FRANCE
Le parquet de Paris s'oppose au port du voile en garderie
Une éducatrice portant le voile conteste son congédiement qualifié de discriminatoire
CHRISTIAN RIOUX
Correspondant à Paris
À deux jours de l'ouverture d un procès très médiatisé le procureur général de la Cour
d appel de Paris a pris fait et cause en faveur de
l interdiction du port du voile dans les garde
ries subventionnées Selon ce qu a appris le
quotidien Le Figaro le réquisitoire du magis
trat qui sera déposé jeudi devant la Cour d ap
pel qui doit trancher le cas de la crèche Baby
Loup défend le droit des garderies d interdire à
leur personnel de porter des signes religieux
Cette interdiction affirme le procureur Fran
çois Falletti est particulièrement justifiée dans
les institutions qui accueillent des enfants en
bas âge
À partir de jeudi la Cour d appel doit se pro
noncer sur le congédiement en décem
bre 1991 d une éducatrice de la garderie Baby
Loup de Chanteloup les Vignes en banlieue de
Paris Au retour d un congé de cinq ans Fatima
Afif s était mise à porter le voile même si le rè
glement interne affirmait que la crèche était
laïque Après deux jugements favorables à
la surprise générale la Cour de cassation avait
statué en mars que ce licenciement représen
tait une discrimination en raison des convic
tions religieuses
L affaire avait aussitôt soulevé un tollé et le
président François Hollande avait même évoqué
la possibilité d étendre les règles de la fonction
publique aux organismes subventionnés rem
plissant des missions de service public En
France le port de signes religieux est interdit à
tous les fonctionnaires incluant les éducatrices
des garderies publiques Mais les garderies as
sociatives à la fois institutions privées sans but
lucratif mais remplissant une mission de service
public demeurent dans une zone grise
Une attente forte des parents
La liberté de conscience et de religion ne pro
tège pas n importe quel comportement pour peu
qu il soit motivé par des considérations d ordre
religieux ou philosophique affirme le réquisi
toire du procureur général François Falletti
rappelle aussi que s agissant du port du voile
les théologiens de l islam sont divisés sur la
question de savoir s il s agit d une prescription re
ligieuse ou d une pratique individuelle laissée à
la libre appréciation des croyants En cette ma
tière il n est donc pas de consensus
Le magistrat va encore plus loin en évoquant
les problèmes que pose le port de signes reli
gieux dans un milieu composé d enfants parti
culièrement influençables non seulement parce
qu ils sont en bas âge mais aussi parce qu ils ap
partiennent à des familles socialement très fra
giles ce qui les rend encore plus réceptifs au mo
dèle que leur donnent les personnes de ce lieu de
stabilité sociale et affective qu est une crèche
Pour le procureur la volonté de la garderie
Baby Loup de respecter la neutralité religieuse
était donc justifiée Elle correspond à une
préoccupation actuelle et largement répandue
dans la société française dit il Elle répond aussi
à une attente forte de parents de jeunes enfants
confrontés au développement des communauta
rismes qu ils n entendent pas se voir imposer au
nom de leur propre liberté de conscience
Pas de nouvelle loi
Hasard du calendrier l Observatoire de la lai
cité dont François Hollande avait sollicité l avis
sur l affaire Baby Loup s est prononcé mardi
contre l adoption d une nouvelle loi sur la laï
cité Selon lui une interdiction applicable à tout
le secteur de la petite enfance poserait un pro
blème de droit L observatoire déconseille
aussi de légiférer à partir d un cas particulier
L organisme suggère plutôt aux crèches asso
ciatives qui se veulent laïques d inscrire plus
précisément les restrictions à l expression reli
gieuse des salariés dans leur règlement in
terne Autre solution proposée par l Observa
toire ces garderies largement subventionnées
pourraient accepter une délégation de service
public En contrepartie des contrôles du gou
vernement les règles de la fonction publique
s appliqueraient automatiquement
En France il est très rare que le parquet
prenne position contre un arrêt de la Cour de
cassation comme vient de le faire le juge Fal
letti Signe de l importance du jugement qui
sera rendu le premier président Jacques De
grandi siégera avec lui jeudi à la Cour d appel
Le Devoir