaient l’habitude de cultiver la terre dans la zone d’accès réglementé avant la construction du mur reçoivent l’autorisation de s’y rendre aujourd’hui. L’ouverture et la fermeture des portes permettant d’accéder à la zone sont réglementées de manière extrêmement restrictive. Une enquête réalisée par le Bureau en 2007 dans 67 communautés situées près du mur a montré que les Palestiniens ne pouvaient utiliser pendant toute l’année que 19 des 67 portes. Plus grave encore, les Palestiniens franchissant les limites de la zone d’accès réglementé sont fréquemment soumis à des violences et à des humiliations par les FDI aux portes. Les difficultés que rencontrent les Palestiniens qui vivent dans la zone d’accès réglementé et dans l’enceinte du mur ont déjà poussé environ 15 000 d’entre eux à quitter la région.
39. La pénible situation du village de Jayyus, dans lequel s’est rendu le Rapporteur spécial le 30 septembre 2007, montre les difficultés auxquelles se heurtent les communautés qui vivent près du mur, mais en Cisjordanie. Les 3 200 résidents de Jayyus sont séparés de leurs terres agricoles par le mur; 68 % des terres agricoles du village et ses six puits agricoles sont situés dans la zone d’accès réglementé entre le mur et la Ligne verte, et l’ on ne peut y accéder sans en avoir l'autorisation. Des dizaines de serres sont situés dans la zone d’accès réglementé, dans lesquelles on produit des tomates, des concombres et des poivrons qui doivent être irrigués quotidiennement. Seulement 40 % environ des résidents de Jayyus ont l’autorisation de se rendre dans les fermes, et les périodes d’ ouverture des portes sont à la fois limitées et arbitraires. En août 2004, un an après la construction du mur, la production locale a chuté, passant de 7 à 4 millions de kilogrammes de fruits et légumes. La situation s’est encore détériorée ces trois dernières années.
40. La section du mur située dans le gouvernorat de Jérusalem est longue de 168 kilomètres. Seuls 5 kilomètres du mur achevé longent la Ligne verte. Le tracé du mur s’enfonce profondément en Cisjordanie et englobe les colonies de Ma’-ale Adumim. En revanche, de nombreux villages palestiniens qui sont actuellement situés dans la municipalité de Jérusalem se trouvent à l’extérieur du mur et sont donc séparés de Jérusalem. Dans certains endroits, comme Abu Dis, le mur traverse des collectivités palestiniennes, séparant des voisins et des familles. Environ 25 % des 253 000 Palestiniens qui vivent à Jérusalem-Est ont été coupés de la ville par le mur. Ceci signifie qu’ils ne peuvent entrer à Jérusalem que par les points de contrôle, ce qui rend difficile l’accès aux hôpitaux, aux écoles, aux universités, aux lieux de travail et aux lieux saints − en particulier la mosquée Al-Aqsa et l’église du Saint-Sépulcre.
E. Démolition d’habitations
41. Les démolitions de maisons sont un trait caractéristique de l’occupation israélienne du territoire palestinien. Différentes raisons et différents motifs sont invoqués pour justifier ces démolitions: nécessité militaire, sanction ou défaut de permis de construire. Même si les FDI affirment avoir mis fin aux démolitions punitives, de telles pratiques ont encore cours. Le 29 août 2007, les FDI ont démoli sept logements, qui abritaient 48 personnes (dont 17 enfants), dans le quartier Naqar de Qalqiliya, sous le motif que des membres de la branche armée du Hamas y habitaient17. Il est fréquent que des habitations soient démolies pour des raisons «administratives», sous le motif qu’aucun permis de construire n’a été obtenu, une mesure considérée par Israël comme normale en matière d’urbanisme. Toutefois, la loi et les faits montrent que ces démolitions n’interviennent pas dans le cours d’opérations d'urbanisme «normales», mais qu’elles constituent, au contraire, une pratique discriminatoire destinée à faire sentir le pouvoir de l’occupant sur l’occupé.
42. Que ce soit à Jérusalem-Est ou dans la partie de la Cisjordanie appelée «secteur C» (à savoir 60 % de la Cisjordanie, constitués de villages et de localités rurales), il est impossible de construire une maison ou un bâtiment sans permis. Les démarches administratives nécessaires à l’obtention d’un permis de construire sont laborieuses et, dans la réalité, les permis sont rarement accordés. De ce fait, les Palestiniens sont souvent contraints de construire leurs maisons sans permis. À Jérusalem-Est, les démolitions sont réalisées de façon discriminatoire18: Les maisons appartenant aux Arabes sont détruites, mais pas celles des Juifs. Dans le secteur C, les FDI ont démoli ou destiné à la démolition des maisons, des écoles, des dispensaires et des mosquées pour défaut de permis de construire. De mai 2005 à mai 2007, 354 édifices palestiniens ont été démolis par les FDI en secteur C. De nombreuses communautés bédouines ont été visées par ces démolitions. En septembre 2007, le Rapporteur spécial s’est rendu à Hadidiya, dans la vallée du Jourdain, où les habitations d’une communauté bédouine regroupant quelque 200 familles, soit 6 000 personnes, situées à proximité de la colonie de peuplement juive de Roi, avaient été démolies par les FDI. Cette pratique n’est pas sans rappeler celle de l’Afrique du Sud de l’apartheid, qui consistait à détruire les villages noirs (qualifiés de «tâches noires») situés trop près des résidents blancs. L'article 53 de la quatrième Convention de Genève interdit la destruction de biens appartenant à des personnes privées, «sauf dans les cas où ces destructions seraient rendues absolument nécessaires par les opérations militaires». Selon B’Tselem, le Centre israélien d’information sur les droits de l’homme dans les territoires occupés, la destruction de maisons dans le quartier Naqar de Qalqiliya ne répondait pas à ce critère. De même, la destruction de logements pour raisons administratives n’est pas justifiable. Jérusalem-Est et le secteur C sont des territoires occupés, et sont donc concernés par l’interdiction énoncée à l’article 53.
F. Situation humanitaire
43. La construction du mur, l’ expansion des colonies, les entraves à la liberté de circulation, les démolitions de maisons et les incursions militaires ont des conséquences désastreuses sur l’ économie, la santé, l’éducation, la vie des familles et le niveau de vie des Palestiniens de Cisjordanie. Depuis 2006, la situation ne cesse d’empirer. Israël bloque les taxes qu’il prélève au nom de l’Autorité palestinienne sur chaque bien importé dans le territoire palestinien occupé, soit un montant mensuel compris entre 50 et 60 millions de dollars É.-U. (ce qui représente environ la moitié du budget de l’Autorité palestinienne). Récemment, Israël a transféré à l’Autorité palestinienne 119 millions de dollars des recettes fiscales qu’il avait illégalement saisies, et les pays occidentaux et le Quatuor ont promis qu’ils reprendraient le financement de l’Autorité palestinienne (pour autant qu’elle ne favorise pas les intérêts du Hamas à Gaza). Au moment où le présent rapport est écrit, aucune amélioration de la situation humanitaire n’est perceptible en Cisjordanie, ce qui s’explique par la poursuite de l’occupation, les violations des droits de l'homme décrites dans le présent chapitre et le refus israélien de transférer à l’Autorité palestinienne la totalité des recettes fiscales qui lui reviennent de droit. L a pauvreté et le chômage n’ont jamais été aussi omniprésents; la santé et l'éducation subissent les effets néfastes des incursions militaires, du mur et des points de contrôle; et le tissu social de la société est menacé.
G. Conclusion
44. La situation en Cisjordanie n’est sans doute pas aussi grave qu’à Gaza, mais tout est relatif. De plus, comme à Gaza, la gravité de la situation humanitaire s'explique en grande partie par les violations du droit international commises par Israël. La Cour internationale de Justice a estimé que le mur était contraire aux règles du droit international humanitaire et du droit des droits de l’homme; les colonies de peuplement sont contraires à la quatrième Convention de Genève; les points de contrôle sont contraires à la liberté de circulation telle qu’elle est proclamée dans les conventions relatives aux droits de l’homme; les démolitions de maisons sont contraires à la quatrième Convention de Genève; enfin, la crise humanitaire de Cisjordanie, provoquée par le gel des avoirs palestiniens par Israël et par d’autres violations du droit international, porte atteinte à beaucoup des droits inscrits dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Comme à Gaza, les actes d’Israël constituent une forme illicite de châtiment collectif du peuple palestinien.
VI. TRAITEMENT DES PERSONNES ARRÊTÉES ET DES DÉTENUS CONDAMNÉS
45. On estime que, depuis 1967, plus de 700 000 Palestiniens ont été emprisonnés. Actuellement, quelque 11 000 Palestiniens sont détenus dans les prisons israéliennes, parmi lesquels 376 enfants, 118 femmes, 44 membres du Conseil national palestinien et quelque 800 personnes frappées d’«internement administratif» (c’est-à-dire des personnes ne faisant l’objet d’aucune condamnation pénale et placées en détention pour des périodes renouvelables allant jusqu’à six mois). Israël considère ces détenus comme des terroristes ou comme des prisonniers de droit commun. Aux yeux des Palestiniens, ce sont des prisonniers politiques qui ont commis des crimes envers l’occupant. L’histoire fourmille d’exemples de dualités de perspectives de ce type. On peut notamment citer les cas de l’Afrique du Sud et de la Namibie. Dans toute négociation de paix, la question des détenus est une question clef. Israël en a bien conscience, puisqu’il a libéré 779 d’entre eux (même si en novembre, 411 personnes ont été arrêtées). Cependant, la libération d’un nombre aussi limité de personnes n’est pas véritablement le signe d’un effort mené de bonne foi par Israël pour parvenir à un règlement pacifique. Pis encore, les détenus sont soumis à des traitements humiliants et dégradants.
A. Personnes arrêtées et détenues
46. Après avoir été arrêtées, les personnes sont souvent passées à tabac et déshabillées dans des conditions humiliantes. Les interrogatoires sont souvent menés de façon dégradante et inhumaine, et la torture est parfois employée. En 2007, deux rapports publiés par des ONG israéliennes – Hamoked (Centre pour la défense de l’individu) et B’Tselem (19) et le Comité public contre la torture en Israël (20) – ont montré que les personnes arrêtées étaient passées à tabac, humiliées et privées de la possibilité de satisfaire leurs besoins essentiels, et que les personnes soupçonnées de détenir des informations susceptibles d'empêcher des attentats (les «bombes à retardement») étaient privées de sommeil pendant plus de vingt-quatre heures, frappées et physiquement maltraitées. La façon dont les enfants sont traités soulève également des préoccupations. Selon la section Palestine de Defence for Children International, les enfants sont généralement détenus entre huit et vingt et un jours avant d’être jugés; la présence d’un parent ou d’un avocat pendant les interrogatoires leur est refusée; ils sont insultés, menacés, frappés et gardés au secret pendant les interrogatoires (21).
B. Détenus condamnés et personnes frappées d’internement administratif
47. Les conditions de détention sont dures. De nombreuses personnes sont détenues sous tente, où il fait particulièrement chaud en été et froid en hiver. L' alimentation est pauvre, et les cas d’anémie sont nombreux parmi les détenus, qui doivent vivre dans des conditions de grande promiscuité. La plupart des détenus palestiniens sont incarcérés en Israël, une situation qui est contraire à l’article 76 de la quatrième Convention de Genève, aux termes duquel les personnes d'un territoire occupé doivent être détenues dans le pays en question et, si elles sont condamnées , y purger leur peine. Les visites des familles sont difficiles, voire, souvent, impossibles: les visites des familles de Gaza souhaitant rencontrer leurs proches incarcérés dans les prisons israéliennes sont suspendues depuis le 6 juin 2007, une mesure qui concerne quelque 900 détenus. Le 22 octobre, une mutinerie a éclaté dans la prison de Ketziot, dans le Néguev (en Israël), qui compte environ 2 300 détenus, faisant un mort et quelque 250 blessés parmi les détenus.
48. Le rôle des médecins dans les centres de détention et les prisons mérite une attention particulière. En effet, bien qu’étant les témoins des conséquences des traitements inhumains infligés aux détenus – blessures, mains tuméfiées, traces de violence – ils gardent le silence et agissent comme s’ils ignoraient que la torture était pratiquée. Cette situation soulève des questions éthiques qui se sont déjà posées dans des circonstances similaires en Afrique du Sud et qui, après des années de silence, ont été examinées par l’Association médicale sud-africaine et les instances médicales internationales. Il faut se demander pourquoi la responsabilité des médecins israéliens qui examinent les détenus et les prisonniers n’a pas été invoquée par les instances médicales israéliennes et internationales.
VII. AUTODÉTERMINATION
49. Le droit du peuple palestinien à l’autodétermination a été reconnu par le Conseil de sécurité, l’Assemblée générale, la Cour internationale de Justice et Israël lui-même. L’unité territoriale sur laquelle le droit à l’autodétermination doit s’exercer englobe, de toute évidence, la Cisjordanie, Jérusalem-Est et Gaza. Depuis près de soixante ans, Israël prive le peuple palestinien de l’exercice de son droit à l’autodétermination. Ce droit est aujourd’hui menacé par la séparation politique entre la Cisjordanie et Gaza engendrée par la prise du pouvoir par le Hamas à Gaza, en juin 2007, suivie de la prise du pouvoir par le Fatah en Cisjordanie. Le Gouvernement palestinien d’unité nationale, qui avait été composé avec soin, a été détruit par le conflit fratricide qui a fait plusieurs centaines de morts palestiniens, principalement dans les rangs du Fatah. Au moment où le présent rapport est écrit, il n’existe aucune perspective immédiate de réconciliation entre le Hamas et le Fatah. Cette situation préoccupe le Rapporteur spécial au plus haut point, le droit à l’autodétermination étant un des droits de l’homme les plus importants. Elle doit aussi préoccuper le Quatuor et toutes les institutions internationales attachées à la réalisation du droit du peuple palestinien à l'autodétermination. Cette préoccupation ne doit pas se traduire par un appui politique, économique ou militaire à l’une des deux factions au détriment de l’autre, mais plutôt par une recherche de la réconciliation entre les deux camps, de sorte que le droit des Palestiniens à l’autodétermination puisse s’exercer sur la base des frontières de 1967, c’est-à-dire sur un territoire englobant la Cisjordanie, Jérusalem-Est et Gaza . Malheureusement, le Quatuor (qui comprend l’ONU) ne fait pour le moment que bien peu d’efforts pour promouvoir l’unité nationale palestinienne. Au contraire, il poursuit une politique de division consistant à privilégier une faction plutôt que l’autre, à parler à l’une et non à l’autre, et à traiter avec l’une tout en isolant l’autre.
VIII. LE DROIT INTERNATIONAL, LA COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE, LE QUATUOR ET L’ONU
50. Le 8 décembre 2003, l’Assemblée générale a demandé à la Cour internationale de Justice un avis consultatif sur les conséquences juridiques de l’édification du mur par Israël dans le territoire palestinien occupé (22). Cinquante États et organisations internationales ont soumis à la Cour des exposés écrits, et 15 États et organisations internationales lui ont présenté des exposés oraux. Par 14 voix contre une, la Cour a rendu un avis consultatif (23) dans lequel elle a répondu à beaucoup des questions juridiques soulevées depuis quarante ans. Les principales conclusions de la Cour étaient les suivantes:
a) Le peuple palestinien a le droit à l’autodétermination (24), et l’exercice de ce droit est entravé par la construction du mur (25);
b) Israël est juridiquement tenu de respecter la quatrième Convention de Genève dans le territoire palestinien occupé (26) – une conclusion unanime (27);
c) Les colonies sont illégales, car elles violent l’article 49, paragraphe 6, de la quatrième Convention de Genève (28) – conclusion unanime (29);
d) Israël est lié par les conventions internationales relatives aux droits de l’homme dans le territoire palestinien occupé (30) – conclusion unanime (31), en conséquence de quoi son comportement doit être mesuré au regard des conventions internationales relatives aux droits de l’homme et de la quatrième Convention de Genève;
e) Le régime en vigueur dans la zone enfermée entre le mur et la Ligne verte est contraire au droit à la liberté de circulation tel qu’il est inscrit à l’article 12 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (32), ainsi qu’au droit au travail, au droit à la santé, au droit à l’éducation et au droit à un niveau de vie suffisant inscrits dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (33);
f) La destruction de biens aux fins de la construction du mur est contraire à l’article 53 de la quatrième Convention de Genève et ne peut être justifiée par la nécessité militaire ou la sécurité nationale (34);
g) La construction du mur ne peut être justifiée par l’exercice du droit de légitime défense (35);
h) L’ annexion de Jérusalem-Est est illégale (36);
i) La construction du mur par Israël dans le territoire palestinien occupé, y compris à l’intérieur et sur le pourtour de Jérusalem-Est, et le régime qui lui est associé, sont contraires au droit international; Israël est dans l’obligation de cesser la construction du mur, de le démanteler et de pourvoir aux réparations nécessaires (37);
j) Tous les États sont dans l’obligation de ne pas reconnaître la situation illégale créée par le mur et de faire en sorte qu’Israël respecte la quatrième Convention de Genève (38);
k) L’ Organisation des Nations Unies et, en particulier, l’ Assemblée générale et le Conseil de sécurité doivent, « en tenant dûment compte de l’avis consultatif», examiner quelles nouvelles mesures doivent être prises afin de mettre un terme à la situation illicite découlant de la construction du mur et du régime qui lui est associé (39):
51. Le 20 juillet 2004, l’Assemblée générale a adopté la résolution ES-10/15, dans laquelle elle a appelé Israël à se conformer à l’avis consultatif de la Cour internationale de Justice. Cette résolution a été adoptée par 150 voix contre 6 (Australie, Micronésie, Israël, Îles Marshall, Palaos et États-Unis), avec 10 abstentions. La Fédération de Russie et les États membres de l’Union européenne ont voté pour la résolution.
52. Depuis 2004, le Conseil de sécurité ne tient aucun compte de l’avis consultatif. Tandis que l’Assemblée générale (40) et le Conseil des droits de l’homme (41) ont adopté plusieurs résolutions réaffirmant l’avis consultatif, le Conseil de sécurité n’a jamais tenté de contraindre Israël à le respecter ou de rappeler aux États leur obligation de faire respecter par Israël la quatrième Convention de Genève. La raison à cela n’est pas difficile à trouver. Le Conseil de sécurité est empêché de donner son aval à l’avis consultatif par les États-Unis, qui ne l’ont pas accepté.
De même, les États-Unis empêchent le Quatuor de prendre des mesures visant à appliquer cet avis consultatif. Le Quatuor ne s’est référé à l’avis consultatif dans aucune de ses déclarations (42).
53. Bien que l’avis consultatif de la Cour internationale de Justice constitue une affirmation du droit applicable qui fait autorité, et bien qu’il ait été rendu dans le but de contribuer à l’instauration de la paix au Moyen-Orient, il n’est pas juridiquement contraignant pour les États. Sur le plan du droit, les États-Unis sont pleinement habilités à refuser d’accepter l’avis consultatif dans le cadre du Quatuor. Il en va de même en ce qui concerne la Fédération de Russie et l’Union européenne, même si toutes deux se sont engagées en approuvant l’avis consultatif par leur vote en faveur de la résolution ES-10/15 de l"Assemblée générale et des résolutions qui ont suivi. La position de l’ONU est, elle, bien différente. En effet, la Cour internationale de Justice est l’organe judiciaire de l’ONU. Qui plus est, l’Assemblée générale a, à une écrasante majorité, approuvé à maintes reprises l’avis consultatif. Cela signifie que celui-ci fait désormais partie intégrante du droit des Nations Unies. À ce titre, le représentant de l’ONU au sein du Quatuor – le Secrétaire général ou son représentant – est, en vertu du droit, dans l’obligation de se laisser guider par l’avis consultatif et de s’efforcer, de bonne foi, de le faire respecter . Si le Secrétaire général (ou son représentant) est politiquement incapable d’agir de la sorte, deux solutions s’offrent à lui : se retirer du Quatuor, ou expliquer aux membres de l’Organisation – «nous, peuples des Nations Unies», pour reprendre la formulation de la Charte – pourquoi il n’est pas en mesure d’agir ainsi et pour quelles raisons il demeure au sein du Quatuor malgré son refus de se laisser guider par le droit des Nations Unies. La première option est sans doute déraisonnable à ce stade, car elle priverait l’ONU de tout rôle dans le processus de paix. La deuxième option apparaît donc comme incontournable.
54. Depuis quarante ans, les instances politiques de l’ONU, les États et les particuliers accusent Israël de commettre des violations constantes, systématiques et graves des droits de l’homme et du droit humanitaire dans le territoire palestinien occupé. En 2004, l’organe judiciaire de l’ONU a, dans son avis consultatif, affirmé que les agissements d’Israël dans le territoire palestinien occupé étaient contraires aux règles fondamentales des droits de l’homme et du droit humanitaire, et que ni le droit de légitime défense ni un état de nécessité ne pouvaient les justifier. Si l’ONU entend demeurer crédible sur la question des droits de l’homme, elle ne peut se permettre d’ignorer l’avis consultatif au cours des délibérations menées dans le cadre du Quatuor car, dans cet avis, la Cour affirme avec autorité qu’Israël porte gravement atteinte à ses engagements internationaux. Si l’ONU n’entreprend rien pour appliquer, ni même reconnaître, un avis consultatif traitant du droit international humanitaire et du droit des droits de l’homme, elle jette le doute sur son engagement même en faveur des droits de l’homme.
IX. POURPARLERS DE PAIX
55. Au moment où le présent rapport est écrit, des négociations entre Israéliens et Palestiniens devant conduire à un règlement pacifique se sont engagées après une première rencontre à Annapolis, le 27 novembre 2007. Le Rapporteur spécial n’a pas pour mandat de commenter un processus qui est essentiellement politique, sauf s’il a des répercussions sur les droits de l’homme. Dans ce contexte, il souhaite formuler les observations suivantes.
56. Les accords d’Oslo ont été critiqués parce qu’ils ne prenaient pas en considération les aspects juridiques de la question palestinienne. En particulier, ils ne faisaient pas une place suffisante aux aspects afférents au droit international et aux droits de l’homme. Il est important d’éviter de répéter cette erreur dans le cadre du processus d’Annapolis. Malheureusement, les premiers éléments laissent penser qu’une telle éventualité représente une réelle possibilité, car la déclaration commune du 27 novembre telle qu’acceptée par les parties comme point de départ des négociations repose sur les propositions contenues dans la feuille de route établie par le Quatuor en 2003, et non sur les normes juridiques proclamées par la Cour internationale de Justice dans son avis consultatif sur l’édification du mur. En effet, l’avis consultatif n’est mentionné nulle part dans la déclaration commune. Dans sa déclaration d’Annapolis, le Secrétaire général a aussi invoqué la feuille de route, mais pas l’avis consultatif. Le Rapporteur spécial est de l’avis que la feuille de route est un cadre inadapté et inefficace pour les négociations, et ce, pour les raisons suivantes. En premier lieu, elle est dépassée, car elle ne fait aucun cas de l’avis consultatif, des élections démocratiques palestiniennes, du retrait israélien de Gaza et de la séparation de Gaza d’avec la Cisjordanie survenue en juin 2007. En deuxième lieu, Israël a joint 14 réserves à la feuille de route en mai 2003, jetant du même coup un doute sur son attachement à ce processus. En troisième lieu, selon ses termes mêmes, la feuille de route est «axée sur des résultats et mue par des objectifs». Elle accorde donc peu de place aux aspects normatifs.
57. Il convient de rappeler que l’article 47 de la quatrième Convention de Genève dispose que les personnes qui se trouvent dans un territoire occupé ne seront pas privées du bénéfice de cette convention par un accord passé entre les autorités du territoire occupé et la Puissance occupante ou en raison de l'annexion par cette dernière de tout ou partie du territoire occupé. En d’autres termes, tout accord entre les autorités palestiniennes et le Gouvernement israélien qui consacrerait l'existence des colonies à l’intérieur du territoire palestinien occupé ou l’annexion par Israël de terres palestiniennes dans l'enceinte créée par le mur serait contraire à la quatrième Convention de Genève. Ce n’est là qu’un des exemples des dangers d’un processus de paix entre deux parties inégales qui fait abstraction du cadre juridique fixé par le droit international. Lors des précédentes négociations de paix, le Gouvernement israélien a toujours insisté pour que les négociations soient limitées au cadre convenu (43). La déclaration commune d’Annapolis, qui ne fait référence qu’à la feuille de route, laisse entendre qu’Israël ne se considère pas comme étant lié par le cadre juridique accepté par les Nations Unies.
58. Le Rapporteur spécial est d’avis que les négociations doivent se tenir dans un cadre juridique, et qu’elles doivent être guidées par les règles du droit international, en particulier du droit international humanitaire et du droit international des droits de l’homme, par l’avis consultatif de la Cour internationale de Justice et par les résolutions du Conseil de sécurité. Les négociations sur des questions telles que les frontières, les colonies, Jérusalem-Est, le retour des réfugiés et l’isolement de Gaza doivent être guidées par ces règles et non par un marchandage politique. Dans ce contexte, les parties pourraient s’inspirer de l’expérience des négociations qui, au milieu des années 90, ont conduit à l’avènement d’une Afrique du Sud démocratique, négociations qui ont été menées dans le cadre des principes démocratiques reconnus, de l’état de droit et du droit international (en particulier du droit international des droits de l’homme).
59. La création d’un État palestinien ne guérira pas les blessures infligées par soixante années de conflit. Pour instaurer une paix et une sécurité véritables, tout doit être mis en œuvre afin de promouvoir la réconciliation entre Palestiniens et Israéliens. Il faudra, pour y parvenir, que les deux peuples se penchent sur les événements, les actions et les souffrances du passé. Il faudra par conséquent envisager la création d’une commission vérité et réconciliation chargée d'auditionner les récits de souffrance des deux peuples. Faute d’une telle démarche de vérité, les tensions entre Palestiniens et Israéliens continueront à menacer la paix entre les deux nations.
FIN
Sources France-Palestine : http://www.france-palestine.org/IMG/pdf/dugard.pdf