Les affaires du kirpan et de la souccah juive - La Cour suprême s'est
trompée
Hélène Buzzetti
Le Devoir, édition du vendredi 09 novembre 2007
Claire L'Heureux-Dubé juge que les raisonnements juridiques ont
ouvert la porte à des accommodements déraisonnables
Ottawa - L'ex-juge de la Cour suprême du Canada Claire L'Heureux-Dubé
se sent elle aussi interpellée par le débat sur les accommodements
raisonnables qui embrase le Québec ces jours-ci. Celle qui avait été
étiquetée championne de la dissidence n'hésite pas à dire que son
ancien port d'attache, le plus haut tribunal du pays, a fait fausse
route dans ses jugements sur la souccah juive et le kirpan et que ses
raisonnements juridiques ont ouvert la porte à des accommodements
«déraisonnables».
L'ex-juge, aujourd'hui à la retraite, insiste: tous les
accommodements ne sont pas nécessairement raisonnables alors que
l'égalité, en particulier celle entre les hommes et les femmes, a un
peu trop souvent été écartée de l'équation.
«Le débat sur la question des accommodements raisonnables m'intéresse
grandement», écrit la magistrate au Devoir. «Je pars des prémisses
suivantes: je suis une inconditionnelle de la laïcité des
institutions publiques, de la séparation de l'Église et de l'État
ainsi que de l'égalité pour tous sans discrimination. Je suis aussi
une inconditionnelle de la liberté de religion. [...] Tout
accommodement n'est pas en soi raisonnable. Intervient la notion
d'égalité très présente dans le débat, une valeur sine qua non de la
société québécoise et canadienne, particulièrement lorsqu'il s'agit
d'égalité entre hommes et femmes.»
Mme L'Heureux-Dubé rappelle que la Cour suprême avait déjà rejeté
l'idée d'établir une hiérarchie des droits, comme l'a suggéré le
Conseil du statut de la femme plus tôt cet automne. Mais cela ne
l'empêche pas de voir dans l'égalité des sexes un critère d'analyse
qui devrait être retenu davantage.
«Dans un pays où l'égalité des sexes a été conquise après une lutte
acharnée depuis plus d'un siècle, lutte qui a abouti à l'enchâssement
de l'article 15 de la Charte, et dans un monde où la Déclaration
universelle [des droits de l'homme] en fait la pierre d'assise comme
partie intégrante de la dignité humaine, je ne crois pas qu'un droit
fondamental puisse être raisonnable s'il n'est pas compatible avec la
notion d'égalité.»