Johanne Chayer
Tribune libre de Vigile
samedi 29 septembre 2007
J’aurais voulu aller rencontrer ces femmes musulmanes à Hérouxville pour partager leur culture et leurs recettes, mais surtout pour profiter de l’occasion de leur expliquer notre devise "Je me souviens".
Je me souviens que, dans mon jeune âge, nous ne pouvions pas entrer à l’église sans avoir un voile ou un chapeau sur la tête. À cette époque, je me souviens aussi que c’était aussi un péché mortel de manger de la viande le vendredi. Dans la même décennie, je me souviens que ma mère a été chassée de l’Église parce qu’après avoir mis au monde quatre enfants, elle ne voulait plus en avoir d’autres.
Je me souviens que pour cette raison, le pardon de ses fautes lui était refusé par l’Église à moins qu’elle ne laisse son corps à son mari, avec ou sans plaisir, au risque d’atteindre la douzaine.
Je me souviens qu’elle a refusé et qu’elle a quitté l’Église comme beaucoup d’autres femmes de sa génération.
Je me souviens que ma mère s’est ensuite séparée de mon père et que nous sommes devenus la cible des regards et des commentaires désobligeants de notre paroisse.
Cependant je me souviens qu’à la suite de sa séparation, nous avons vu le collet romain sur la table de nuit. Le prêtre voulait-il tester les moyens de contraception de l’heure ?
Dans la même décennie, je me souviens que la cousine de ma mère a obtenu le divorce et qu’elle a reçu du même coup son excommunication de Rome.
Je me souviens que quelques années à peine avant ma naissance, les femmes ont obtenu le droit de vote et en même temps le droit d’être considérées comme des citoyennes à part entière dans la société.
Je me souviens que lorsque j’étais jeune, nous devions nous aussi, comme pour les religions musulmane et autres, prier sept à huit fois par jour. La messe à tous les matins, une prière avant le déjeuner, une prière en entrant en classe, une au dîner sous le coup de l’Angélus, une autre avant la classe de l’après-midi, les grâces au souper, le chapelet en famille avec le Cardinal Léger et une dernière prière avant d’aller au lit. Il y avait le mois de Marie, les Vêpres, etc... Nous avions aussi de longues périodes de jeûne avant Noël (l’Avant), avant Pâques (le Carême).
Je n’ai pas dit non plus que nous devions porter le deuil durant un an et moins selon le degré de parenté de la personne décédée.
Je me souviens que, tour à tour, ma mère et ma belle-mère ont vu une opération urgente retardée en attendant que leur mari respectif, de qui elles étaient séparées de fait et non légalement, apposent leur signature pour autoriser leur intervention chirurgicale.
Devenue adulte, je me souviens que grâce aux pressions de la génération précédente, j’ai eu accès aux premiers moyens de contraception qui m’ont permis de restreindre le nombre de mes propres rejetons.
Je me souviens aussi qu’il n’était plus un péché de manger de la viande le vendredi. Je ne sais pas ce qui est arrivé à ceux qui sont allés en enfer. J’espère qu’on les a rapatriés.
Devenue adulte, je me souviens avoir travaillé dans des environnements traditionnellement réservés aux hommes.
Je me souviens des frustrations de ne pas avoir été traitées au même titre que les hommes dans les entreprises et surtout dans la vie en général.
Je me souviens qu’après avoir eu un fils, je ne voulais plus d’autres enfants de peur que ce ne soit des filles, par solidarité et parce que le travail qui restait encore à faire pour atteindre l’égalité était énorme.
Je me souviens des efforts que beaucoup de femmes ont dû déployer pour se faire reconnaître et pour obtenir des postes administratifs de haut niveau.
Je me souviens du militantisme de beaucoup de femmes qui ont travaillé d’arrache-pied pour obtenir l’équité dans notre pays comme politicienne, au sein des chambres de commerce, des syndicats, du Conseil du statut de la femme, etc.
Je me souviens qu’il a fallu plus de cinquante ans d’efforts collectifs pour nous libérer de l’emprise de l’Église et de la religion sur nos vies.
Je me souviens qu’il a fallu plus de soixante ans (1940 à 2006) pour obtenir l’équité salariale et que ce n’est pas encore fini. Mes soixante ans font que je sais que rien n’est acquis dans la vie et qu’il faut maintenir, voire redoubler nos efforts pour ne pas perdre le résultat de tous ces labeurs.
Je ne suis pas raciste, cependant, lorsque je vois d’autres ethnies, imprégnées par leur religion contrôlante, vouloir s’imposer dans notre société, j’ai peur. J’ai peur parce que ces hommes et ces femmes ne savent pas quel chemin nous avons parcouru.
De plus, les jeunes québécoises qui embrassent cette religion qui voile les femmes ne se souviennent pas. C’est donc par ignorance qu’on explique leur choix. Aucun animal dans la nature, à part l’homme, n’abrille sa femelle par dessus la tête.
Je suis maintenant une grand-mère de quatre merveilleuses petites filles et j’ai peur. J’ai peur lorsque je vois une femme voilée travailler dans un CPE ou dans nos écoles ou encore lorsqu’on y laisse un enfant porter le kirpan.
Nous nous sommes débarrassés de tous ces symboles religieux et voilà qu’ils reviennent à l’endroit même où l’éducation de notre nouvelle génération est cruciale et à la période à laquelle on doit inculquer les principes fondamentaux de vie en société à nos enfants.
La tolérance envers ces symboles religieux que sont le voile, le kirpan, le turban dans les CPE, dans nos écoles et dans nos institutions en général, est un manque de respect pour les générations précédentes qui ont travaillé si fort pour se retirer de l’emprise de la religion sur nos vies.
Vous ne vous souvenez pas ! Moi, je me souviens et, à cet égard, je n’ai aucune tolérance et je ne veux aucun accommodement par respect pour ma mère, ma tante et pour mes petites filles.
Je me souviens que la charte des droits et libertés permet à chacun de pratiquer la religion de son choix, mais de grâce que cette religion demeure dans la famille. Le port du voile dans la religion musulmane est pour nous la démonstration la plus importante de la soumission de la femme et c’est cela qui nous fait peur et qui nous choque parce qu’on se souvient. On se souvient que ce symbole existait il y a cinquante ans, et on ne veut pas revenir en arrière.
Je me souviens surtout que lors de la Révolution tranquille, les communautés religieuses ont suivi tout naturellement l’évolution de notre société en se laïcisant. Elles ont troqué, sans qu’on le leur impose, leurs grandes robes noires et leurs voiles dans le cas des femmes pour des habits civils sans pour autant renier leur foi et sans cesser de prier.
Plusieurs de ces personnes sont encore vivantes aujourd’hui. Doit-on leur dire qu’elles ont évolué à tort et qu’elles ont fait tous ces efforts pour tomber dans l’oubli ? Que l’on prie Jésus, Mahomet ou Bouddha m’importe peu, mais nous nous sommes battus, québécois et québécoises, pour que notre s ociété soit laïque. Nous nous sommes battues, québécoises, pour obtenir l’égalité du droit de parole entre les hommes et les femmes autant que pour l’égalité des chances au travail.
Souvenez-vous que si vous avez immigré au Canada, et surtout au Québec, c’est pour faire partie d’une société ouverte qui vous donne sur un plateau d’argent tous les acquis que les générations précédentes ont obtenus, particulièrement au chapitre des droits des femmes.
Je veux croire aussi que c’est par ignorance de nos traditions et de nos coutumes, et non par manque de respect, que les femmes musulmanes veulent montrer au grand jour, voire imposer, ce symbole de leur croyance qu’est le voile. Peut-être que notre société va trop loin avec ces libertés. Mais, le balancier doit s’arrêter au milieu et non régresser jusqu’au point de départ.
Il faut se souvenir.
L’intégration à une société commence par le respect de ses traditions et de ses coutumes ainsi que par le respect envers ses citoyens et citoyennes qui ont participé à l’exercice. Peut-être que nos livres d’histoire ne se souviennent pas ou bien qu’ils n’ont simplement pas été mis à jour. C’est donc la responsabilité du gouvernement d’appliquer notre devise « je me souviens » à notre Histoire et d’intégrer à cette Histoire les efforts de nos générations précédentes pour atteindre la société d’aujourd’hui et surtout de s’assurer que la génération montante s’en souvienne.
C’est aussi la responsabilité des organismes d’accueil aux immigrants de leur faire connaître cette devise du Québec afin que ces nouveaux arrivants ne pensent pas que nous sommes racistes simplement parce que l’on s’en souvient et qu’on ne veut pas imposer à notre progéniture d’avoir à reprendre les mêmes débats qu’il y a cinquante ans.
En terminant, pour commenter le sondage du journal La Presse d’hier sur les musulmans heureux de vivre chez nous, je dis que même et surtout si les femmes voilées que l’on retrouve dans les CPE ainsi qu’ailleurs dans nos institutions font partie de cette majorité heureuse de vivre en notre terre, alors cette majorité m’incommode pour tous les arguments que j’ai soulevés précédemment.
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Grand-mère Johanne Chayer, Montréal