Manon Cornellier
Le Devoir
1 juin 2011 Politique / Canada
La chef du Parti vert, Elizabeth May, était tout sourire lundi au moment de son assermentation. Entourée de proches et d'amis, elle concrétisait son vieux rêve: devenir la première députée verte canadienne. Le sort a cependant voulu qu'elle brise cette barrière au moment où un gouvernement réputé pour son aveuglement environnemental obtenait un mandat majoritaire et le pouvoir d'en faire à sa tête.
Mme May profitera certainement de sa présence au Parlement pour tenter d'ouvrir les yeux des conservateurs, mais la tâche sera lourde et les moyens, très limités. Cette femme est toutefois l'optimisme en personne et une idéaliste dans l'âme. «J'ai toujours cru qu'une personne pouvait changer le monde, même si les chances ne sont que d'une sur six milliards. J'en ai maintenant de bien meilleures en étant une sur trois cent huit», a-t-elle dit après avoir prêté serment.
Espérons qu'elle a raison, car on parle ici d'un gouvernement qui s'est fait une spécialité de traîner les pieds dans le dossier des changements climatiques et une vertu de faire obstruction aux progrès de la communauté internationale à ce chapitre. Le bilan du gouvernement Harper est lourd et n'est pas près de changer, peu importent les mauvaises nouvelles.
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Ainsi, alors que l'Agence internationale de l'énergie (AIE) révélait lundi que les émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES) avaient augmenté de 5 % en deux ans, on apprenait que le gouvernement Harper faisait des pieds et des mains pour promouvoir les sables bitumineux. Selon Postmedia News, un plan aurait été élaboré pour embaucher une grande firme de relations publiques pour appuyer les efforts de promotion du bitume en Europe et combattre la volonté de certains pays d'exiger le respect de certaines normes environnementales avant d'autoriser son importation.
On comprend mieux le ton du dernier rapport sur les changements climatiques soumis aux Nations unies par le Canada. Le gouvernement y note que les émissions totales du Canada ont chuté de 6 % entre 2008 et 2009, à cause surtout du ralentissement économique. Mais, comme par hasard, on y passe sous silence le fait que les émissions de gaz à effet de serre (GES) produites par l'industrie des sables bitumineux ont augmenté, elles, de 20 %. On ne dit pas non plus que le taux d'émissions par baril a aussi grimpé, contrairement à ce que prétend l'industrie. Erreur? Niet. Des silences délibérés, a-t-on avoué au journaliste de Postmedia News.
Le déni ne s'arrête pas là. Au lendemain des élections, le ministre de l'Environnement, Peter Kent, a précisé qu'Ottawa maintiendrait le cap en matière de lutte contre les changements climatiques. Or, durant la campagne électorale, la fuite d'un document interne du ministère fédéral de l'Environnement taillait en pièces cette approche ciblée, fondée sur des règlements, des incitatifs financiers et des accords. «Cette option est la plus dispendieuse, qu'il s'agisse de l'impact sur l'ensemble de l'économie ou des coûts encourus par le gouvernement», écrivaient les fonctionnaires. Ils ajoutaient que cette politique offrait peu de certitude en ce qui a trait à l'atteinte de cibles de réduction. Selon eux, le recours à une solution fondée sur les forces du marché, comme l'imposition de plafonds assortis d'un système d'échange et d'achat de crédits d'émission, serait plus efficace. Comme par hasard, c'est ce que proposaient les partis d'opposition, à quelques variantes près.
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Ceux que les changements climatiques n'émeuvent pas aiment souvent citer de possibles retombées positives, comme un meilleur accès aux ressources de l'Arctique et l'ouverture du passage du Nord-Ouest. Ce qui n'est pas pour demain, soit dit en passant. Entre-temps, par contre, le pergélisol dégèle, entraînant déjà un affaiblissement des infrastructures nordiques et la perte des routes hivernales qui donnent accès aux ressources minérales et forestières du Grand Nord et aux communautés qui en dépendent. Le phénomène est déjà abondamment documenté par les chercheurs.
Mais ce gouvernement n'a que faire de la recherche. Après tout, c'est lui qui a miné la capacité scientifique du pays dans ce domaine en ne renouvelant pas le financement du principal bailleur de fonds de la recherche universitaire sur le climat, la Fondation canadienne pour les sciences du climat et de l'atmosphère. Le budget dévoilé en mars ne prévoyait rien de plus pour cette organisation qui soutient plus de 150 projets de recherche et 24 réseaux de chercheurs, en plus d'assurer une certaine coordination avec l'étranger. Le budget de lundi prochain ne fera pas mieux, le programme électoral conservateur n'ayant rien promis en matière d'environnement.
Tous les signaux indiquent qu'il faut agir, et vite. À moins qu'on ne retienne que ceux du gouvernement canadien. L'AIE a pourtant été claire. Nous approchons plus vite que prévu du seuil critique, de ce niveau d'émissions pouvant entraîner une augmentation de plus de 2 degrés Celsius de la température planétaire.
L'arrivée du Parti vert aux Communes ne pouvait survenir à un meilleur moment. Elizabeth May ne sera pas seule à brandir la sonnette d'alarme, mais elle est certainement perçue comme la nouvelle conscience environnementale de ce Parlement. Il faut seulement espérer que les autres partis accepteront de lui faire une place malgré son statut de députée indépendante.